jeudi 29 août 2024

Gunter PEIS, Naujocks. L'homme qui déclencha la guerre, Paris, Arthaud, 1961, 259 p.

 


Auteur : Gunter Peis. Né en Autriche, il a été prisonnier des Américains en 1945. Relâché, il a été l'un des plus jeunes reporters aux procès de Nuremberg. Continuant une carrière de journaliste, il a écrit plusieurs ouvrages, notamment sur la Seconde Guerre mondiale et ses figures méconnues, et il a même été scénariste et producteur. Il est mort en 2012.


Place du livre dans l'historiographie : l'ouvrage de Gunter Peis, qui n'est plus ou moins qu'une version interprétée du témoignage de Naujocks, a longtemps été la seule source abordable sur le personnage. L'historien allemand Florian Altenhöner a depuis rétabli quelques vérités sur Naujocks une biographie en 2010 puis des articles.


Résumé de l'ouvrage : Peis présente Naujocks, qu'il a retrouvé à Hambourg dans les années 1960 et qu'il a interrogé pendant deux ans pour écrire ce livre, comme un « aventurier ». Naujocks lui-même, qui signe une courte préface, ne semble pas trop regretter son appartenance au SD et ce qu'il a fait, avouant même être un « raté » en dehors de cette vie-là.


Peis commence l'ouvrage en racontant comment Naujocks s'est rendu aux Américains, en novembre 1944 sur la ligne de front. Puis il décrit sa biographie dans l'ordre chronologique. Originaire de Kiel, Naujocks a rapidement fait le coup de poing avec le parti nazi après la Première Guerre mondiale. Intégrant le SD, il se fait apprécier de Heydrich, qui va pousser son ascension et le charger de missions spéciales. Il s'occupe ainsi de la liquidation d'un réseau d'agents soviétiques piloté par un major de l'armée tchécoslovaque, Anton Horvath. En janvier 1935, il assassine, toujours en Tchécoslovaquie, un opérateur radio du Front noir d'Otto Strasser qui s'en prenait aux nazis sur les ondes, Rudolf Formis. D'après ses dires, il est également mêlé à l'opération d'intoxication des Soviétiques visant à faire croire à Staline que le maréchal Toukhatchevsky complote contre lui à l'aide de faux documents, ce qui va conduire à la décapitation de l'Armée Rouge pendant la Grande Terreur. Il atterrit ensuite dans le département du SD responsable des gadgets, appareils photos miniatures, faux passeports et autres documents nécessaires aux activités clandestines. D'après ses déclarations, Naujocks aurait également chapoté l'opération « Himmler » : l'attaque de la radio de Gleiwitz, le 31 août 1939, en Allemagne, près de la frontière polonaise, par un commando de SS revêtus d'uniformes polonais, pour donner un prétexte à Hitler quant à l'invasion de la Pologne. Le 9 novembre 1939, il participe à la capture rocambolesque de 2 agents britanniques du SIS à Venlo, aux Pays-Bas, attirés dans un piège, avec Walter Schellenberg, ce qui lui vaut d'être décoré de la Croix de fer par Hitler. On lui confie ensuite l'organisation du fameux salon Kitty, bordel de Berlin truffé de micros et autres dispositifs pour la délectation de Heydrich, puis la direction du département du SD chargé de contrefaire la monnaie britannique. Tombé en disgrâce, Naujocks est finalement renvoyé du SD par Heydrich en 1941 et expédié comme simple soldat dans la Waffen SS au sein de la Leibstandarte. Gravement blessé à Kherson, en Ukraine (il se fait d'ailleurs l'écho de la vieille antienne pour justifier les exécutions de prisonniers soviétiques : les Waffen SS auraient trouvé des corps de leurs camarades mutilés), il est rapatrié en Allemagne où il finit par réintégrer le SD, en 1942. Il est nommé administreur économique en Belgique où, selon ses dires, il traque les responsables du marché noir jusqu'aux échelons élevés de l'armée allemande. Tombé amoureux d'une femme impliquée dans un de ces réseaux, il se serait enfui avec elle en Allemagne, où elle l'aurait rapidement quitté : Naujocks se serait alors caché jusqu'à ce qu'il se rende aux Américains, fin octobre-début novembre 1944. Entendu aux procès de Nuremberg, il s'évade du camp où il est détenu en 1946 et refait sa vie en Allemagne.



