samedi 6 novembre 2021

Tony LE TISSIER, The Siege of Küstrin. Gateway to Berlin, 1945, Stackpole Books, 2009, 312 p.

 

Auteur : Tony Le Tissier (né en 1932) est un auteur britannique, qui s'intéresse particulièrement aux derniers mois de la Seconde Guerre mondiale sur le front de l'est. Lieutenant-colonel dans l'armée britannique, il a été le dernier gouverneur militaire de la prison de Spandau, où ont été enfermés des criminels de guerre nazis tels Rudolf Hess ou Albert Speer. Il a ensuite résidé à Berlin où il a entamé des recherches pour l'écriture de ses ouvrages.

Edition : le livre est édité chez Stackpole Books, une maison d'édition née en 1930 aux Etats-Unis, en Pennsylvanie. La compagnie d'origine a fusionné en 1959 avec une autre branche qui publiait des documents militaires. Elle a commencé à publier des livres d'histoire tels que ceux-ci dans les années 1950, notamment sur la guerre de Sécession. La qualité des ouvrages publiés dépend souvent des auteurs, cela peut être assez inégal.

Analyse : Dans la très courte introduction (moins d'une page), l'auteur explique qu'il a puisé pour son livre dans 2 recueils allemands de témoignages de survivants du siège, et qu'il a consulté le musée de Seelow. Le livre prend donc la forme d'une compilation d'extraits de témoignages mis en contexte par des passages tirés de sources secondaires. A la lecture, c'est parfois un peu long, même si les témoignages sont très vivants.

Le Tissier fait l'historique de la forteresse de Küstrin, surtout développée aux XVIIIème siècle par Frédéric II, renforcée au XIXème siècle. La vieille ville (Altstadt) est construite sur une péninsule au confluent de la Warthe et de l'Oder. La ville nouvelle (Neustadt) se développe avec le chemin de fer à l'est de l'Oder dans la seconde moitié du XIXème siècle. Les nazis rebaptisent comme partout ailleurs les rues ou certains lieux publics. A partir de 1939, la ville est protégée par des unités de Flak, et n'est touchée que 2 fois par des bombes suite à des raids sur Berlin. L'aviation anglo-américaine ne prend pas la ville pour cible, et la Flak de Küstrin n'est pas très entraînée. A partir du 20 janvier 1945, après le déclenchement de l'offensive Vistule-Oder par les Soviétiques, les premiers trains de réfugiés arrivent dans la localité. La Volkssturm locale est mobilisée le 24 janvier. Il y a au château de Küstrin des officiers accusés d'avoir participé au complot du 20 juillet 1944. Le Stalag IIIC a déjà été vidé de ses prisonniers qui doivent parfois traverser l'Oder gelé.

Küstrin est déclarée "forteresse" le 25 janvier. La défense est dirigée par le général Raegener, qui dispose de peu d'effectifs à part les miliciens locaux et des membres de bataillons de remplacement stationnés dans la ville. Des tourelles de chars Panther arrivent pour être positionnées tant bien que mal sur des bunkers. Les 21. Panzer Division et 25. Panzergrenadier Division sont retirées du front de l'ouest pour venir défendre le secteur. Les nazis créent aussi la Panzer Division Müncheberg, du nom d'une localité de la région, pour gonfler la résistance.

Le front allemand s'étant désintégré sous la poussée soviétique, la 219ème brigade blindée de la 2ème armée de chars de la Garde parvient à faire pénétrer 15 à 20 chars dans Neustadt, la partie de Küstrin sur la rive est de l'Oder, le 31 janvier 1945, le jour même où le flot de réfugiés traversant la ville s'était arrêté. Le raid surprend les premiers éléments de la 25. Panzergrenadier Division tout juste arrivés en gare. Les chars soviétiques sont stoppés en catastrophe à coups de Panzerfaüste et les survivants se replient - l'unité soviétique était manifestement équipée de chars du Lend-Lease, puisque les Allemands témoignant parlent de Sherman et d'un Valentine III. Les Soviétiques constituent des têtes de pont sur l'Oder au nord et au sud de Küstrin, ce qui expose rapidement la ville à être encerclée, les Allemands n'arrivant pas à les réduire avec des contre-attaques engageant des effectifs trop faibles.

Küstrin se retrouve assiégée avec 8 à 10 000 civils pris au piège. Les Soviétiques, après l'échec du raid "coup de sonde", ne peuvent pas concentrer au départ suffisamment de moyens pour l'emporter : des unités de la 8ème armée de la Garde de Tchouikov termine le siège de Poznan, et l'offensive contre la Poméranie se développe pour protéger le flanc droit de la pénétration soviétique jusqu'à l'Oder. Le commandant de la garnison de Küstrin est remplacé par le général SS Reinefarth, tristement célèbre pour ses exactions dans la répression du soulèvement de Varsovie en 1944, mais qui s'avèrera un piètre commandant militaire, nommant un colonel inexpérimenté de la Feldgendarmerie pour défendre la rive est. Alors que les premiers obus tombent sur la ville, la 8ème armée de la Garde pousse à partir de la tête de pont au sud de Küstrin pour faire la jonction avec celle du nord, sur la rive ouest de l'Oder. Le 3 février, la Luftwaffe intervient en masse pour freiner l'avance soviétique. Le 5 février, Küstrin voit son dernier accès terrestre vers l'ouest coupé par l'Armée Rouge. Le parti nazi lance un journal local, tandis que les pelotons d'exécution passent par les armes 14 Ostarbeiter accusés de pillage - de nombreux soldats allemands seront pendus pendant le siège pour la même raison ou sur l'accusation d'avoir déserté. Reinefarth dispose de 8 à 9000 hommes, un ensemble hétéroclite comprenant même des bataillons turkmènes ou du Nord-Caucase, des Hongrois et surtout des unités de Flak. Il divise la défense en deux secteurs : Altstadt et la rive ouest sont dirigés par le major Wegner, un vétéran de l'infanterie, Neustadt par Walther, le colonel sans expérience de la Feldgendarmerie. La 21. Panzer Division parvient à ouvrir un corridor à l'ouest en direction de Küstrin, relevée ensuite par la 25. Panzergrenadier Division. Ce corridor permet d'évacuer une partie de la population civile et d'obtenir du ravitaillement pour soutenir le siège. Les Soviétiques bombardent Küstrin avec leur artillerie puis leur aviation. Une guerre de positions s'installe, qui n'est pas sans rappeler la guerre des tranchées : les Soviétiques font bon usage de leurs tireurs d'élite, et cherchent à s'approcher au plus près des positions adverses, en creusant.

