jeudi 18 janvier 2018

Steven J. ZALOGA, Inside the Blue Berets. A Combat History of Soviet and Russian Airborne Forces 1930-1995, Presidio Press, 1995, 339 p.

On ne présente plus Steven Zaloga, auteur de multiples ouvrages, dont de nombreux volumes Osprey, sur les forces russes ou soviétiques. Dans cet ouvrage plus conséquent, maintenant un peu daté (1995), il retrace l'histoire des forces aéroportées russes jusqu'à cette date, prenant la suite de David Glantz qui avait déjà écrit un ouvrage sur le même sujet s'arrêtant en 1985.

Les Soviétiques ont en effet été des pionniers de l'armée aéroportée, réalisant leurs premiers sauts dès 1930 à Voronej. Les parachutistes russes sont cependant handicapés par l'absence d'une véritable flotte d'avions de transport (on reconvertit les vénérables bombardiers TB-3 pour larguer, depuis l'aile parfois, les paras...) et de planeurs. Les manoeuvres de Kiev, en 1935, impressionnent toutefois de nombreux observateurs étrangers, dont les Allemands, avec le destin que l'on sait.

Les purges de 1937-1938 décapitent aussi, dans l'armée, le commandement des VDV, les forces aéroportées soviétiques. Toutefois, Zaloga s'accroche encore à l'idée que les purges ont brisé dans l'oeuf les conceptions révolutionnaires des penseurs soviétiques comme Toukhatchvesky. D'autres historiens soulignent maintenant que ces innovations, comme la bataille en profondeur, étaient sans doute peu adaptés à la réalité du temps de l'armée soviétique, comme le montrent d'ailleurs les exercices d'entraînement. Les paras sont engagés comme infanterie dans la bataille de Khalkin-Gol, puis en Finlande ; c'est que durant l'occupation de la Bessarabie en Roumanie que des opérations aéroportées ont de nouveau lieu, sans grande opposition. Les VDV connaissent des réorganisations structurelles successives, pour finir par contenir des corps d'armée à plusieurs brigades au moment du déclenchement de Barbarossa. Là encore engagés comme infanterie, les paras sont décimés, même s'ils contribuent à ralentir Guderian sur la route d'Orel, à Mtsensk, en octobre 1941.

 

Les paras sont toutefois réorganisés et utilisés durant la contre-offensive devant Moscou et jusqu'à Rjev/Vyazma, entre décembre 1941 et février 1942. Cependant, l'armée aéroportée manque de moyens de transport ; les paras ne coordonnent pas leur action avec les troupes au sol, le commandement soviétique sous-estime l'adversaire, le terrain est difficile, et les Soviétiques doivent mener une  guerre de harcèlement sur les arrières allemands, avec les cavaliers et les partisans. Les pertes sont lourdes pour un résultat assez maigre. L'assaut aéroporté à Demyansk, en mars, connaît un sort identique. Cela n'empêchera pas la flotte de la mer Noire de former des détachements de parachutistes pour mener des opérations spéciales. 

La Stavka affecte alors de nombreux officiers et soldats parachutistes à l'encadrement des partisans, qu'un état-major général créé en mai 1942 tente de chapeauter, notamment en Biélorussie. En revanche, malgré l'aide du Lend Lease qui fournit des C-47, les avions de transport, comme le PS-84/Li-2, sont affectés par l'armée de l'air au bombardement stratégique ; les pilotes restent, mais le transport des paras n'est pas la priorité. Les planeurs sont affectés aux opérations de ravitaillement/liaison avec les partisans. En 1943, les paras combattent encore comme infanterie de choc à Koursk.

En septembre 1943, pour aider au franchissement du Dniepr, les Soviétiques larguent plusieurs brigades de parachutistes au-delà du fleuve. L'opération tourne au désastre : les zones de largage n'ont pas été reconnues avant le saut, or les Allemands y sont établis en force ; le temps est mauvais, le nombre d'avions est insuffisant, les paras n'ont pas d'éclaireurs pour baliser la zone de saut, manquent d'armes antichars... cet échec met un point final aux opérations aéroportées de grande envergure jusqu'à la fin du conflit. Un an plus tard, les Soviétiques expédient une brigade slovaque en Slovaquie pour soutenir les partisans ; en août 1945, lors de l'assaut en Mandchourie et en Corée, des paras sont utilisés, mais à plus petite échelle.

Les forces aéroportées soviétiques sont conservées après la guerre et passent sous la responsabilité directe du ministère de la Défense. Elles obtiennent enfin une flotte de transport acceptable, avec l'entrée en service de nouveaux appareils comme l'Il-12. On conçoit pour elles un blindé aérotransporté, l'ASU-57, des armes antichars (famille des RPG, canons sans recul B-10, B-11), de nouvelles radios, de nouveaux parachutes... En novembre 1956, ce sont les paras soviétiques qui reprennent Budapest entrée en insurrection. Leur mobilité stratégique et leur capacité reconnue de troupes d'élite en font un outil précieux pour Moscou.