Sources utilisées : Peis ne se sert que du témoignage de Naujocks, qui évidemment livre sa version des faits. Aux procès de Nuremberg, il réussit à ne pas se faire considérer comme un membre important du SD. En réalité, il était déjà Sturmbannführer en janvier 1939, un grade que peu de membres du SD pouvaient alors revendiquer : sans être dans le cercle dirigeant, il était un des piliers actifs de l'organisation. De la même façon, Naujocks ne parle pas de son passage au Danemark en 1944, où il aurait participé à l'exécution de résistants danois – ce qui lui vaudra en 1947 une condamnation à 15 ans de détention, abrégée en 1950. Car s'il s'est évadé du camp de Langwasser près de Nuremberg, il a été repris et extradé au Danemark. Bien que retiré comme homme d'affaires à Hambourg, Naujocks ne vivra pas vraiment dans le secret : il raconte sa vie à Peis, il témoigne pour d'autres publications, et il est manifestement resté en contact avec d'anciens nazis. Naujocks meurt en 1966, quelques années après la parution du livre de G. Peis. Il avait passé les deux dernières années de sa vie en hôpital psychiatrique : des procureurs avaient tenté de le poursuivre pour ses crimes en Allemagne, sans succès. A la fin de sa vie, il lançait des rumeurs sur le futur chancelier Willy Brandt, l'accusant de crimes dans des bagarres de rues à Lübeck dans les années 1930.


Illustrations : aucune.


Conclusion (points positifs/points négatifs) : un témoignage recueilli par un journaliste, mais sans la distance critique nécessaire pour en faire une source complètement fiable. Comme je l'ai fait ci-dessus, des recoupements s'imposent pour bien mesurer qui était Alfred Naujocks...

mardi 27 août 2024

Gregg ADAMS et Steve NOON, Belleau Wood 1918. US Marine versus German Soldier, Combat 32, Osprey, 2018, 80 p.

 

 

Auteur : Gregg Adams pour le texte et Steve Noon pour les illustrations. Adams est un Américain, qui n'est pas historien de formation puisqu'il a un doctorat de physique. Il a écrit des titres de la collection Combat, dont celui-ci, pour les éditions Osprey, bien connues des passionnés d'histoire militaire. La série combat s'intéresse à deux types de combattants se faisant face dans un engagement précis, comme ici le Bois Belleau, avec le Marine et le soldat allemand en 1918. Steve Noon est un illustrateur britannique qui a déjà travaillé pour plusieurs dizaines de volumes Osprey.


Place du livre dans l'historiographie : la bataille du Bois Belleau a été évidemment bien couverte en anglais par des auteurs américains, pour la plupart, en particulier issus du corps des Marines. En français, seuls deux ouvrages traitent de la bataille dont un paru seulement l'année dernière qui est une traduction d'un mémoire allemand paru après la Première Guerre mondiale. L'autre, de Jean-Michel Steg, sorti la même année que l'ouvrage examiné ici, ne donne qu'un aperçu succint de la bataille -il se concentre sur d'autres aspects- et manque par ailleurs cruellement de cartes. L'ouvrage Osprey peut donc constituer une bonne entame sur la question pour le néophyte.


Résumé de l'ouvrage : Après une introduction mettant en place le contexte (on appréciera la carte générale sur l'offensive Blücher p.7), Adams détaille les forces en présence de part et d'autre. Côté Marines, les deux régiments qui participent à la bataille, les 5ème et 6ème, sont créés avec une portion réduite d'encadrement du corps des Marines, en particulier le 6ème régiment qui compte une grande proportion de volontaires avec un niveau d'études conséquent par rapport à la moyenne. Incorporés dans la 2ème division d'infanterie de l'armée, les Marines reçoivent un équipement français et britannique pour l'essentiel, jusqu'à l'artillerie. Toutefois, malgré la lecture des manuels tactiques français revus depuis 1914, les Marines vont avoir tendance à se comporter comme les armées du début de la guerre sur l'aspect tactique. Côté allemand, les forces sont plus expérimentées : les divisions, plus réduites en effectifs, comprennent davantage de mitrailleuses. Mais pour l'offensive de 1918, le schéma traditionnel de défense sur des positions préparées change pour l'attaque : les Allemands ont concentré les meilleurs éléments dans certaines unités, ce qui se voit dans la composition du 4ème corps de réserve qui va faire face aux Marines : seules 2 divisions sur 5 sont du modèle offensif, les 3 autres étant destinées à la défensive. Peu d'obus à gaz seront utilisés sur le champ de bataille, les Allemands rationnant leurs obus, mais une attaque de grande ampleur emploie toutefois 7 000 obus de gaz moutarde dans la nuit du 13 au 14 juin. Les Américains n'en utiliseront quasiment pas car les Français ont préféré réservé les obus chimiques à leurs batteries plus expérimentées. Sur le plan du commandement, les Marines vont rapidement adopter une direction très décentralisée sur le champ de bataille, à l'image des Allemands. Les communications reposant sur le téléphone à fil seront rapidement perturbées, et les agents de liaison et coureurs ralentiront la transmission des ordres. Sur le plan logistique, les Allemands sont désavantagés : leur train a du mal à suivre, manquant de motorisation, les obus sont rationnés, la nourriture est rare, et le matériel n'est pas remplacé. C'est tout l'inverse pour les Marines. Le moral de ces derniers est par ailleurs élevé : en plus de la fierté de corps intrinsèque, il y a l'envie de faire ses preuves.