A partir du 19 février, les autorités accélèrent l'évacuation des civils, alors que l'artillerie soviétique bizarrement ne profite pas de la situation pour cause des pertes aux Allemands. Des soldats sont encore pendus pour des pillages. Körner, le responsable local du parti, organise l'évacuation mais 500 à 600 civils seront encore dans Neustadt quand les Soviétiques s'en empareront. La chute de Poznan libère des formations soviétiques de la 8ème armée de la Garde, ce qui va accélérer le cours des événements. Pour maintenir le moral de la garnison, le parti ouvre un cinéma de campagne pour les défenseurs. Les Soviétiques maintiennent la pression par des tirs d'artillerie et les raids nocturnes des Po-2. L'assaut sur Neustadt, préparé de longue date, débute le 7 mars. L'aviation soviétique engage plus d'une centaine de bombardiers en plus de l'artillerie. Les sapeurs font sauter les ponts sur la Warthe pour empêcher l'Armée Rouge de traverser. La 5ème armée de choc met 4 jours à venir à bout de la résistance des 3/5ème de la garnison : 3 000 soldats allemands sont morts, plus de 2 700 ont été capturés. Le général Berzarin annonce la prise de Küstrin, mais il ne s'agit en réalité que la partie sur la rive orientale de l'Oder... la 8ème armée de la Garde pousse par le sud sur la rive ouest tandis que la 5ème armée de choc prend à sa charge l'assaut sur l'Altstadt. Les Soviétiques procèdent ainsi à un double enveloppement : un anneau intérieur enserre les défenseurs de Küstrin, tandis qu'un anneau extérieur garde contre les tentatives de contre-attaque depuis l'ouest, comme à Stalingrad. Les tentatives de dégagement menées par la 25. Panzergrenadier Division et la Panzer Division Müncheberg ne débouchent pas, de même que la contre-offensive plus importante menée fin mars sous l'autorité du général Heinrici, nouveau commandant du groupe d'armées Vistule. A ce moment-là, les Soviétiques tirent plus de 1 000 obus par heure sur la ville assiégée. L'attaque finale débute le 29 mars. Les restes de la Volkssturm mettent bas les armes tandis que Reinefarth dirige une tentative de percée vers l'ouest, alors même qu'Hitler a donné l'ordre de se battre jusqu'au dernier homme après que le commandant de la place ait demandé l'autorisation de tenter une sortie. Près d'un millier d'hommes parviennent à gagner les lignes de la 9. Armee à travers les positions soviétiques, parfois victimes aussi du feu de leurs camarades qui n'ont pas été prévenus de la percée. Les survivants combattront sur les hauteurs de Seelow au moment de l'offensive de l'Armée Rouge sur Berlin. Küstrin est prise le 31 mars. Reinefarth ne sera pas inquiété ni par les nazis, ni par la justice alliée. Relâché en 1948, il meurt tranquillement sur l'île de Sylt en 1979. Les Soviétiques auraient perdu 5 000 morts et 15 000 blessés dans le siège de Küstrin. Les ponts de chemin de fer de Küstrin sur l'Oder seront détruits par la Luftwaffe et ses Mistel en avril, au moment de l'offensive soviétique sur Berlin.

Illustrations/cartes : 11 cartes illustrent le texte. La première montre le siège de la ville par les Russes en 1758 et n'a pas grande utilité. Les suivantes permettent de se situer quelque peu mais il manque des cartes de position du front et les principaux repères généraux de l'ensemble de Küstrin (les cartes n'en montrent que des parties). Au milieu de l'ouvrage se trouvent 8 pages de photos avec un commentaire minimum.

Conclusion : un ouvrage monocorde, n'offrant que le point de vue allemand de la bataille, hormis l'utilisation des principaux mémoires de généraux/maréchaux soviétiques ayant participé aux opérations. Il a pour lui d'être le seul en anglais sur le sujet ; il me reste à lire quelques ouvrages en allemand (ils existent) pour voir s'ils font mieux. En annexe l'auteur a fournir la composition sommaire de la garnison au 22 février 1945, le rapport de Reinefarth après sa percée et celui du Kreisleiter Körner.

vendredi 5 novembre 2021

Article : David W. Wildermuth, Who Killed Lida's Jewish Intelligentsia? A Case Study of Wehrmacht Involvement in the Holocaust's “First Hour”, Holocaust and Genocide Studies, Volume 27, Issue 1, Spring 2013, Pages 1–29

Les Allemands à Grodno, 23 juin 1941.


 https://academic.oup.com/hgs/article-abstract/27/1/1/762306

 

Auteur : David Wildermuth est professeur à l'université de Shippensburg (Pennsylvanie, Etats-Unis). Ses champs de recherche comprennent la Shoah, l'héritage culturel, démographique et historique de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne et dans l'ex-URSS. Il a signé quelques articles spécialisés sur le sujet dont celui-ci, ainsi que des fiches de lecture.

Edition : Holocaust and Genocide Studies est un journal scientifique publié par Oxford University Press, qui propose des analyses en pointe sur l'étude des différents génocides, dont la Shoah. Il est associé à l'United States Holocaust Memorial Museum. Son premier numéro date de 1986.

