mercredi 8 novembre 2017

Mike DAVIS, Petite histoire de la voiture piégée, Paris, La Découverte/Poche, 2012, 241 p.

Excellente initiative des éditions La Découverte d'avoir traduit en français le petit opuscule de Mike Davis, Buda's Wagon, initialement paru en anglais en 2007.

Le titre est inspiré par le nom de Mario Buda, qui gare sa charrette bourrée d'explosifs près de Wall Street en 1920. Le premier véhicule piégé du XXème siècle fera des dégâts considérables. L'arme, ici utilisée par un anarchiste, devient rapidement "le bombardier du pauvre". L'arme est efficace, impressionne, est relativement bon marché, facile à mettre en oeuvre, tue de manière indiscriminée et laisse peu de traces tout en donnant un rôle de poids à des acteurs qui n'en ont, au départ, pas forcément.

La motorisation du chariot de Buda intervient dès 1921 chez les anarchistes catalans.  Un fermier du Michigan utilise aussi un véhicule piégé en 1927 pour sa "vengeance" personnelle, puis les opposants cubains dans les années 1930. Les groupes radicaux sionistes comme le groupe Stern s'emparent de l'arme en Palestine en 1947-1948, bientôt imités par leurs adversaires.

Le Viêtminh emploie quant à lui des bicyclettes piégées pendant la guerre d'Indochine, tandis que l'OAS se sert des véhicules piégés lors de sa funeste campagne d'attentats en 1962. On verra ensuite les engins mis en oeuvre par la mafia sicilienne lors de luttes de pouvoir, puis en Corse par les mouvements indépendantistes. Le Viêtcong mène une savante campagne d'attentats, notamment à la voiture piégée, entre 1963 et 1966, jusqu'au début de l'intervention américaine au Viêtnam, à Saïgon en particulier.

Les étudiants américains du SDS vont combiner le nitrate d'ammonium au fioul qui va renforcer les dégâts causés par les véhicules piégés. L'IRA se sert bientôt de ce même mélange, ainsi que les auteurs de l'attaque à Dublin et Monaghan, dont on se demande si elle n'est pas le fait de membres des forces armées britanniques. Beyrouth, avec la guerre civile libanaise, devient un champ d'emploi massif des véhicules piégés, utilisés par quasiment tous les camps en présence. Le Hezbollah y rajoute le kamikaze qui guide le véhicule jusqu'à la cible, formule promise à un trop brillant avenir. Les moujahidines afghans sont également formés, via le Pakistan, aux techniques permettant de concocter pièges explosifs et voitures piégées pour semer la terreur dans les rangs de l'armée soviétique.

Le Hezbollah, avec ses véhicules kamikazes, fait des émules dans des mouvements qui ne sont pas forcément marqués par le référent religieux : le Parti Social Nationaliste Syrien, qui opère aussi à Beyrouth, et surtout les Tigres Tamouls du Sri Lanka, qui commencent à utiliser les véhicules suicides en 1984. L'ETA utilise aussi les véhicules piégés lors de sa campagne d'attentats des années 1980, de même que Pablo Escobar, chef de cartel colombien, dans les années 1980 et 1990. Le Sentier Lumineux attaque également au véhicule piégé au Pérou ; on retrouve l'arme à Bombay, puis dans les mains de l'extrême-droite sud-africaine en 1995. Le Hezbollah s'en sert pour frapper les Israëliens en Argentine, et l'arme réapparaît durant la guerre civile algérienne, alors que les Tigres Tamouls dévastent Colombo avec leurs explosions. La mafia utilise les voitures piégées pour terroriser et éliminer des adversaires de haute valeur ; l'IRA frappe la City.

Les Américains sont visés à leur tour, avec le premier attentat contre le World Trade Center (1993) et l'attaque d'Oklahoma City (1995). Les intérêts américains sont aussi frappés en Arabie Saoudite avec l'attaque des tours de Khobar (1996), avant qu'al-Qaïda n'emploie les voitures piégées en Tanzanie et au Kenya (1998). Après les attentats du 11 septembre, l'emploi des véhicules piégés se généralise, en Indonésie, au Pakistan... les Tchétchènes ont rajouté l'utilisation de femmes kamikazes. Zarqawi, le père historique de ce qui est aujourd'hui l'Etat Islamique, commence à jeter les bases d'un emploi industriel du véhicule piégé, kamikaze ou non.

Bien qu'il s'arrête en 2007, le propos ne perd rien de sa pertinence. Nouveau vecteur d'une "apocalypse motorisée", les véhicules piégés, kamikazes, sont devenus une arme à part entière, par exemple, de l'arsenal militaire de l'Etat islamique, qui en a fait un usage quasi industriel sur le champ de bataille. Cette histoire reste d'ailleurs à écrire. La menace posée par les véhicules piégées demeure bien présente.


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