dimanche 10 décembre 2017

Heinz GUDERIAN, Panzer Leader, Da Capo Press, 1996, 528 p.

Une des rares traductions récentes, en anglais, des mémoires de Guderian (1951), sous le titre "Panzer Leader". L'introduction est signée Kenneth Macksey, historien militaire et ancien officier des chars britannique, qui avait signé une biographie de Guderian en 1975, révisée quelques décennies plus tard. Macksey justifie la mise à jour de la biographie par les nouvelles informations venant d'Ultra, par le débat autour de Liddell Hart, qui signe la préface de la parution originale en anglais des mémoires de Guderian -et qui appuie l'ouvrage en demandant à Guderian d'insister sur son propre rôle, dans la traduction anglaise, comme inspirateur des nouvelles théories en matière de combat blindé- et par les informations qu'il a recueillies auprès de la famille de Guderian et de celle de Fellgiebel, qui dirigeait les communications à Rastenbourg au moment de l'attentat du 20 juillet 1944. Cette biographie pourtant demeure incomplète, car Macksey refuse d'aborder certaines questions primordiales dans l'interprétation du personnage : la relation avec Hitler (qui le couvre de cadeaux), le caractère impulsif et parfois brutal de Guderian, les liens avec le parti nazi et son idéologie, le fait que Guderian avance dans ses mémoires une stratégie méditerranéenne après la chute de la France, ce qui semble réécrit, la question de la poussée sur Moscou à l'été-automne 1941, et le dénigrement de Liddell Hart, qui certes a cherché à se mettre en avant mais dont le travail entier n'est pas forcément déconsidéré par cette posture. La biographie n'est pas hagiographique, mais on n'en est pas très loin.

Il manque donc à cette édition de l'autobiographie de Guderian un commentaire critique, comme c'est souvent le cas dans ce type de publication. C'est d'autant plus dommage que Guderian expédie sa carrière avant l'entre-deux-guerres, depuis sa naissance, en 2 pages (!) et ne parle pas de son parcours après 1945.

Guderian souligne le rôle d'Hitler dans le développement de l'arme blindée allemande à partir de 1933. Il explique que les nombreuses pannes mécaniques durant l'invasion de la Tchécoslovaquie sont dues à des problèmes logistiques. Durant la campagne de Pologne, il reprend le mythe des lanciers polonais chargeant les chars (!). Quand il raconte la campagne de France, il se fait l'avocat d'une poursuite de la guerre pour capturer la côte méditerranéenne et les colonies françaises, ce qui est sans doute une réécriture. Il ne réagit pas spécialement contre le plan d'invasion de l'URSS ; tout va bien pour lui jusqu'à la capture de Smolensk, et il pense que les Allemands peuvent mener de front la prise de Léningrad et la poussée sur Moscou. Mais il se désole quand Hitler lance son Panzer Gruppe au sud, vers l'Ukraine, en août 1941. Il date de ce moment le micro-management d'Hitler et son immixtion dans les décisions militaires à un détail trop important. Au moment de l'échec devant Moscou, il regrette que les réserves en hommes et en matériel servent à constituer de nouvelles unités et non à renforcer celles déjà existantes. Ses critiques contre le haut-commandement, patentes au moment de la campagne de France, se renforcent après son limogeage de décembre 1941 et sa querelle avec von Kluge. Pour lui, la décision de la capitulation sans conditions de l'Allemagne par les alliés est une grave erreur : il pensait à une paix séparée pour se retourner contre les Soviétiques. En tant qu'inspecteur général des troupes blindées, il se lamente de la décision d'Hitler de prendre l'offensive à Koursk -et il le refait à chaque nouvelle offensive voulue par Hitler. Il ne fait rien pour appuyer ou soutenir la conjuration d'officiers qui mène à l'attentat du 20 juillet ; en revanche il fait partie de la cour militaire qui juge les coupables. Il affirme que ses troupes se sont bien comportées sur le champ de bataille, et avec "compassion" envers la population civile, ce dont on peut douter : ses fonctions l'ont certainement amené aussi à voir l'exploitation de l'homme par les nazis, par exemple dans les usines de production. Guderian exprime peu de regrets sinon celui de n'avoir pas amené l'Allemagne à la victoire et surtout d'avoir réussi à infléchir Hitler, ce qu'il a l'air de prendre comme un échec personnel.

Il faut lire toutefois les mémoires de Guderian, pour comprendre comment les généraux allemands, après la Seconde Guerre mondiale, ont participé à la création d'une histoire bien particulière du conflit. Laquelle est désormais bien remise en cause, parfois avec plus ou moins d'excès.

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