lundi 1 mai 2017

Frédéric PICHON, Syrie. Pourquoi l'Occident s'est trompé, Paris, Editions du Rocher, 2014, 132 p.

L'auteur de cet ouvrage, Frédéric Pichon, est bien connu sur les réseaux sociaux quand il est question du conflit syrien. Vindicatif, agressif, surtout quand l'interlocuteur n'est pas de son avis, il n'hésite pas à déformer les propos de son vis-à-vis pour mieux marteler son message de soutien au régime Assad et à ses alliés, dont il ne s'est jamais vraiment caché. J'ai dû le bloquer sur Twitter en raison d'un de mes tweets détourné par lui, suivi d'une non moins creuse discussion sur le fil -ce qui est arrivé à d'autres, au demeurant.

J'avais déjà lu ce livre, reçu en service presse il y a longtemps, avant de voir F. Pichon "en action" sur Twitter. Je n'avais pas l'intention de le ficher car il n'était pas très intéressant, à vrai dire. Mais comme son auteur se permet d'agresser tout un chacun sur Twitter, après tout, c'est faire oeuvre utile. Je l'ai relu pour en dresser la fiche. Mon avis n'a pas vraiment changé quant au contenu.

Le sous-titre donne le ton : il ne s'agit pas d'un ouvrage scientifique (l'auteur est pourtant chercheur, a soutenu une thèse sur la Syrie), mais d'un véritable pamphlet, appuyé par l'exorde du journaliste du Figaro. En résumé : la France a été en-dessous de tout, parce qu'elle aurait jeté aux orties le régime Assad, croyant à sa chute prochaine, alors "qu'il incarne à lui seul tout l'appareil étatique" (sic). Au lieu de donner des leçons de morale, la France aurait dû soutenir la Russie (re-sic). Une fois le ton du pamphlet posé, il n'y a pas grand chose à rajouter, malheureusement.




Dès l'introduction, Frédéric Pichon commence très fort en minimisant l'incident de Deraa, en mars 2011, qui lance la contestation en Syrie, avec une seule référence à l'appui. On attendait peut-être quelque chose d'un peu plus "musclé". C'est à l'image de l'appareil critique de tout l'ouvrage, singulièrement faible : 36 notes de bas de page en tout, dont 10 sans références, et aucune bibliographie, soit en gros 20 références (certaines se répètent dans les notes) pour 130 pages. Autant dire que c'est très léger, d'autant que les références citées ne sont pas des meilleures, on le verra. Sur un sujet aussi débattu que le conflit syrien, on espérait mieux. Frédéric Pichon minimise également les manifestations en Syrie (certes Alep et Damas n'ont pas bougé immédiatement, mais il y a eu des manifestations dès 2011...) et appuie sur l'armement des rebelles syriens pendant les tous premiers mois, évoquant les soldats du régime tués mais pas la répression féroce exercée par le régime dès le début ou presque. Une autre des idées maîtresses de l'auteur, c'est que la France a écarté "les vieux de la vieille" de la diplomatie ou de l'action sur le terrain (auxquels il semble s'identifier) pour favoriser une nouvelle génération de responsables incapables, commençant dès la p.14 des invectives à l'encontre de personnes jamais nommées ou presque, mais dont on devine les noms quand on connaît un peu le sujet. On rejoint l'attitude que je décrivais en introduction. Finalement, plus que la faute au régime, c'est la faute à la France, qui a laissé faire les pays du Golfe -autre mantra de F. Pichon-, le tout mâtiné d'une posture de "victime" de la bien-pensance et de l'étiquette de "pro-Assad" qu'on lui aurait collé... La faute aussi aux politiques, ces incapables dénoncés par F. Pichon.