Analyse : l'auteur montre à travers un exemple, celui de Lida, en Biélorussie, que la Wehrmacht a pris part, dès le début de Barbarossa, à des massacres de Juifs, et qu'elle ne s'est pas contentée de demander ou de soutenir l'action des Einsatzgruppen. Ce faisant, il se pose en porte-à-faux avec certains travaux allemands récents comme ceux de Christian Hartmann, qui expliquait que la Wehrmacht n'avait pas tant massacré en 1941, les exécutions se déroulant plutôt à l'arrière du front, mais au moment de ses retraites, plus tard. Wildermuth choisit de contextualiser un micro-exemple précis, celui de la communauté juive de Lida en Biélorussie, qui comprenait 8500 personnes sur une population totale de 20 000 habitants environ. Les sources disponibles divergent sur la date et le nombre des exécutions : de 92 à 155 tués, entre les 28 juin et 5 juillet, mais toutes évoquent davantage les Einsatzgruppen que la Wehrmacht. Pour Wildermuth, c'est pourtant bien la Wehrmacht qui a massacré l'intelligentsia juive de Lida : il fait la comparaison avec le massacre de celle de Grodno, commise par le Teilkommando Haupt de l'Einsatzkommando 9. L'auteur a utilisé à la fois des sources des bourreaux - 8., 35., 161. I.D., division de sécurité 403, Einsatzgruppe B - et celles des victimes. Le Teilkommando Haupt a été crée après la visite de Heydrich à Grodno, au début de Barbarossa, pour accélérer l'extermination des Juifs. Grodno est tombé sans combat ou presque entre les mains allemandes après un bombardement aérien, dès le 23 juin. A Lidna en revanche, la 161. I.D. doit batailler aux abords de la ville avant d'y entrer le 27 juin, après des raids aériens, et alors que la localité est en proie au chaos et au pillage, les Soviétiques retraitent en étant harcelés par des nationalistes polonais qui accueillent les Allemands à bras ouverts. La 161. I.D. est relevée rapidement par la 35. I.D., qui attend à son tour l'arrivée des bataillons de la division de sécurité 403. Les deux divisions d'infanterie appartiennent à la 9. Armee, qui est une des premières à instaurer des mesures sévères contre les Juifs soviétiques, dans la ligne des directives reçues avant Barbarossa. Une des divisions allemandes a procédé dès l'occupation de la ville à l'exécution de 92 Juifs, avant de créer un conseil local juif, de regrouper les Juifs dans un camp de travail à l'extérieur de la ville et de les faire travailler pour nettoyer les ruines. Un soldat allemand témoigne avoir assisté à l'exécution de 20 Juifs sous la conduite d'un officier. La 161 I.D. associe par ailleurs dans ses rapports les soldats soviétiques du 55ème régiment de fusiliers, accusé d'avoir exécuté des prisonniers allemandes (dont un blessé) et d'avoir parfois mutilé leurs corps, à des Juifs. La 35. I.D. a également exécuté des Juifs et incendié le village de Bielica, non loin de Lida, sous prétexte que des civils auraient fait le coup de feu avec les soldats soviétiques. Des photos de soldats allemands témoignent de la dévastation à Lida après les premiers jours d'occupation. Par comparaison, à Grodno, c'est le Teilkommando Haupt de l'Einsatzgruppe B qui est à l'oeuvre, du 30 juin au 4 juillet. Les SS demandent aux Juifs de venir s'enregistrer, les rassemblent et les exécutent, ainsi que quelques Polonais, selon un schéma connu. Si la Wehrmacht n'a pas massacré les Juifs à Grodno, c'est que l'avance militaire y a été rapide, la confiscation de nourriture aisée, d'après les documents étudiés par Wildermuth. A l'inverse, les 35. I.D. et 161. I.D. ont connu de violents combats avant d'entrer dans Lida. La 35. I.D. semble marquée par au moins un cas de mutilation de cadavres allemands, et elle ne fait que 7 prisonniers en 3 jours - beaucoup ont probablement été exécutés. Ces deux divisions associent les Juifs à l'activité de guérilla, de partisans, aux exactions commises sur les soldats allemands. La division de sécurité 403, qui s'installe à Lida par la suite, a eu peu de pertes et ne procède pas à de telles représailles, l'encadrement se plaignant même que les soldats ne montrent pas assez d'allant dans la persécution des Juifs... La dureté des combats joue donc un rôle dans l'opportunité saisie par des troupes de première ligne - et non celles arrivant derrière - de participer à l'extermination des Juifs. La Wehrmacht avait ainsi intégré les "ordres criminels" et également servi d'instrument à cette politique nazie dès les premiers jours de Barbarossa.

Conclusion : un article passionnant qui montre qu'il faut se garder de toute généralisation. Le micro-exemple développé ici, à Lida, confirme que des soldats allemands ont pu participer à l'extermination des Juifs dans un contexte de combats violents où l'idéologie nazie pousse à l'exécution des prisonniers et à l'association entre le Juif et le "bolchevik", le "partisan", dans la ligne des ordres criminels diffusés avant Barbarossa, et dont les divisions concernées ici ont bien eu connaissance comme on le constate dans les documents d'archives.


jeudi 4 novembre 2021

Article : I. I. Kuznetov & A. A. Maslow (1994) The Soviet general officer corps, 1941–1942: Losses in combat, The Journal of Slavic Military Studies, 7:3, 548-566

Dovator commandait le 2ème corps de cavalerie de la Garde au moment de sa mort, le 19 décembre 1941.


 https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13518049408430159?journalCode=fslv20

 

Auteurs : I.I. Kuznetov est professeur à Irkoutsk et membre de l'Académie russe des Sciences. A. A. Maslov est un chercheur résidant près de Sumy en Ukraine. L'article a été traduit par David Glantz, qui à l'époque est le rédacteur en chef du Journal of Slavic Military Studies.

Edition : voir la présentation du journal que j'ai faite précédemment.

