jeudi 29 octobre 2020

Feurat ALANI et HALIM, Falloujah. Ma campagne perdue, Les Escales, Steinkis, 2020, 126 p.

 

Feurat Alani est un journaliste franco-irakien. Il m'est souvent arrivé de lire ses articles sur le site OrientXXI. Il choisit ici le roman graphique, médium à ses yeux le plus efficace, pour raconter une histoire qui lui tient à coeur : le sort de la ville de Falloujah, devenue sous l'occupation américaine de l'Irak le symbole, pour certains, du combat contre les Etats-Unis, mais qui a connu un autre sort beaucoup moins médiatisé... je remercie la personne qui m'a offert ce livre.

Il ne faut pas chercher dans ce roman graphique un propos d'historien : il s'agit plutôt du témoignage d'un journaliste, qui, enfant, a passé des vacances à Falloujah, et qui, adulte, y est revenu pour voir ce qui s'était passé après les 2 batailles menées dans la ville en 2004 par les Américains.

Feurat Alani raconte ainsi comment Falloujah a été contaminée par les munitions utilisées par les Américains lors de la deuxième bataille, en particulier, celle de novembre 2004, la plus violente. Selon lui, les Américains ont utilisé non seulement du phosphore blanc mais aussi des munitions à l'uranium appauvri (on pense au canon GAU-8 Avenger de l'avion d'attaque au sol A-10 Warthog, qui tire effectivement ce genre de munitions), ce qui aurait entraîné une contamination radioactive durable dans la ville et de nombreux cas de malformations ou d'enfants morts-nés pour les femmes enceintes à Falloujah. Avec des taux de radioactivité supérieurs à ceux d'Hiroshima et de Nagasaki. La contamination touche d'ailleurs aussi, les soldats américains eux-mêmes, qui connaissent les mêmes problèmes de santé et les cas d'enfants malformés aux Etats-Unis.

Au-delà la véracité de ces faits sur la santé des habitants, qui ne font guère de doutes, certains points dans le roman graphique interrogent. Tous ces problèmes de malformations à la naissance, en particulier, sont-ils forcément provoqués par l'utilisation d'uranium appauvri ? Il pourrait s'agir d'autres types de munitions également employées par les Américains (phosphore blanc, et même munitions conventionnelles). Ces malformations ne s'expliquent-elles pas aussi, en partie, par l'état très dégradé sur le plan sanitaire de la population irakienne, en particulier après l'embargo américain et suite à l'invasion américaine de mars 2003 ? Sans parler de l'état des hôpitaux, très précaire, que l'on entraperçoit dans le roman graphique. Dans le roman, aucune source sérieuse ne vient véritablement corroborer cette hypothèse, même si Doug Rokke témoigne sur le "syndrôme du Golfe", où l'on  ne peut dénier, ici, l'exposition des soldats américains, pendant la guerre du Golfe, aux munitions à uranium appauvri, quand ceux-ci évoluaient sur un champ de bataille où avaient été utilisées ces munitions (voir ici à 17:00). Le cas de Falloujah est-il comparable ? A mon sens la question reste posée. D'autant que Feurat Alani fait parler Christopher Busby, un scientifique britannique plus que controversé notamment après des déclarations très sujettes à caution au moment du drame de Fukushima en 2011. P.116, Feurat Alani se demande si Falloujah n'a pas servi de "laboratoire" à l'armée américaine. Mais de laboratoire pour quoi ? L'auteur était à Falloujah en 1992 pendant l'embargo, il fait un flash-back à ce moment-là, mais on ne voit pas le lien entre l'uranium appauvri utilisé en 2004 et l'embargo américain -exceptées les souffrances bien réelles des Irakiens.

Le roman graphique se termine sur l'abandon de Falloujah par le gouvernement irakien, entre la fin des années 2000 et le début de la décennie 2010, après le retrait américain (décembre 2011). Les dernières cases montrent les manifestations anti-gouvernementales à Falloujah et l'apparition des drapeaux de l'Etat islamique d'Irak dans celles-ci. C'est là que le bât blesse un peu, aussi : l'Etat islamique d'Irak, affaibli après le surge américain de 2006-2007, s'est patiemment reconstruit, d'abord à Mossoul, puis en réinvestissant ses anciens bastions, notamment dans la province d'al-Anbar : Falloujah fait partie de sa stratégie dès les premiers mois de 2013, avant même la naissance l'Etat Islamique en Irak et au Levant et la reconnaissance officielle de l'expansion du groupe en Syrie. La ville, négligée par le gouvernement irakien, a vu sa population sunnite manifester contre le gouvernement dominé par des chiites, puis, pour partie, rejoindre des groupes armés dont l'Etat islamique d'Irak, déjà présent bien avant les manifestations qui déboucheront sur la prise de Falloujah par le groupe en décembre 2013-janvier 2014, toujours avant la naissance de l'Etat islamique en juin 2014. A Falloujah, les Américains ne sont donc pas les seuls responsables de tous les maux : l'utilisation de munitions à l'uranium appauvri et au phosphore blanc en 2004 n'épuise pas à elle seule les problèmes et les difficultés de la ville... qui d'ailleurs, en 2004, comptait dans ses défenseurs des membres du groupe Jaamat al-Tawhid wal Jihad d'Abou Musab al-Zarqawi. Qui n'est autre que l'ancêtre de l'Etat islamique d'aujourd'hui.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.