La bataille de Bull Run (Manassas pour les confédérés) est importante pour les débuts de la guerre de Sécession, car elle montre aux deux camps en présence que le conflit sera bien plus long et coûteux que ce qui avait été imaginé au départ. Bull Run va lancer ou ruiner des carrières, mais confirmer aussi que la détermination est bien présente dans chaque camps, ce qui va rendre la guerre difficile. Edward Longacre est un spécialiste reconnu de la guerre de Sécession : on lui doit des biographies d'officiers de chaque camp (Grant, Chamberlain, l'action de Custer par exemple du côté de l'Union ; Wade Hampton, Pickett côté confédéré) et des études, notamment sur les opérations de cavalerie pendant la guerre et les raids de cavaliers menés derrière les lignes ennemies. Longacre insiste dans cet ouvrage assez imposant - 500 pages de texte - sur les contraintes politiques et les faiblesses de caractère qui ont façonné pour beaucoup la campagne en Virginie de l'été 1861. Le sujet a précédemment été traité par des historiens américains, mais ce travail-ci a le mérite d'être assez exhaustif.
Il commence par expliquer pourquoi la Virginie est devenue le théâtre d'opérations principal à l'été 1861. Washington est un bouillonnement d'informations qui ont un impact sur les mouvements des troupes de l'Union, et celles-ci sont d'ailleurs facilement passées à l'adversaire - même si cet espionnage pro-confédéré n'est pas forcément corroboré par des sources précises dans les notes en fin d'ouvrage.
Longacre décrit aussi longuement les 4 commandants d'armée impliqués - McDowell, Patterson côté nordiste, Beauregard, Johnston côté confédéré. Cela permet aussi de mieux comprendre le déroulement des événements. McDowell, un officier subalterne propulsé commandant de l'Union, a été pressé par le pouvoir politique de marcher sur Richmond. La météo, les contraintes logistiques, et les rencontres inopinées avec les forces adverses ont façonné la campagne, davantage sans doute que les reproches qu'on attribue à McDowell. Néanmoins, l'approche nordiste sur Manassas semble hasardeuse, et même si Longacre réhabilite quelque peu la performance de McDowell, son échec à orchestrer la campagne semble bien la cause principale de la défaite finale. L'historien consacre également beaucoup de temps à la manoeuvre dans la vallée de la Shenandoah : comme le pensait Scott, Longacre estime ainsi que la poussée nordiste était véritablement en deux pinces, et pas seulement en direction de Manassas Junction.
Longacre revient aussi sur certains épisodes célèbres dans les portraits de commandants, qui occupent une bonne place dans le livre. Ainsi Jeb Stuart, qui dirige la cavalerie confédérée, n'a pas pu jouer un rôle aussi majeur qu'il le décrit déjà dans la déroute nordiste. Ou l'épisode des hommes politiques nordistes venus assister à la bataille depuis Washington, et dont un finit prisonnier des confédérés jusqu'à la fin de la guerre. Pour l'historien, Patterson, qui commande l'armée nordiste dans la vallée de la Shenandoah, a été trop laissé libre de ses choix par le commandant en chef Winfield Scott, qui est pour lui aussi responsable de la défaite que McDowell. En outre, les communications mauvaises font que le lien est distendu. Patterson souffre aussi du mauvais moral de ses troupes, plusieurs régiments quittant l'armée après la fin de leur engagement de 90 jours - mais Longacre n'explique pas le pourquoi de cette mesure de temps limité qui existait avant la guerre. Patterson choisit la voie la plus prudente, ce qui l'empêche de stopper Johnston dans sa marche au secours de Beauregard à Bull Run. Patterson sera démis de son commandement après la bataille. L'historien a plus de mal en revanche à déterminer l'importance de chaque commandant confédéré au moment de la contre-attaque sur Henry Hill - Johnston et Beauregard - car il se base beaucoup sur les mémoires écrites après guerre de ce dernier. Sur le surnom de "Stonewall" attribué à Jackson, Longacre fait bien le tour de la question, mais penche plutôt sur la version négative, à savoir que le général de brigade Bee était surtout mécontent que Jackson n'ait pas levé le petit doigt pour aider sa brigade. Il minimise aussi le mouvement de panique que les civils venus assister à la bataille auraient provoqué à la fin de l'engagement dans les troupes de l'Union (il n'y aurait eu que 80 personnes en pique-nique, pour ainsi dire, et largement parti avant la fin de la bataille), ainsi que le rôle souvent exagéré de la voie de chemin de fer de Manassas dans l'acheminement des renforts confédérés (d'après lui, toute l'armée de Johnston aurait pu faire une marche forcée pour arriver à temps, plutôt que la portion effectivement transportée par train ; mais il ne parle pas de l'état où elle serait probablement arrivée...). D'ailleurs, l'historien décrit aussi bien ce qui s'est passé sur le flanc gauche confédéré et le flanc droit nordiste, souvent au coeur des descriptions, que de l'autre côté du champ de bataille, parfois un peu oublié. De même, la poursuite après la bataille est bien traitée et Longacre confirme sans le moindre doute que jamais les confédérés n'auraient été en mesure d'anéantir l'armée nordiste ou de prendre Washington. Pour le Nord, Bull Run est surtout un choc salvateur qui montre le travail restant à faire pour affronter correctement le Sud. L'historien ne traite pas par contre l'idée reçue selon laquelle les corps nordistes auraient été mutilés par les confédérés après la bataille. Les descriptions de Longacre s'appuient sur de nombreux témoignages de combattants, officiers ou soldats - près de 500 apparaissent d'ailleurs dans la bibliographie. Le texte met bien en évidence le caractère décousu de l'affrontement - en particulier du côté nordiste- et la confusion qui arrive fréquemment sur l'identification de l'adversaire en l'absence d'un uniforme clair pour chaque camp. Les combats pour Henry Hill en particulier sont méticuleusement décrits.
Le principal mérite du volume de Longacre est de proposer une grosse synthèse plus à jour sur les connaissances historiographiques. On aurait aimé peut-être plus de cartes sur les mouvements tactiques et d'autres à l'échelle du théâtre des opérations, et un peu plus d'illustrations de l'époque ou autres que celles que l'on trouve en milieu de volume. En plus de l'ordre de bataille, le lecteur peut se référer en fin de volume à 60 pages de notes et près de 70 pages de bibliographie. Nul doute que cet ouvrage doive figure dan la bibliothèque de tout amateur de la guerre de Sécession.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.