" Historicoblog (4): avril 2018

vendredi 27 avril 2018

Légionnaires, auxiliaires et fédérés sous le Bas-Empire romain, Histoire vivante, Paris, Errance, 2009, 112 p.

Livre datant de presque dix ans déjà. Il est signé par deux directeurs de groupes de reconstitution,  Alain Alexandre et François Gilbert. La difficulté était déjà de rassembler des groupes de reconstitution sur le Bas-Empire, qui ne sont pas nombreux, et de trouver le matériel adéquat. L'introduction souligne à quel point les clichés collent encore à la représentation du soldat romain, d'autant que le Bas-Empire n'est pas la période la mieux connue, la plus "vulgarisée" -les auteurs préfèrent d'ailleurs ce nom à celui d'Antiquité Tardive préférée par la recherche désormais. C'est là que le bât blesse un peu : si les auteurs sont très férus de la reconstitution, et le font avec sérieux, ils sont peut-être un peu déconnectés des orientations (à l'époque) de l'historiographie. Si les textes fournissent des informations, c'est surtout l'archéologie qui autorise la reconstitution, épaulée par les représentations survivantes et d'autres documents exceptionnels comme les tuniques d'Egypte.

Plus que la contextualisation, ce sont donc bien les clichés et le commentaire de l'équipement qui retiennent l'attention. L'étude commence avec un légionnaire de la Legio III Italica Antoniniana de la campagne contre les Alamans, en 213 ap. J.-C., pour s'arrêter avec un archer de l'armée d'Arménie de la guerre contre les Perses en 502 ap. J.-C. . Le livre dépasse donc la fin de l'Empire romain d'Occident pour s'intéresser aussi à l'Empire romain d'Orient, bientôt byzantin. Des encadrés bien illustrés viennent parfois appuyer les descriptions : celui sur la tunique (p.38-39), la plumbata (p.52-53), le thoracomachus (p.60-61). Toutes les armes sont traitées, y compris la marine. Le livre inclut à la fin la reproduction des emblèmes de la fameuse Notitia Dignitatum.

S'appuyant sur une bibliographie relativement classique -ce qui explique le décalage avec l'historiographie de l'époque, sans doute-, l'ouvrage peut prétendre figurer dans la bibliothèque de n'importe quel passionné de l'Antiquité Tardive, ne serait-ce que pour l'aspect reconstitution.

dimanche 22 avril 2018

Thomas SNEGAROFF, Hillary et Bill Clinton. L'obsession du pouvoir, Texto, Paris, Tallandier, 2016, 397 p.

Réédition actualisée en format poche d'un ouvrage initialement paru en 2014, cette version s'arrête quelques mois avant le résultat de la présidentielle américaine, qui a vu la défaite d'Hillary Clinton et la victoire de Donald Trump. La lecture n'en est donc que plus intéressante.

Thomas Snégaroff, historien de formation, journaliste, est spécialiste des Etats-Unis. L'ouvrage m'incline à penser que l'auteur fait oeuvre de vulgarisation et rend accessible au grand public français l'historiographie la plus récente, notamment anglo-saxonne. En effet, pour 375 pages de texte, on ne compte que 10 pages de notes et 2 de bibliographie, ce qui est peu. Thomas Snégaroff synthétise en gros environ 40 ouvrages pour décrire le couple Clinton. Il faut reconnaître que c'est bien mené.

Jamais un tel couple n'a marqué l'histoire de la présidence des Etats-Unis. A Bill Clinton, la chaleur humaine, à Hillary Clinton, le calcul froid et politique. Des perceptions finalement éloignées de la réalité, mais qui posent la question de l'inversion des valeurs dans un couple formé après la Seconde Guerre mondiale, et qui incarnerait une nouvelle génération d'Américains. C'est le fonctionnement du couple que Thomas Snégaroff tente de décortique dans le livre.