Analyse :  les auteurs proposent de nouvelles informations sur les pertes du corps des officiers de l'Armée Rouge, souvent dissimulées pendant la période soviétique. Cela rejoint le débat sur les pertes subies pendant la guerre, qui s'élèvent au moins à 27 millions de morts dont 8 668 400 militaires. Des généraux soviétiques sont tués dès les premiers jours des hostilités. Le 23 juin, le commandant adjoint du district militaire Ouest, Mikhailin, est tué par une frappe aérienne. Kopets, le général qui dirige l'aviation du même district, se suicide le même jour au vu des pertes subies par ses forces. Le 24 juin, le général Pouganov, chef de la 22ème division blindée, est tué lors d'une attaque de ses chars à Kobrin. Fin juin, le commandant de la 143ème division de fusiliers, Safronov, est tué. Borisov, commandant du 21ème corps de fusiliers du district Ouest, qui s'est distingué pendant la guerre d'Hiver contre la Finlande et a été remarqué par le futur maréchal Malinovsky, périt à la même période. Le commandant du 6ème corps mécanisé, Khatskilevich, est tué de même que son chef de l'artillerie, Mitrofanov. Dans l'encerclement à l'ouest de Minsk disparaissent Garnov, commandant du 5ème corps de fusiliers, son assistant Boudanov et le commandant de la 50ème division de fusiliers, Evdokimov. Boudanov était un vétéran de la guerre civile, bien noté par Joukov. Garnov, qui s'était élevé du rang depuis la Première Guerre mondiale où il avait servi comme simple soldat, avait combattu en Espagne avec les républicains. Le 8 juillet 1941, Filatov, le commandant de la 13ème armée, est mortellement blessé par un raid aérien près de Mogilev. Dans la région de la Baltique, Dedaev, commandant de la 67ème division de fusiliers, Pavlov, commandant de la 2ème division blindée, Zhurba, commandant de la 14ème division de fusiliers, sont tués (le dernier par une frappe de l'aviation également). En Ukraine, les commandants des 87ème et 124ème divisions de fusiliers et de la 12ème division blindée, ainsi que le commandant du 22ème corps mécanisé (Kondrusev) sont tués. Kondrusev, ouvrier devenu soldat, avait été décoré à la tête d'une division de fusiliers contre la Finlande. Il avait échappé à des accusations mensongères pendant les purges, en 1938, ce qui l'avait néanmoins beaucoup affecté, selon des témoignages contemporains. Durant la bataille de Smolensk, qui débute le 10 juillet 1941, 6 généraux trouvent la mort. Eremin, le commandant du 20ème corps de fusiliers, avait combattu pendant la Première Guerre mondiale, puis dans la guerre civile et en Finlande où il s'était distingué à la tête de la 50ème division de fusiliers. Petrovskii, qui dirige le 63ème corps de fusiliers, est également tué avec son chef de l'artillerie, Kazakov. Le 18 août, c'est le chef de la 61ème division de fusiliers de ce corps, Prishchep, qui décède après blessure. Le commandant de la 45ème division de fusiliers, Magon, longtemps porté disparu, a été reconnu 20 ans après la guerre comme décédé durant une tentative de percée à Mogilev le 7 août. Korneev, chef d'état-major de la 20ème armée, est abattu fin juillet ; Gorbachev, commandant la 250ème division de fusiliers, est tué le 26 juillet, 3 autres généraux sont portés disparus. 5 généraux sont tués dans la poche d'Ouman en Ukraine, dont 2 portés disparus ne seront confirmés décédés qu'en 1945, au retour de généraux prisonniers des Allemands qui témoigneront en ce sens. 9 généraux supplémentaires périssent dans l'encerclement géant de Kiev. 9 autres généraux tombent dans les combats devant Moscou. Pendant la contre-offensive soviétique de décembre 1941, 3 généraux connus meurent, dont le fameux Panfilov, commandant de la 8ème division de cavalerie de la Garde (erreur de l'article : c'est la 8ème division de fusiliers de la Garde, ancienne 316ème division de fusiliers). En avril 1942, dans la contre-offensive ratée à Viazma, Efremov, le commandant de la 33ème armée du front de l'Ouest, se suicide pour ne pas être capturé. 2 commandants de division périssent aussi sur le front de Carélie. Beaucoup d'autres généraux périssent au premier semestre 1942. Parmi les nombreux commandants de division tués sur le front de Léningrad, Bogaichuk, dont la 125ème division de fusiliers s'était distinguée sous ses directives depuis juin 1941. 2 commandants de l'aviation sont également tués durant la défense de Sébastopol. Le 11 mai 1942, Lv'ov, le commandant de la 51ème armée, est tué dans la péninsule de Kerch. La désastreuse contre-attaque soviétique à Kharkov en mai 1942 entraîne la mort de 12 généraux supplémentaires, dont Anisov, chef d'état-major remarqué de 57ème armée, et Borisov, chef d'état-major du 6ème corps de cavalerie, qui avait percé les lignes allemandes à coups de sabre à Kiev. Les Soviétiques répertorient minutieusement les circonstances des décès des généraux : ils font ainsi une enquête sur Podlas, le chef de la 57ème armée, dont les conditions de décès restaient inconnues. Plusieurs généraux périssent aussi durant l'offensive vers Stalingrad : par exemple Glaskov, le commandant de la 35ème division de fusiliers de la Garde, Broud, le commandant de l'artillerie de la 64ème armée, tué par l'aviation. D'autres tombent sur le front de Voronej, comme Lizioukov, le commandant de la 5ème armée de chars, fait Héros de l'URSS pour ses prouesses en 1941. 3 généraux périssent aussi dans le Caucase, dont Bodin, le chef d'état-major du front Transcaucase. 6 autres généraux meurent dans la partie centrale du front de l'est et 4 autres sur le front nord. 3 autres, qui avaient été dépassés par l'avance allemande de 1941 et avaient organisé des détachements de partisans, sont également tués. Au total, 133 généraux soviétiques meurent en 1941-1942 : 104 au combat, 3 de maladie, 6 se sont suicidés (dont 3 pour échapper à la capture), 3 sont morts dans des accidents d'avion et 18 sont portés disparus.