Adams décrit dans la partie suivante la première attaque de la 4ème brigade de Marines, le 6 juin 1918. Là encore, on apprécie la carte précise p.31 pour suivre l'assaut. Un reproche parfois sur les photos d'époque du terrain, parfois un peu petites pour apprécier la configuration des lieux. Adams explique bien comment les Marines, chargeant sans préparation d'artillerie, par vagues successives, sur une position mal reconnue (le Bois Belleau, Bouresches), subissent des pertes énormes du fait des mitrailleuses allemandes, ce qui est bien illustré par la double page en couleur p.38-39. En une journée, les Marines perdent plus d'un millier d'hommes. L'attaque des 11-12 juin (là encore illustrée par une très bonne carte p.47) connaît un peu plus de succès : les Marines ont commencé à modifier leur tactique d'assaut, même si la préparation d'artillerie est trop courte, mais bénéficient du brouillard qui couvre le champ de bataille et frappent sans le savoir à la jonction de deux unités allemandes, ce qui leur permet de s'emparer de la moitié sud du bois. Toutefois les pertes sont encore très élevées et l'objectif final, s'emparer du bois, n'est toujours pas atteint. Il faudra attendre l'attaque des 23-25 juin (mis en image avec une carte très claire p.63 de nouveau) pour que les Marines emportent la décision. Relevés pendant un temps par le 7ème régiment de la 3ème division d'infanterie américaine, les Marines, reconstitués et rééquipés, vont reculer pour laisser place, à l'aube du 25 juin, à un impressionnant barrage d'artillerie qui pulvérise les positions allemandes au nord du bois Belleau, qui est définitivement pris le 26 juin avec des pertes beaucoup moins lourdes.


En conclusion, Adams souligne combien la bataille a montré aux Allemands, expérimentés, que les Américains, et notamment les Marines, étaient des combattants à respecter, ce qui a entraîné une baisse significative de leur moral. La bataille a souvent été fonction du commandement : ainsi l'officier allemand responsable de la défense initialement au sud du bois, vétéran de l'Afrique orientale, avait organisé un dispositif adapté qui a coûté cher aux Marines le 6 juin. Quand une autre division vient l'épauler et ne tient pas compte de ses recommandations, les Marines percent les 11 et 12 juin malgré une faible préparation d'artillerie. La maturité tactique n'arrive finalement pour ceux-ci que dans l'attaque finale, après encore bien des tâtonnements. L'auteur souligne bien que les Marines n'ont pas sauvé Paris, ni battu définitivement l'armée allemande : mais l'engagement américain a eu un impact à ce moment-là, positif pour les Français notamment, et négatif pour les Allemands, qui ont été surpris de la ténacité des Américains et ont vu leurs perspectives s'assombrir par rapport aux objectis posés par leur grande offensive lancée en mars 1918.


Sources utilisées : l'auteur emploie un panel de 25 sources : des témoignages de Marines, notamment d'officiers ou sous-officiers qui ont ensuite gravi les échelons dans le corps et qui ont fini à des postes élevés, des ouvrages d'historiens américains, et quelques autres titres des éditions Osprey. Un petit classement interne de la bibliographie entre ces catégories ne seraient pas superflues.


Illustrations : beaucoup de photos en noir et blanc bien commentées, même si comme cela a été dit celles illustrant le paysage sont parfois trop petites ; 4 cartes, une stratégique et 3 tactiques, utiles et bien lisibles. Si l'illustration p.38-39 m'a semblé pertinente, c'est moins le cas pour celle p.50-51 représentant l'assaut du 11-12 juin : il en aurait peut-être fallu une sur l'assaut final plutôt. En revanche beaux profils du Marine et du fantassin allemand p.14-15 et 18-19 avec tout l'équipement décrit, ce qui est un plus.


Conclusion (points positifs/points négatifs) : un bon livre d'introduction sur la bataille du Bois Belleau, notamment sur les aspects militaires, tactiques, armement, moral, etc. De ce point de vue il est plus utile que l'ouvrage de Jean-Michel Steg qui a tendance à se focaliser sur des aspects plus larges, le pourquoi de l'entrée en guerre des Etats-Unis, son résultat... tout cela est traité plus succinctement ici, mais encore une fois, ce n'est pas à proprement parler le but du livre. Je n'avais lu je crois, de mémoire, qu'un seul autre volume de la collection Combat d'Osprey, que j'avais déjà trouvé fort intéressant, celui-là confirme.