Bill et Hillary Clinton viennent de milieux sociaux différents, leur enfance et leur adolescence sont éloignées l'une de l'autre. Il y a pourtant des éléments qui les rapprochent. Leur rencontre met en place une véritable organisation pour la conquête du pouvoir : le fameux "plan de vingt ans" qui donne son titre à l'un des chapitres du livre. Et le pari est presque tenu, puisqu'après bien des péripéties, et des déconvenues aussi, Bill Clinton est élu président des Etats-Unis en 1992. Malgré ses frasques sexuelles qui alimentent déjà la presse. Pendant les deux mandats de Bill Clinton, puisqu'il est réélu quatre ans plus tard, Hillary commence à penser à sa propre destinée en tant que présidente. Vient l'affaire Lewinsky, qui constitue une épreuve particulièrement douloureuse, mais dont le couple sort malgré tout, parce que chacun a besoin de l'autre pour servir ses ambitions. Hillary est élue sénatrice de l'Etat de New York. Elle devra toutefois attendre 2016 pour se présenter à l'élection présidentielle. Entretemps, secrétaire d'Etat de Barack Obama, elle aura vécu un moment difficile avec l'attaque du consulat américain à Benghazi en 2012 et la mort de l'ambassadeur américain. Néanmoins, elle annonce sa candidature à l'élection présidentielle, partant avec de bonnes chances de succès. Le résultat montre que malgré son expérience, et un certain talent, elle n'a pas réussi à emporter suffisamment l'adhésion, parce que la dynamique du couple a joué dans les deux sens.

Si les spécialistes du sujet n'apprendront sans doute pas grand chose à la lecture de cet ouvrage, les néophytes comme moi apprécieront de disposer d'une synthèse facilement accessible, véritablement concentrée sur la dimension personnelle et politique du couple Clinton. Il ne faut pas chercher autre chose dans ce livre.

DSI n°134 (mars-avril 2018)

Je n'ai pas le temps de lire autant cette revue que je le voudrais, néanmoins j'ai pris le dernier numéro et j'y note :

- l'article sur l'aviation du Qatar, très intéressant sur la façon dont le petit émirat cherche à se doter d'une aviation pléthorique, auprès de plusieurs sources, sans avoir les moyens de l'entretenir.

- l'article sur la Garde Républicaine irakienne d'Adrien Fontanellaz, dont on retrouvera une version beaucoup plus longue et étoffée, écrite il y a déjà quelques temps, sur son blog Militum Historia.

- le portrait des forces aériennes espagnoles et portugaises.

- l'article sur l'obusier automoteur AS90 britannique.

Richard HOUGH, La mutinerie du cuirassé Potemkine, Le livre de poche, Paris, Robert Laffont, 1967, 255 p.

Un des rares ouvrages consacrés à la mutinerie du cuirassé Potemkine, datant de 1960, donc quelque peu daté, traduit en français dans cette édition sept ans plus tard. Il a été réédité il y a quelques années chez Tallandier (2011). Hough écrit à une époque où la légende de l'événement est à la fois exploitée par les Soviétiques et par les Russes émigrés. Difficile, donc, de dresser l'histoire d'un tel événement.

La mutinerie du Potemkine prend place dans le contexte de la révolution de 1905 et suite à l'écrasante défaite de la marine russe face au Japon. Le cuirassé part pour des exercices de tir en mer Noire ; si le commandant est plutôt débonnaire, ce n'est pas le cas de son second, très strict, alors que l'équipage compte un militant marxiste, Matouchenko, qui tente de prêcher à ses camarades.

La mutinerie démarre suite à problème de viande avariée. Le commandant tergiverse alors que son second est partisan des mesures les plus dures pour prévenir toute mutinerie. C'est parce qu'il menace de fusiller les mutins que le second provoque la mutinerie : il est tué dans l'échauffourée, puis les matelots exécutent plusieurs officiers, dont le commandant, mais pas tous, avant de prendre le contrôle, également du torpilleur 267 qui navigue de concert avec le Potemkine.