Conclusion : un article un peu fastidieux à lire en raison du nombre importants de patronymes, les auteurs listant tous les généraux tués, mais néanmoins intéressants notamment quand ils s'attardent sur le parcours des plus remarquables avant leur mort et sur l'intérêt porté par les autorités soviétiques aux circonstances de la mort et souvent de la disparition des généraux (pour savoir s'ils sont véritablement morts ou non : on sait ce qu'il adviendra des prisonniers revenus des camps allemands...).

mercredi 3 novembre 2021

Article : Vasyl Doguzov & Svitlana Rusalovs'ka (2007) The Massacre of Mental Patients in Ukraine, 1941-1943, International Journal of Mental Health, 36:1, 105-111

Des Juifs ukrainiens sont obligés de se déshabiller devant les membres de l'Einsatzgruppen qui vont les exécuter. Octobre 1941. Source : https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/gallery/einsatzgruppen-photographs

 https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2753/IMH0020-7411360110

 

Auteur : Vasyl Doguzov et Svitlana Rusalovs'ka. Doguzov est le chef du département scientifique du musée national de médecine d'Ukraine, spécialiste en relations internationales à l'université de Kiev. Rusalovs'ka est diplômée de psychiatrie à l'université de Halifax, au Canada, et psychiatre à Ottawa.

Edition : créé en 1972, l'International Journal of Mental Health est un journal spécialisé en psychiatrie et sur les disciplines liées : psychologie clinique, travail social, science comportementale. Il est actuellement dirigé par Eric Bui, professeur à l'université de Caen.

Analyse : les Allemands envahissent l'URSS avec dans l'idée d'exterminer les patients des hôpitaux psychiatriques, exceptés ceux qui peuvent travailler. Cette vision tranche avec celle existant en Ukraine avant l'invasion : les malades mentaux sont vus comme des "fous de Dieu", à traiter avec humanité et charité. Le nombre de personnes massacrées est aujourd'hui encore inconnu et s'élève probablement à plusieurs dizaines de milliers. Pendant la Première Guerre mondiale, le personnel médical de ces institutions avait souvent été transféré au front : des patients étaient morts de faim ou de dénuement faute d'approvisionnement. La victoire des bolcheviks amène une stabilisation de la situation : les institutions sont reprises en main, de nouveaux bâtiments sont construits - ailleurs que sur les anciens monastères, ce qui était souvent le cas précédemment- et le NKVD utilise les institutions pour y enfermer parfois des opposants, désignés comme "malades mentaux". A l'hôpital Pavlov de Kiev, il reste 1 500 patients au moment de l'occupation allemande. En octobre 1941, 308 patients juifs sont exécutés dans une forêt près de l'hôpital. Le personnel libère les patients et refuse de tenir les listes à jour pour les Allemands. A partir de janvier 1942, les Allemands utilisent des camions à gaz et tuent 525 personnes supplémentaires jusqu'en septembre. A Kherson, les Allemands abattent un millier de patients de l'hôpital psychiatrique, et utilisent l'endroit comme cantonnement militaire. Ils le détruisent au moment de leur retraite. A Simferopol, en Crimée, le personnel parvient à évacuer 600 des 900 patients. Les autres sont tués par un camion à gaz le 7 mars 1942. Le directeur de l'institution et sa femme se suicident avec du cyanure. A Dniepopetrovsk, les Allemands tuent 1 300 patients de l'institution du village d'Igren ; un Einsatzgruppe abat 30 à 60 personnes par jour, certains sont mis à mort en testant des poisons. Fin décembre 1941, il ne reste plus que 200 personnes : elles sont enfermées nues dans une pièce non chauffée, à -30°, où elles finissent par mourir de froid. Le site sert ensuite de camp de concentration. Dans la région de Kharkov, l'institut de Strelechansk, construit sur un couvent, est investi par un Einsatzgruppen qui y abat 435 patients.

Conclusion : un article qui vaut surtout par les exemples précis d'extermination commis par les Allemands en Ukraine, avec des sources occidentales ou russes assez récentes, et quelques ouvrages plus anciens de la période soviétique. Le sujet mériterait un traitement plus approfondi sans aucun doute.

Article : Christian Ganzer (2014) German and Soviet Losses as an Indicator of the Length and Intensity of the Battle for the Brest Fortress (1941), The Journal of Slavic Military Studies, 27:3, 449-466

 

 

Des soldats allemands à la porte de Terespol dans la forteresse de Brest-Litovsk.

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13518046.2014.932632 


Auteur : Christian Ganzer. Aujourd'hui chercheur rattaché à l'université de Leipzig, en Allemagne, il a travaillé de 2009 à 2014 à l'université Dragomanov de Kiev, en Ukraine. Sa thèse porte sur Brest-Litovsk, à savoir les combats de juin-juillet 1941 et l'endroit comme lieu de mémoire à partir des commémorations et de l'écriture de l'histoire en URSS de cette bataille devenue mythique à partir de l'ère Khrouchtchev. Ganzer a coécrit un ouvrage sur les musées est-européens de la Seconde Guerre mondiale et son travail de thèse a été publié en allemand en 2020.

Edition : l'article a été publié dans le Journal of Slavic Military Studies. Ce journal scientifique a été créé par le fameux David Glantz en 1988 sous le nom de Journal of Soviet Military Studies, et il a pris son nom actuel en 1993. Le rédacteur en chef actuel est Martijn Lak. Ce journal est incontournable pour toutes les personnes intéressées par le front de l'est pendant la Seconde Guerre mondiale, entre autres sujets traités : ses articles permettent souvent de voir l'état de la recherche sur la dimension militaire du conflit. Certains auteurs français parfois peu scrupuleux plagient malheureusement beaucoup ces articles sans les citer correctement, faisant croire qu'ils apportent ainsi des analyses "nouvelles" alors qu'ils ne font que reprendre les acquis de la recherche étrangère.

