lundi 24 juillet 2017

Richard BARON, Major Abe BAUM et Richard GOLDHURST, Raid ! The Untold Story of Patton's Secret Mission, Dell Publishing, 1981, 262 p.

"La seule erreur que j'ai faite durant la campagne en Europe est de n'avoir pas envoyé un Combat Command à Hammelburg". Voilà comment le général Patton résume dans son journal personnel, publié après sa mort, le désastreux raid de la Task Force Baum sur le camp de prisonniers allemand d'Hammelburg. C'est un épisode méconnu du parcours de Blood and guts. Il est parfois occulté dans des biographies consacrées à Patton, comme celle de Y. Kadari parue il y a quelques années qui n'en parle même pas. J'avais commis il y a quelques années un article de synthèse pour le magazine 2ème Guerre Mondiale sur cet épisode. Richard Goldhurst, lui-même vétéran de la Seconde Guerre mondiale, s'attache dans ce livre à en retracer l'histoire, avec l'aide de deux des acteurs de l'épisode, Baum, et Richard Baron. C'est l'un des seuls ouvrages disponibles sur le sujet, avec celui de Charles Whiting.

C'est le 25 mars 1945, au moment où les troupes américaines traversent le Main en Allemagne, que Patton envisage de lancer un raid sur le camp de prisonniers d'Hammelburg. Objectif : retrouver et ramener John Waters, le propre gendre de Patton, capturé en Afrique du Nord en 1943 et tout juste transféré d'un camp en Pologne dans celui d'Hammelburg. La mission échoit à la 4th Armored Division, unité d'élite particulièrement appréciée par Patton, et à son Combat Command B commandé par Creighton Abrams, futur commandant en chef au Viêtnam et futur chef d'état-major de l'armée américaine. Abrams et Cohen, qui commande le 10th Armored Infantry Battalion, choisissent, en accord avec Patton, le capitaine Baum pour commander la Task Force. L'objectif de la mission reste secret : Patton et son aide de camp le major Stiller, qui accompagne la Task Force pour reconnaître et ramener Waters, insistent sur le fait qu'il s'agit de délivrer les prisonniers. Abrams voudrait envoyer son Combat Command au complet mais Patton, pour des raisons de discrétion, limite l'opération à un effectif réduit : 53 véhicules au total, et 294 hommes, avec chars M-5 Stuart, M-4 Sherman (avec quelques exemplaires de la version à canon de 105), half-tracks et jeeps. Mais la force n'a pas assez de véhicules pour ramener tous les prisonniers et surtout, pas un ravitaillement en essence suffisant pour faire l'aller-retour. L'impréparation et le surcroît de confiance, au niveau de Patton, sont criants.




Le raid est compliqué, outre son caractère secret, par le fait qu'il doit se lancer derrière les lignes ennemies alors même que les Américains combattent pour s'emparer de la ville d'Aschaffenbourg. La Task Force doit passer dans la nuit du 26 au 27 mars par le village de Schweinheim, au sud de la ville, qui n'est pas encore nettoyé ; en outre la 3ème armée américaine de Patton laisse la place à la 7ème armée, ce qui signifie que l'unité-mère de Baum, la 4th Armored, ne sera plus là lors de son retour en raison de cette redéfinition des secteurs d'opérations des armées américaines en Allemagne. La Task Force se fraie un passage dans Schweinheim où combattent les camarades de la 4th Armored, non sans mal ; c'est dans la nuit que Baum apprend de Stiller le véritable objectif de l'opération, ce qui le laisse un peu amer.

La cible du raid, le camp d'Hammelburg, est situé au sud de la ville du même nom. L'Oflag XIIIB accueille 4 000 officiers serbes capturés en 1941, puis des officiers américains. On trouve aussi un Stalag non loin. Mais surtout, le secteur sert de centre d'entraînement à l'armée allemande depuis l'époque de la Reichswehr pour le combat de chars et antichar. 1 500 officiers américains arrivent dans le camp à partir de janvier 1945 ; ce sont ceux capturés après la contre-offensive dans les Ardennes et l'opération Nordwind, entre autres. Parmi eux, Richard Baron, de la 45th Infantry Division, coauteur du livre. Les officiers américains sont majoritairement ceux de la 106th Infantry Division, taillée en pièce par les Allemands dans les Ardennes ; démoralisés, pour la plupart novices, ils s'effondrent en captivité et l'ambiance dans le camp s'en ressent. C'est à l'arrivée des officiers détenus à l'Oflag 64 de Szubin en Pologne, en mars 1945, rapatriés à l'ouest par les Allemands, contingent dont fait partie Waters, que les choses s'améliorent : ce groupe est en effet beaucoup plus discipliné et a conservé le moral, ce qui change immédiatement la situation dans le camp d'Hammelburg.