Pour éviter le reste de la flotte, le Potemkine gagne le port d'Odessa, où des cellules révolutionnaires entretiennent l'agitation. Mais les marins n'arrivent pas à rallier les soldats et les cosaques qui vont devenir les instruments de la répression. Constantin Feldmann, l'étudiant qui dirige la révolution à Odessa, s'aperçoit vite que les marins ne comptent pas s'engager pour faire basculer la ville, attendant d'autres bâtiments de la flotte dont les équipages devraient, selon eux, se mutiner aussi. Des heurts ont lieu dans Odessa, même si la scène de l'escalier, mise en scène de manière célèbre par Eisenstein, ne s'est probablement jamais déroulée -Hough est d'ailleurs encore prisonnier de cette vision.

Matouchenko constate que le reste de la flotte ne vient pas. Les marins ont obtenu le droit d'inhumer à terre le seul marin tué pendant la mutinerie, mais le cortège est l'occasion d'une véritable embuscade. Le gouverneur Khokanov suscite un mouvement antisémite, qui tourne au pogrom, pour détourner la colère de la population. La presse étrangère couvre l'événement, ce qui lui donne une envergure internationale. Feldmann obtient que le Potemkine tire finalement quelques obus sur la ville, en guise d'avertissement, mais sans grand effet.

Deux escadrons de la flotte de la mer Noire arrivent finalement devant Odessa : le Potemkine va à leur rencontre, et les navires refusent d'ouvrir le feu ; l'un d'entre eux, le cuirassé Georges le Victorieux, rejoint même les mutins. Mais Feldmann, qui monte à bord, constate que l'équipage est davantage effrayé que révolutionnaire. Une nouvelle délégation menée par le docteur Golenko, survivant de la mutinerie originelle, persuade l'équipage du cuirassé que la mutinerie est condamnée à l'échec. Isolé, le Potemkine décide de mettre le cap sur la Roumanie. Là, après un appel au monde entier, les mutins sont contraints à la reddition. Certains choisissent de rester en Roumanie, d'autres retournent en Russie. Le cuirassé, coulé par les mutins, est  rendu à la Russie et renfloué. Il sera détruit par ses officiers à Sébastopol en 1919 pour ne pas être pris par les bolcheviks. Feldmann s'échappe de sa prison en Russie, gagne l'Autriche, et publie le premier livre sur l'événement. Matouchenko, qui a quitté la Roumanie et a rejoint la Russie et les milieux anarcho-syndicalistes d'Odessa, est capturé et pendu. Certains mutins s'exilent au Royaume-Uni ou en Amérique du Nord, certains reviennent ensuite en Russie après la révolution de février 1917.

Malgré son âge, un livre assurément à lire pour qui s'intéresse à l'événement, même si l'on cherchera des études plus récentes.

vendredi 6 avril 2018

Frédéric GOUT, Libérez Tombouctou ! Journal de guerre au Mali, Témoignage, Paris, Tallandier, 2015, 256 p,

En 2015, Tallandier proposait à travers ce livre le témoignage du colonel Gout, commandant le 5ème régiment d'hélicoptères de combat (RHC), qui constitue en 2013 le Groupement Aéromobile (GAM) de l'opération Serval, conseillé ici par le journaliste Jacques Duplessy.

Le colonel Gout est mobilisé pour participer à Serval alors que les djihadistes ont mortellement blessé le commandant Damien Boiteux, du 4ème régiment d'hélicoptères des forces spéciales (RHFS) qui opérait sur Gazelle. En un temps record, il faut préparer l'effectif, récupérer les hélicoptères engagés ailleurs (les Tigre notamment), solliciter le transport aérien stratégique, choisir les officiers... en 4 jours.

Arrivés à Bamako le 16 janvier 2013, les premiers éléments du GAM doivent plus ou moins se débrouiller quant à leur installation, alors que le colonel Gout doit s'occuper des visites officielles et autres problèmes logistiques. Par ailleurs le GAM est éclaté, les Tigre opérant au départ depuis Ouagadougou, ce qui impose des contraintes. Cinq jours plus tard, le GAM se déplace vers le nord-est, vers Sévaré, à côté de Mopti. L'adversaire est encore mal appréhendé car il reste assez évasif.