Analyse : Brest est l'un des sites mémoriels les plus importants de l'ex-URSS, avec l'ancienne Stalingrad. La Biélorussie, où se situe Brest aujourd'hui, a hérité de la mémoire soviétique : la résistance héroïque des défenseurs pendant 32 jours, du 22 juin au 23 juillet, nourrie des récits des rares survivants, prisonniers des Allemands ou ayant rejoint les lignes soviétiques. Côté allemand, la source la plus fiable sur les combats est le rapport du commandant de la 45. Infanterie Division, la principale unité impliquée dans la bataille, qui reconnaît 453 tués, 668 blessés et 7 223 Soviétiques capturés. Les Soviétiques crient au scandale, indiquant que le nombre de pertes allemandes est sous-estimé et celui des leurs surestimé. Les ouvrages russes récents, comme celui de Rotislav Aliev, un des seuls sur le sujet, souffrent d'une méthode non professionnelle qui en limite la portée. Ganzer s'attache surtout à revoir certains points de la bataille. Le nombre des pertes soviétiques est pour ainsi dire inconnu : le rapport journalier de la 45. I.D. précise que 2 000 corps adverses ont été trouvés sur les lieux au soir du 28 juin, le 29 juin marquant pour les Allemands la fin de la bataille. Pour les pertes allemandes, l'auteur est allé voir le texte du prêtre de la 45. I.D., qui liste 475 tués, mais présente quelques problèmes (morts non situés ou non datés). Il a recoupé ce document avec les extraits de la presse allemande locale, qui eux aussi demeurent incomplets. Le 22 juin, 314 soldats allemands sont tués, dont 30 dans la ville de Brest et ses alentours, et 10 par l'artillerie allemande... Le 23 juin, les pertes tombent à 35 tués. Elles remontent à 56 tués le 24 juin qui est le dernier jour de combats impliquant fortement l'infanterie. Il y a encore 21 morts le 25 juin et  7 le 26 juin. Le dernier soldat allemand est tué le 27 juin, d'autres succombant dans les hôpitaux. Le document du prêtre ne mentionne pas le lieu de mort de 13 soldats supplémentaires. Le rapport du commandant de la 45. I.D. semble a priori correct selon Ganzer sur les blessés. Les sources sont beaucoup plus ténues du côté soviétique. Un rapport du 53ème corps d'armée évoque 3 062 prisonniers pour les 24-27 juin et 940 de plus pour la période du 27 au 30 juin. En croisant les sources, Ganzer calcule que les Soviétiques ont laissé entre 6 713 et 7 779 prisonniers entre les mains des Allemands : le rapport du commandant de la 45 I.D. est bien dans cette fourchette. La plupart des 9 000 combattants soviétiques ont été faits prisonniers, donc. 10 commissaires politiques capturés ont été fusillés par les Allemands, dont Emin Fomin, fait prisonnier et exécuté le 26 juin. La 45. I.D. avait pris connaissance de "l'ordre des commissaires" dès le 19 juin, trois jours avant l'attaque, et ce jusqu'à la troupe comme le montrent les témoignages de soldats : on voit qu'il a été mis en oeuvre sans état d'âme. Ganzer pointe ainsi que les 3 premiers jours de combat ont été les plus meurtriers, et que les combats s'arrêtent au 29 juin. Le 2 juillet, le gros de la 45. I.D. quitte les lieux. Un bataillon du 130. I.R. reste avec un bataillon de réserve, et le 5 juillet ils sont remplacés par une unité territoriale. Un seul incident a lieu le 23 juillet quand une unité de nettoyage du site est attaquée : un officier soviétique est capturé, 6 Allemands sont blessés.

Conclusion : un article qui remet les pendules à l'heure sur le "mythe" de la défense soviétique de Brest-Litovsk, et qui pose la question intéressante de la fiabilité des sources allemandes tels que les rapports d'unités, en les comparant aux sources soviétiques du même ordre, et qui prouve que l'on peut tirer des faits solides de ce type de document, s'ils sont critiqués. 

mardi 2 novembre 2021

Article : Alexander Hill (2002) The partisan war in north-west Russia 1941–44 : a reexamination, Journal of Strategic Studies, 25:3, 37-55

Partisans soviétiques dans la région de Pinsk, 1942. Source : https://collections.ushmm.org/search/catalog/pa1142246

Auteur : Alexander Hill, diplômé de l'université de Cambrigde, enseigne actuellement à l'université de Calgary au Canada depuis 2004. Il s'intéresse à l'histoire militaire de l'URSS et de la Russie en particulier sur la période 1914-1945. Il a signé plusieurs livres dont un sur le mouvement partisan dans le nord-ouest de l'URSS, thème qui était son sujet de thèse. Il a écrit aussi il y a quelques années un livre sur l'Armée Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale et plus récemment 2 ouvrages aux éditions Osprey, dont un livre ayant trait à son sujet de prédilection, les partisans. Il prépare un livre photographique sur le front de l'est dont la parution est imminente.

Edition : Le Journal of Strategic Studies a été créé en 1978 par des chercheurs anglo-américains. Son but est de proposer une approche multidisciplinaire de l'étude de la guerre. Récemment il s'est intéressé à la Chine, à la zone Asie-Pacifique et à l'Afrique.