Le premier chapitre sur la présentation de la Syrie continue sur cette lancée. Le soulèvement syrien ? Le fait des régions périphériques, de potentats locaux pressés de se débarrasser du poids pesant du Baath, de même que le secteur informel et la mafia locale, comme à Deraa et Homs, épicentres de la contestation. F. Pichon rappelle d'ailleurs que Deraa était un nid à djihadistes allant faire leurs armes en Irak sous l'occupation américaine -bizarrement, il ne dit pas pourquoi le régime laissait faire à l'époque. La prise de pouvoir par les alaouites ? Une simple captation par ascension sociale depuis le début du mandat français. Sauf que ce ne sont pas tous les alaouites qui sont au sommet, mais bien une asabiyya, terme que l'auteur tord pour coller à son propos. Mais après tout, Assad arrive au pouvoir en 1970 "sans effusion de sang" (p.32). Le massacre de Hama (plusieurs dizaines de milliers de mort probablement, bien qu'on ignore le nombre précis) ? La faute aux attentats des Frères Musulmans... finalement, les alaouites ressentent juste un complexe de "citadelle assiégée" devant la menace sunnite. Et Frédéric Pichon d'en rajouter sur la non-participation au soulèvement des villes sunnites (Damas, Alep), engoncées dans leur bourgeoisie, et participant presque plus que les alaouites à la corruption et à la captation de l'économie sous l'ère Assad. Le soulèvement de 2011, quant à lui ne serait dû qu'aux IDE investis par les pays du Golfe dans les années 2000, notamment dans les mosquées et les madrasas (F. Balanche, auteur qu'affectionne F. Pichon, dans son Atlas du Proche-Orient, dit pourtant que les investissements des pays du Golfe sont somme toute limités avant 2011), et au rôle d'al-Jazeera et du Qatar qui auraient enflammé les foules à coups de discours islamistes. D'où l'arrivée de ces "brigades internationales" de djihadistes (re-re-sic), dont F. Pichon oublie le pendant côté régime ; mais après tout, les djihadistes s'entretuent à la façon des staliniens et du POUM en 1937 (p.42), c'est évidemment plus intéressant que d'expliquer que le régime doit beaucoup à l'intervention étrangère.

Le chapitre 2 commence avec une expression que l'auteur répétera souvent au fil des pages : psittaciste. Action de répéter sans réfléchir. C'est un peu ce que fait F. Pichon dans son livre, pourtant. D'ailleurs, p.44, arrive aussi une référence qui va également se répéter dans les trop rares notes : le C2FR... Il s'agit de montrer que le soulèvement syrien a été orchestré par des ONG américaines, main clandestine du gouvernement des Etats-Unis, à l'image des "révolutions de couleur". L'auteur nous explique aussi qu'à Banyas et Lattaquié, en mai 2011, les blindés, et un navire de guerre dans le second cas, ne sont utilisés seulement parce que le régime rencontre un arsenal impressionnant côté rebelles (pourquoi s'en servir sinon ? Il est vrai que les états de service du clan Assad plaident en leur faveur). Argument d'autorité qui n'est appuyé... sur rien. De même, le traitement médiatique est biaisé, d'après lui : al-Jazeera connaît la musique, selon l'auteur, qui se fait un plaisir de décortiquer une séquence de combat probablement montée (mais sans aucune référence à l'appui), oubliant de nous parler de la propagande du régime. Et Frédéric Pichon d'en rajouter sur les premiers attentats suicides, probablement le fait d'al-Nosra, tout juste créé, et que les rebelles attribuent parfois au régime. Sur l'attentat du 18 juillet 2012 contre des dignitaires du régime, en revanche, les choses semblent un peu plus compliquées que ne l'explique (sans aucune référence encore une fois) l'auteur, et on ne peut écarter l'hypothèse d'un règlement de comptes à l'intérieur du régime. La compassion de F. Pichon est bien sélective : oui, les rebelles ont commis des crimes de guerre, ont tiré sur des quartiers civils, mais les chiffres parlent d'eux-mêmes, et l'auteur ne nous en dit rien. Le régime a massacré la population syrienne sur une échelle qui n'a rien à voir avec les exactions des rebelles -et même avec celles de l'EI. Les crimes de guerre s'opposent aux crimes contre l'humanité. L'indignation morale, sélective, de l'auteur n'a donc ici que peu de poids, d'autant qu'elle ne s'appuie pas sur aucune source (sans même parler de sources de référence...).