Le GAM participe à la reconquête de Tombouctou. Le colonel Gout a même l'occasion de visiter la maison de René Caillié, explorateur français installé dans la ville. La difficulté pour le GAM est que les différents axes de progression des troupes au sol nécessitent un appui aéromobile que, faute d'effectifs suffisants, le GAM ne peut pas forcément assumer. Le GAM continue de recevoir des visites officielles, comme celle du chef d'état-major des armées.

Le GAM se déplace ensuite vers l'est, et Gao. Le climat entraîne parfois une surchauffe du matériel, quand ce n'est pas un général qui trouve que les tenues portées par les mécaniciens sont trop décontractées... les premiers engagements ne surviennent qu'à partir du 9 février, quand le GAM engage une colonne de pick-up ayant franchi le Niger à l'ouest de Gao. La coopération interarmes est favorisée par le fait que les officiers chefs de corps se connaissent souvent pour avoir fait leur formation ensemble ; le colonel Gout collabore aussi avec l'armée de l'air et des Belges. L'officier ne cache pas les difficultés, par exemple avec son chef de la logistique dont il est obligé de se séparer, ou cet incident de tir pendant un nettoyage d'arme pendant lequel un soldat tire une rafale de cartouches. Le 14 février, un légionnaire français est tué dans l'Adrar des Ifoghas, où la résistance se durcit. Le GAM s'installe alors pour partie à Tessalit.

Le 20 février, un hélicoptère Tigre en patrouille est criblé de balles par des combattants bien camouflés à ras du sol qui font uniquement usage de fusils d'assaut. Les tactiques de vol sont donc modifiées en conséquence. Le GAM manque d'hélicoptères de transport pour effectuer des posers aéromobiles conséquents, toutefois il assure les évacuations sanitaires, y compris pour les partenaires comme les Tchadiens, qui subissent des pertes parfois conséquentes lors d'embuscades dans l'Adrar des Ifoghas. Les conditions climatiques sont éprouvantes. Les djihadistes commencent à utiliser des IED, mais aussi des mortiers, à côté des technicals. Les hélicoptères doivent intervenir pour neutraliser les positions fortifiées à l'entrée des grottes. Ils évacuent un prisonnier français capturé par leurs collègues fantassins. Le 3 mars, c'est le corps d'un soldat du 1er RCP qui est ramené. Un autre soldat français est tué le lendemain.

Le colonel doit gérer l'attribution des décorations, mais aussi les cas d'insolation qui frappent parfois ses hommes. Les opérations continuent dans l'Adrar des Ifoghas. Le 16 mars, un AMX-10 du 1er RIMa saute sur un IED : un tué, 3 brûlés graves. L'aéroport de Gao est bombardé à la roquette. Le GAM transfère encore des prisonniers, parfois étrangers, venus du Maghreb. Avant de quitter le théâtre et de partir avec ses hommes en sas de "décompression" à Chypre, le colonel Gout reçoit une mitrailleuse PKM prise à l'ennemi du commandant du 92ème RI, qui dirige le Groupement Tactique Inter Armes 2 au Mali.

Le départ se fait sur fond de crash d'un hélicoptère Mi-24 de l'armée malienne. A Chypre, les soldats peuvent souffler, même si l'accueil n'est parfois pas à la hauteur, les responsables donnant parfois un peu trop de zèle pour que les soldats engagés au Mali soient le moins "visibles" possible dans l'île... après le débriefing psychologique, l'unité regagne la France le 17 avril. Le colonel Gout quitte le commandement du 5ème RHC en juillet 2013 pour assurer d'autres fonctions.

L'intérêt du témoignage est probablement d'offrir le point de vue d'un officier chef de corps, qui ne s'intéresse pas forcément à la description des combats, mais à son rôle de chef d'unité et aux différentes exigences que celui-ci impose. Le récit permet donc de prendre un peu de hauteur et de mieux comprendre aussi pourquoi les hélicoptères sont un outil indispensable sur ce genre de théâtre et pour ce type d'opérations.