Analyse : dans cet article, Alexander Hill utilise les sources soviétiques déclassifiées à partir de 1991 pour montrer combien le mouvement partisan créé dans le nord-ouest de l'URSS a souffert, dès 1941, des contre-mesures allemandes qui ont limité son efficacité. Jusqu'ici la version officielle soviétique minimisait ce constat et se contentait de dire que les partisans avaient été plus efficaces après 1941 suite à la reprise en main et des efforts de réorganisation pilotés depuis Moscou. Hill précise toutefois que le secteur où les partisans opèrent, celui du groupe d'Armées Nord, présente des spécificités : peu de populations non-russes et peu de Juifs également, un intérêt économique limité pour les Allemands. L'avance allemande au nord provoque peu d'encerclements massifs de forces soviétiques comme au centre et au sud en 1941, toutefois le chaos règne à l'arrière des lignes soviétiques. Les premiers partisans notent que la population considère le régime soviétique comme "fini". Les Allemands inondent la population de propagande, mentent sur la supposée prise de Léningrad, alors que celle-ci n'a pas accès ou peu à la propagande soviétique. Les premiers détachements de partisans se forment sous l'autorité du parti communiste ou de ses organisations, l'armée ayant abandonné cette tâche depuis les purges des années 1930. Toutefois, le NKVD et l'Armée rouge constituent rapidement leurs propres unités de reconnaissance ou de démolition opérant sur l'arrière immédiat du front allemand. Léningrad coordonne dès août-septembre 1941 les efforts du parti, de l'armée et du NKVD pour les partisans. Toutefois, comme les responsables politiques dominent, une partie de la population collabore avec les Allemands pour régler ses comptes avec le régime soviétique. La menace de représailles allemandes suffit à dissuader les habitants de collaborer avec les partisans, alors même qu'en 1941 la 281ème division de sécurité, une des seules à se charger spécifiquement de la lutte contre les partisans dans le secteur, a des effectifs sans proportion avec le territoire à surveiller. Les Soviétiques renvoient parfois les membres du parti ou autres responsables qui ont fui en 1941 vers leur région d'origine. Beaucoup de détachements de partisans rejoignent aussi à terme l'Armée Rouge. En décembre 1941, il y a peut-être 4 000 partisans derrière les lignes du groupe d'armées Nord, qui font face à 3 divisions de sécurité, des fractions de l'Einsatzgruppe A et des unités retirées du front, comme un régiment de la 2ème brigade SS. L'hiver 1941 rajoute aux difficultés des partisans, selon un schéma connu : plus de difficultés à se ravitailler, nécessité de construire des abris, traces plus visibles dans la neige... L'efficacité des partisans soviétiques en 1941 est ainsi quasi nulle, même si les responsables allemands s'inquiètent dans les derniers mois de l'année de la destruction de groupes plus importants - avec des survivants qui continuent de se cacher en petits groupes. 3 ans plus tard, durant l'offensive finale pour libérer Léningrad, en janvier-février 1944, la menace des partisans est devenue autrement plus sérieuse : ils sont capables d'entraver l'acheminement des troupes (12. Panzerdivision et 8. Jäger- Division) par leurs attaques sur les voies de communication et perturbent les communications en détruisant les lignes téléphoniques. Le gain d'efficacité est dû au renversement du conflit : les Soviétiques ont pris l'ascendant, les Allemands n'ont plus intérêt à préserver la population et accélèrent l'exploitation économique, ce qui par voie de conséquence augmente les exactions sur les habitants, lesquels rejoignent plus les partisans. Les Soviétiques mettent aussi les choses au point en précisant le sort qui attend ceux qui ont collaboré ou ceux qui ne prennent pas position. Ainsi, de 2 à 5 000 partisans dans la première moitié de 1943, le secteur voit le nombre gonfler à plus de 20 000 en janvier 1944. Les Allemands retirent progressivement des troupes de l'arrière pour les envoyer sur le front, les collaborateurs ne se sentent plus tourner. Pourtant ils n'ont pas poussé autant qu'ailleurs le recrutement forcé de travailleurs et ont même promu une réforme agricole limitée.

Conclusion : une mise au point bienvenue sur l'efficacité du mouvement partisan soviétique sur les arrières du Groupe d'Armées Nord, croisant à la fois les sources connues (allemandes) et nouvelles depuis peu à cette date (soviétiques déclassifiées), et critiquant le point de vue ancien des sources occidentales parfois inspirées par le contexte de guerre froide (se contentant donc d'utiliser les travaux allemands ou les documents soviétiques capturés par eux et commentés de leur point de vue) ainsi que celui des travaux russes contemporains ayant du mal à se départir de la ligne officielle soviétique.


https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402390412331302765

lundi 1 novembre 2021

August von Kageneck, La guerre à l'est, Tempus 21, Paris, Perrin, 2002, 201 p.

 


Auteur : August von Kageneck (1922-2004). Officier de la Wehrmacht, il a servi dans la 9. Panzerdivision lors de l'invasion de l'URSS en 1941, a été ensuite instructeur dans l'arme blindée, puis a repris du service à l'ouest dans la Panzer Lehr. Le 20 juillet 1944, il devait participer à l'opération Walkyrie voulue par les conjurés ayant programmé l'assassinat d'Hitler, sans en connaître les motifs véritables, mais l'ordre n'est jamais parvenu pour son unité. Fait prisonnier par les Américains, il échappe assez rapidement à la captivité. 2 de ses frères sont morts pendant la guerre, un pilote et un officier d'infanterie qui est justement l'un des sujets principaux du livre évoqué ici. Kageneck s'installe ensuite en France où il devient correspondant de plusieurs journaux allemands, dont Die Welt. Il oeuvre pour la réconciliation franco-allemande. Il était intervenu aussi dans le documentaire Les grandes batailles - Allemagne, de Daniel Costelle (1973).

Edition : le livre est parmi les premiers de la collection Tempus des éditions Perrin. Il s'agit d'une réédition en format poche, donc, de l'ouvrage paru en 1998. Pas d'indice dans le livre laissant entrevoir une traduction, il est donc probable que Kageneck ait rédigé le texte en français. Aucun appareil critique, il n'y a que l'avant-propos de Kageneck qui fait à peine trois pages. Ce dernier explique avoir eu deux raisons d'écrire : la première, c'est la suggestion de son éditeur français, qui voulait un récit vivant de la façon dont les soldats allemands avaient combattu sur le front de l'est - Kageneck croit bon d'ajouter "à l'exclusion de toute idéologie", ce qui laisse songeur. La seconde, c'est qu'il veut répondre à une polémique née après la parution de son autre ouvrage, Examen de conscience : des lecteurs français auraient été choqués par le fait que Kageneck reconnaisse que la Wehrmacht avait sa part de responsabilité dans les crimes nazis. Ce dernier ne veut pas revenir complètement sur ce constat mais rétropédale quelque peu, ce que nous aurons l'occasion de constater, en effet. En outre, il écrit ici sur le 18. Infanterie Regiment de la 6. Infanterie Divison, celui où son frère a servi et a été tué, qui bénéficie de deux témoignages d'officiers survivants ayant été publiés, l'unité est donc bien couverte du côté allemand pour se prêter à un récit tel que voulu par l'éditeur français.