Les VDV reçoivent la part du lion en termes de qualité de recrutement. Les paras ont d'ailleurs des recrues essentiellement slaves, et peu des minorités. Le général Margelov, qui dirige pendant longtemps les VDV, va accompagner leur évolution pendant la révolution militaire soviétique, accélérant leur mécanisation. De nouveaux appareils comme l'An-12 augmentent les capacités de transport ; le transport aérien militaire soviétique développe une branche spécialement affectée aux paras. Les capacités blindées des paras se développent avec l'entrée en service de l'ASU-85, puis de BRDM-2 équipés de missiles antichars, Sagger au départ. Margelov contribue à donner une identité propre aux VDV en les affublant de la chemise de marin rayée bleu et blanc (il a servi dans les fusiliers marins pendant la Grande Guerre Patriotique) et de leur fameux béret bleu qui leur donne leur surnom. La puissance aéroportée soviétique se manifeste durant l'exercice Dniepr en 1967, où les paras sont déployés en nombre. Elle a l'occasion de faire la preuve de son efficacité lors de l'opération Danube, le raid éclair pour museler la contestation tchécoslovaque en août 1968 ; opération qui se déroule quasiment sans effusion de sang de par l'action des paras.

Le désir de mécanisation des VDV, qui existe depuis les débats théoriques des années 30, puis en raison de la nucléarisation hypothétique du champ de bataille, se développe avec l'entrée en service d'avions de transport plus lourds, comme l'Il-76 Candid. Le BMD-1 entre en service dès 1968, six ans avant l'arrivée du Candid. Les Soviétiques vont même jusqu'à tester le largage de BMD-1 avec l'équipage à bord (!). Suivent le BTR-D, le BREM-D, le 2S9 Nona, puis le BMD-2 dans les années 1980. L'accroissement de la puissance de feu (mortiers, armes antichars, AGS-17, missiles sol-air portables) s'accompagne d'une réduction des effectifs : le régiment passe de 2 000 hommes à 1 450 une fois mécanisé. En 1990, le transport aérien pour les paras compte 664 appareils, dont 435 Candid. Arme stratégique, les VDV deviennent l'arme d'élite de l'armée soviétique sous Brejnev, drainant les meilleurs officiers.

Après avoir développé des autogyres avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques ne mettent au point des hélicoptères qu'assez tard, dans les années 1950. Mikhail Mil domine la scène. Les limitations techniques empêchent de mettre au point de véritables tactiques d'assaut héliportées, même si les hélicoptères sont utilisés dans ce rôle à Budapest de manière restreinte. Il faut les hélicoptères à turbine, Mi-6 et surtout Mi-8, pour qu le concept d'assaut héliporté prenne enfin du sens. C'est aussi dans la décennie 1960 que les Soviétiques mettent au point leurs hélicoptères d'attaque, avec le Mi-24. Véritable monstre, ce dernier a d'ailleurs une capacité de transport, antichar avec des missiles, et largue même des bombes. Toutefois, les Soviétiques n'ont pas assez d'hélicoptères pour les placer dans la structure organique même des divisions comme le font les Américains. Les régiments d'hélicoptères convoient seulement des bataillons de fusiliers motorisés ; ce n'est qu'à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que les Soviétiques créent de véritables unités aéromobiles, brigades, puis brigades d'assaut aérien.

Dans le chapitre 10, Zaloga dresse un portrait des autres unités d'élite soviétique : Spetsnaz, infanterie navale et ses forces spéciales, unités paramilitaires, unités antiterroristes... dès le premier jour de l'invasion en Afghanistan, en décembre 1979, les VDV sont de la partie, notamment à Kaboul. Les combats en Afghanistan accélèrent l'aéromobilité, qui devient indispensable au vu du terrain et de l'adversaire. Les paras troquent vite le BMD-1 contre le BTR-60PB et le BMP-2. Malgré tout, les opérations aéromobiles ne permettent pas de gagner la guerre. L'introduction des missiles Stinger en 1986 ne fait pas augmenter drastiquement les pertes mais prive les Soviétiques d'une bonne partie de leur appui aérien rapproché, pour éviter les destructions. Le retrait vient comme un goût amer pour les VDV, qui ont été à la pointe des combats, sans pour autant être reconnues à leur retour.

Avec la chute de l'URSS, les paras sont utilisés pour le maintien de l'ordre, notamment en Azerbaïdjan et en Arménie. Puis ils sont employés lors du coup de force en août 1991, qui finit par échouer. Avec la dissolution de l'URSS, les divisions aéroportées sont rapatriées en Russie, mais certaines sont aussi absorbées par les nouvelles républiques, comme la 103ème en Biélorussie, ou impliquées dans des combats locaux, comme en Moldavie, ou dans le Caucase. La 105ème division basée en Asie centrale est démantelée.

Zaloga terminait son ouvrage sur l'idée que les VDV continueraient d'être une élite au sein de l'armée russe, bien que le caractère aéroporté, toujours dominant, ait freiné l'aéromobilité. C'est effectivement le cas aujourd'hui : on retrouve les paras russes en Syrie, et ailleurs (Ukraine), et ils constituent encore une des meilleures troupes d'une armée russe reformatée.


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