La Task Force Baum profite d'abord de l'effet de surprise et rejoint l'autoroute 26 à l'est de Schweinheim. Baum prend la précaution de détruire les poteaux télégraphiques, il n'empêche qu'il ne peut garder les soldats allemands capturés, se contentant de détruire leurs armes ; le commandement allemand est au courant de la pénétration mais pense qu'il s'agit de l'avant-garde de la 3ème armée de Patton. Un premier Sherman est détruit au Panzerfaust avant la localité de Lohr ; les Américains y manquent le général Obstfelder, qui commande l'armée allemande au sud du pays, et qui fait suivre la colonne par des avions de reconnaissance. Il prévient aussi la garnison de Gemünden, prochaine ville que va traverser Baum : si la colonne détruit un dépôt ferroviaire et d'autres objectifs, elle bute sur la résistance allemande dans la ville qui fait sauter le pont que compter emprunter la Task Force, celle-ci subissant d'autres pertes. Malgré les communications radios avec un Piper Cub, Baum n'aura jamais de soutien aérien continu à sa disposition, ce qui est aussi un handicap dans son opération. Baum doit arrêter des locaux pour s'orienter désormais ; il capture même un général, Lotz, qui parvient à s'échappe plus tard, ce qui permet à Obstfelder, renseigné par les avions d'observation, de préparer la défense sur la route de Hammelburg. Le colonel Hoepple, qui a le commandement opérationnel du secteur derrière le général von Goeckel, qui dirige le camp, rameute les unités à l'entraînement dans la zone et des blindés.

La Task Force Baum est accrochée à l'approche d'Hammelburg par les Panzerjäger du capitaine Koehl. Les Sherman à canon de 105 parviennent à les repousser et détruisent en prime la colonne qui leur apportait carburant et munitions. Mais les Panzerjäger ont également détruit la réserve d'essence de Baum. La Task Force investit le camp de prisonniers ; Waters, sorti avec un drapeau blanc pour faire cesser les combats, est gravement blessé par un soldat allemand nerveux. Baum découvre qu'il ne pourra pas ramener tous les prisonniers : l'annonce décourage nombre de ces derniers, qui préfère rester dans le camp. Waters est en plus intransportable. Baum doit se dépêcher de partir, en empruntant un autre itinéraire qu'à l'aller : un Sherman est encore détruit par un Panzerfaust avant même le départ de la colonne du camp...

Le colonel Hoepple a organisé le blocage des itinéraires de fuite vers l'ouest. Baum se heurte à un mur à Höllrich, où des chars et des Panzerfaüste prélèvent leur dîme en véhicules ; un crochet par le sud à Hessdorf se finit par le même résultat. Baum fait replier le reste de la colonne sur la colline 427, entre Höllrich et Hammelburg, qui domine le secteur. Des prisonniers préfèrent alors retourner dans le camp. Les Allemands, qui connaissent bien le terrain et qui sont bien renseignés sur les mouvements des Américains, préparent une attaque à l'aube. Alors que la Task Force Baum se prépare à repartir au matin du 28 mars, les Allemands déclenchent l'hallali. Les tirs font s'effondrer la grange où tous les blessés avaient été déposés (ils meurent tous) ; les véhicules restants sont détruits ou capturés ; les Américains sont tués, blessés ou faits prisonniers. Charles Graham, qui commandait la section de Sherman à canon de 105, sera l'un des seuls à rejoindre les lignes américaines. Les prisonniers sont transférés à Nuremberg puis au nord de Munich dans un des plus gros camps restants. Baum, blessé, assiste à la libération du camp d'Hammelburg où il a dû rester par la 14th Armored Division de la 7th Army ; un chirurgien vient chercher Waters et l'évacue par avion, laissant les autres prisonniers blessés, dont Baum, qui de nouveau ressent beaucoup d'amertume. Evacué dans un hôpital militaire américain à Gotha, Baum reçoit la visite de Patton, qui lui remet la DSC, sans cacher son malaise devant les questions du commandant de la Task Force. D'un commun accord tacite, l'histoire est enterrée.

Baum est mort en 2013, plus de trente ans après la parution de ce livre. Le raid désastreux de la Task Force Baum reste toujours assez méconnu. Patton a veillé, avant sa mort, à ce qu'il reste dans l'ombre. Il faut dire que l'opération, à quelques semaines de la fin de la guerre, par son manque de préparation et un optimisme de bon aloi, rappelle quelques précédents d'une autre échelle, comme l'opération Market-Garden.

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