Illustrations/cartes : rien à part 2 cartes en tête d'ouvrage, assez illisibles, et qui couvrent seulement la période 1943-1944 (!) alors que le récit commence évidemment en 1941. Cela n'aidera pas le lecteur néophyte à se situer correctement... 

Analyse : on ne peut que constater ici que Kageneck reprend certains lieux communs des mémorialistes allemands que l'on trouve dès les années suivant la fin de la guerre pour tenter de se justifier quand à leur comportement durant le conflit sur le front de l'est. Ainsi en est-il de l'argument, utilisé dès les premiers jours de Barbarossa, pour massacrer les prisonniers soviétiques : l'Armée Rouge mutile les cadavres allemands (p.22). Ou bien d'un autre, celui selon lequel les soldats soviétiques sont en tenue de "non-combattant" (p.23) et donc exclus du droit de la guerre. Un peu plus loin, Kageneck évoque les discussions, parmi les officiers du régiment 18, sur le fameux "ordre des commissaires", qui implique l'exécution de tous les commissaires politiques soviétiques capturés sur le champ de bataille. L'ordre a sans suscité quelques remous, mais la recherche a bien montré ces dernières années que la très grande majorité des divisions allemandes l'ont appliqué, documents d'archives à l'appui - 90% au minimum selon les travaux de l'historien Felix Römer. De la même façon, Kageneck ne tranche pas véritablement quand il évoque la supposée attaque préventive de l'Allemagne contre une offensive soviétique en gestation (argument classique de la propagande nazie pour justifier Barbarossa)... P.31, Kageneck évoque une rafle que le régiment 18 a effectué le 5 juillet 1941, à Oszmania, précisant que "66 communistes et 33 hommes soupçonnés d'être des partisans" ont été arrêtés, et que la "presque totalité de la population était composée de Juifs". Or un massacre a eu lieu les 3-4 juillet dans la localité, au moins 40 personnes ont été abattues. Le 26 juillet, une sous-unité de l'Einsatzkommando 9 abat toute la population juive masculine de l'endroit (527 tués). On a donc du mal à croire comme l'affirme Kageneck un peu plus loin que les soldats allemands ignoraient tout des crimes commis sur le front de l'est (même s'il concède que des soldats, et pas seulement des SS, les ont perpétrés, ce qui est encore plus en décalage avec ce qui précède)... l'auteur a d'ailleurs une vision très sommaire de l'adversaire soviétique, dont il reconnaît le courage, l'excellence de certaines de ses armes (le char T-34, le canon de 76 mm), mais pour le reste, on a l'impression que les Allemands font face à une horde fanatisée par un régime totalitaire pire que celui des nazis. Comme souvent chez les mémorialistes allemands, Kageneck consacre l'essentiel aux premières années de la guerre à l'est : 125 pages entre le début de Barbarossa et la contre-offensive soviétique de décembre 1941, encore 35 pages aux combats du saillant de Rjev (certes peu connus des profanes)... sur 200. On en apprendra donc pas beaucoup sur la participation du régiment à la bataille de Koursk, face nord du saillant, avec la 9. Armee de Model - Kageneck parle de la présence de chars Staline côté soviétique, ce qui est faux, ce modèle n'entrant en service que plus tard ; ce n'est pas la seule erreur factuelle du livre, puisqu'il mentionne des soldats allemands tués par des "balles de kalachnikov" et des chars "T100"... l'auteur cite toutefois une opération contre les partisans à laquelle participe le régiment fin mai 1943, sans doute l'opération Freischütz. Il n'évoque pas en revanche l'implication de l'unité dans l'opération Büffel, au moment de l'évacuation du saillant de Rjev, une véritable politique de terre brûlée conduite par le même Model, pendant laquelle la 6. Infanterie Division a aussi pratique la lutte "antipartisans"... avec un nombre de morts adverses sans rapport au regard des armes récupérées. Peu de détails aussi sur la retraite vers le Dniepr, qui se transforme en courte litanie des pertes notamment en officiers. En 1944, le régiment 18 est au groupe d'armées Centre : juste avant l'opération Bagration, de nombreux officiers sont remplacés - Kageneck y voit presque une trahison pour affaiblir le dispositif avant l'attaque... l'unité disparaît dans le chaudron de Bobruysk, en Biélorussie. Kageneck expédie la suite en une page : la 6. Infanterie Division est reformée dès juillet 1944 comme 6. Grenadier Division puis 6. Volksgrenadier Division, elle est détruite en janvier-février 1945 pendant l'offensive soviétique Vistule-Oder. Elle est recréée une dernière fois comme 6. Infanterie Division en mars 1945 et combat durant les deux derniers mois, toujours à l'est. L'épilogue est à l'image du reste du livre. Kageneck se félicite de l'image laissée par le soldat allemand, dont la valeur a été reconnue par les chefs adverses, souligne la camaraderie qui survit à travers les rencontres d'anciens membres du régiment après la guerre, lesquels créent une association, et réussissent, après la fin de l'URSS, à ériger un monument à Rjev, en dépit des résistances locales.

Conclusion : plus qu'un livre d'histoire, un témoignage écrit par un acteur de la période, parlant de ses camarades et en particulier de son frère, mais avec un a priori précisé dans l'avant-propos qui se confirme à la lecture. Von Kageneck a du mal à se détacher d'une certaine lecture et d'une certaine appréhension, nourrie par le nazisme, de la guerre à l'est. Pas un livre d'histoire à proprement parler, donc.