Le chapitre 3 est consacré aux relations entre la Russie et le régime Assad. On sourit à l'évocation de ces chars T-74 p.68 (ci-dessous, aucun char soviétique ne porte ce numéro ; il y a par contre un char japonais, le Type 74, auquel pensait peut-être F. Pichon...). La Russie ne fait qu'armer la Syrie de manière défensive (re-re-re-sic) ; après tout les rebelles ont bien reçu des Stinger par caisses entières dès 2012, comme en Afghanistan (p.69). Et puis, dès 2012, les premiers djihadistes arrivent... F. Pichon n'a pas forcément tort : oui, beaucoup de Libyens et de Tunisiens sont venus se battre en Syrie dès 2012 ; étaient-ils tous des djihadistes ? Pas certain, ce qui se voit aux formations qu'ils ont rejoint sur le terrain -alors que le front al-Nosra s'impose progressivement dans l'insurrection cette année-là, et que l'EIIL, ancêtre de l'EI, n'existe pas encore. Et F. Pichon de reprendre les attaques personnelles anonymisées, bien sûr (deux, p.76, ci-dessous, un nom apparaît p. 79, enfin, J.-P. Filiu) et de nous parler des pertes du régime, mais pas des autres. Après tout, l'EIIL, la rébellion, sont financées par l'Arabie Saoudite, avec l'accord de la France, qui a laissé se créer un "nid à djihadistes" en Syrie.





C'est que la France a pris le relais des néoconservateurs américains pour la bêtise, d'après F. Pichon, braquant tout le monde, jusqu'aux Américains, et faisant fi d'une diplomatie conçue pour discuter avec nos ennemis. Et l'auteur de consacrer 10 pages (p.86-96, sur un livre qui n'en compte que 120 de lui, ce n'est pas rien) au Qatar, auquel la France serait pour ainsi dire asservie. En plus, le vrai "Munich" (p.98) de la France, c'est d'avoir abandonné les chrétiens de Syrie, dont l'auteur reconnaît du bout des lèvres qu'ils ont très majoritairement partisans du régime -et de plus en plus dans l'action armée. Pas très loin de Maaloula, d'ailleurs, dont F. Pichon parle beaucoup, il y a la terrible prison de Sednaya, dont on comprend bien pourquoi il n'en parle pas -Assad y a beaucoup torturé, exécuté et pendu, comme le confirme un rapport récent d'Amnesty International. Et F. Pichon de s'affoler pour Kessab, prise par les rebelles en mars 2014 (F. Balanche, lui, parlait même d'un "deuxième génocide arménien" orchestré par la Turquie)... le tort de la France, c'est aussi de ne pas avoir choisi des rebelles "cooptés" par le régime. On n'en finit plus des "sic".

Les Russes, finalement, sont des "réalistes" en matière de politique étrangère. Ils ont été "traumatisés" par l'expérience tchétchène. Dont acte : la France n'a rien compris. Le clou, c'est sans doute la pseudo-démonstration sur les attaques chimiques du 21 août 2013 : non, le régime n'avait rien à y gagner (alors qu'il a lancé une contre-attaque immédiatement après, et par la négociation, a pu continuer à loisir ses offensives avec armes conventionnelles, utilisant même du chlore par la suite, moins repérable que le sarin). Et F. Pichon, sur cet événement sensible, ne cite aucune source ou presque : arguments d'autorité, de nouveau. Assad, de toute façon, est la seule alternative. Quand on sait qu'il a fallu l'intervention directe de la Russie pour sauver le régime, encore une fois, en septembre 2015, le propos a de quoi faire sourire.

L'Occident s'est-il trompé ? Peut-être. En tout cas, Frédéric Pichon, lui, ne trompe personne. Celui qui prétendait encore en juillet 2016 que jamais les rebelles syriens n'arriveraient à lever le blocus établi à grand peine par le régime autour d'Alep -avant d'être démenti pour un temps quelques jours plus tard- fanfaronne à mesure que le régime syrien, porté à bout de bras par ses alliés étrangers, s'impose comme un acteur incontournable du règlement du conflit. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, a-t-on coutume de dire. Sans psittacisme bien sûr.

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