samedi 10 février 2018

Ignace DALLE et Wladimir GLASMAN, Le cauchemar syrien, Paris, Fayard, 2016, 395 p.

Ce livre, paru au début de l'année 2016, est un travail collaboratif entre le journaliste Ignace Dalle et Wladimir Glasman, décédé en août 2015, fin connaisseur de la Syrie, qui tenait sous pseudonyme le blog Un oeil sur la Syrie, et qui avait signé par exemple une très bonne contribution dans le recueil Pas de printemps pour la Syrie en 2013. Ignace Dalle a achevé seul le travail de rédaction.

Le livre se divise en trois parties. Dans la première, il retrace l'installation au pouvoir du clan Assad jusqu'aux débuts de la révolution. L'historique du pays dans les années 1946-1970, d'ailleurs, est peut-être un peu trop rapidement survolé. La partie consacre beaucoup de place au parti Baath, et à ses soubresauts au moment de la révolution, mais se montre plus convaincante sur les tiraillements au sein de la communauté alaouite et les tensions dans le clan Assad. Elle n'apprendra pas grand chose aux connaisseurs quant aux liens avec le PKK d'Ocalan, les réseaux du djihad irakien, et le "printemps de Damas". Les pages consacrées à la rébellion face au régime syrien manquent parfois d'exemples précis.

La deuxième partie est dédiée aux acteurs internationaux (alors que la dernière traite des acteurs régionaux : curieux jeu d'échelle dans le plan). Le développement sur la position russe en Syrie est sans doute une bonne synthèse (bien qu'on soit étonné d'y voir cité F. Pichon, connu pour ses positions pro-régime syrien, d'autant plus que W. Glasman ne tenait absolument pas de cette posture). La partie sur les Etats-Unis est également assez bien menée, même si elle semble parfois emprunter à d'autres ouvrages qui ne sont pas cités (le livre ne comprend pas de bibliographie, seulement des notes de bas de page, et une seule carte, ce qui est trop peu). Le passage sur la France préfère se concentrer sur les relations très contemporaines et néglige peut-être la période du mandat et de la guerre froide, tandis que celui sur l'UE est traité assez rapidement.

La troisième partie évoque les acteurs régionaux. Sur l'Iran, le livre montre bien combien Bachar el-Assad s'est laissé déborder, contrairement à son père, par un parrain encombrant. En revanche, le tableau des milices chiites mobilisées par l'Iran (p.258-261), en plus du Hezbollah, est trop sommaire et incomplet, d'autant que le livre se base sur la situation de 2014 et non de la fin de 2015, au moment où il va être édité. Sur la Turquie, le livre n'apporte pas véritablement grand chose par rapport à d'autres lectures, mise à part l'actualisation de l'évolution de la situation jusqu'à la fin 2015. Il est plus convaincant sur les tiraillements entre les pays du Golfe et sur ce qu'il appelle le "Qatar Bashing" orchestré notamment par les Emirats. On lira peut-être aussi le passage sur les Palestiniens (voulu par W. Glasman semble-t-il), plus original que ceux sur le Liban, la Jordanie ou Israël.

Au final, l'ouvrage ne satisfait pas vraiment. Plus que le plan, qui peut poser question, c'est le survol de certains pans du sujet, ou l'absence de certains acteurs (comme l'Etat islamique, évoqué en filigrane, mais pas en tant que tel, ce qui semble un choix délibéré) qui pèsent sur l'ensemble. Dans la première partie, par exemple, il est question des alaouites, des chrétiens syriens, même un peu des Kurdes, mais pas de la communauté arabe sunnite qui forme pourtant l'essentielle de la population syrienne. C'est d'autant plus dommage que sur d'autres aspects, les idées sont justes : atomisation du conflit, qui a un caractère très local, radicalisation progressive de l'insurrection, régionalisation et internationalisation du conflit par le jeu des acteurs respectifs. La conclusion le souligne : les Etats-Unis n'ont pas souhaité s'engager sur le dossier syrien, les Occidentaux n'ont pas cherché à comprendre les positions russe et iranienne, qui de toute façon étaient peu portées au compromis sur la Syrie ; en revanche les deux pays se sont engagés à fond, respectivement en 2013 pour l'Iran et en 2015 pour la Russie, pour maintenir le régime à flot. Faute de l'avoir compris, et de ne pas avoir soutenu une insurrection certes éclatée, disparate et peu coordonnée, les Occidentaux ont abandonné le conflit syrien à d'autres acteurs, qu'ils ne retrouvent que pour lutter contre les djihadistes. Autre problème du livre, aussi : l'évolution de la situation fait qu'il est déjà dépassé, sur nombre de points. C'est l'ennui de "l'histoire immédiate".

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