" Historicoblog (4): août 2023

lundi 28 août 2023

Mark LARDAS et Adam HOOK, Chattanooga 1863, Campaign 295, Osprey, 2016, 96 p.

 

La collection Campaign des éditions Osprey, bien connues des aficionados d'histoire militaire, présente, dans un format de 96 pages, les grandes batailles de l'histoire. Ici, il s'agit de la campagne autour de la ville de Chattanooga, entre septembre et novembre 1863, épisode bien moins connu de la guerre Sécession que d'autres batailles et qui pourtant a une importance considérable sur le théâtre d'opérations ouest.

L'auteur est Mark Lardas, un diplômé en architecture et génie naval, qui a travaillé dans le domaine de la construction spatiale, "historien amateur" selon la présentation même d'Osprey. Il n'est donc pas à proprement parler spécialiste de la guerre de Sécession ni du théâtre en question. Le livre est illustré par Adam Hook, un habitué des éditions sur ce plan.

La campagne de Chattanooga est le résultat d'une bataille précédente : Chickamauga, les 19 et 20 septembre 1863, où l'armée confédérée du Tennessee de Bragg défait l'armée nordiste du Cumberland de Rosecrans. En pleine déroute, les nordistes sont sauvés par le commandant du 14ème corps, le général Thomas, qui parvient à conserver la ville de Chattanooga. L'emplacement est stratégique pour le nord : non seulement Chattanooga peut servir de tremplin pour une invasion de la Géorgie et Atlanta, mais connecte aussi le Nord à l'est du Tennessee, unioniste, où la ville de Knoxville est assiégée également par les confédérés. Premier défaut du livre d'ailleurs : la seule carte générale de la campagne, p.4, n'est pas suffisante à elle seule car on ne voit pas justement l'ensemble du théâtre des opérations dont Knoxville. Le secrétaire d'Etat à la guerre de l'Union, Stanton, voyant que Rosecrans ne prend pas d'initiative, envoie en renfort 2 corps de l'armée du Potomac dirigés par le général Hooker, et demande à Grant, qui commande l'armée du Tenneesse, d'en envoyer 2 autres sous le commandement de Sherman. Finalement, Lincoln fait de Grant, début octobre, le commandant de théâtre, manoeuvrant l'armée du Cumberland, celle du Tennessee et les 2 corps de l'armée du Potomac. En 3 mois, Grant casse le siège de Chattanooga et jette les bases de la prise d'Atlanta par Sherman et de sa "marche à la mer", tout en préparant sa prise de commandement de l'armée du Potomac en 1864 au vu des qualités dont il a fait preuve dans cette campagne.

Après la traditionnelle présentation des chefs (Grant, Thomas, Sherman, Hooker, et Smith, le chef du génie de l'armée du Cumberland qui aura un rôle clé, pour les nordistes ; et Bragg, Longstreet, Hardee, Breckinridge et Wheeler pour les confédérés) , l'auteur décrit rapidement les 2 armées en présence. Côté nordiste, une bonne partie des effectifs proviennent du Kentucky, Etat esclavagiste rallié à l'Union, et du Tennessee, Etat membre de la confédération mais dont tout une partie reste fidèle au Nord. L'armée du Cumberland a été formée fin 1861 avec des troupes venant des Etats autour du lac Michigan. Elle a combattu sur le front ouest, de Shiloh à Chickamauga, où sa défaite est plus celle du commandement que des hommes. L'armée du Tenneesse de Grant est celle qui a connu le plus de succès depuis 1861. Ses 5 corps d'armée recrutent aussi autour du lac Michigan mais également dans les Etats de la frontière (Iowa, Missouri, Minnesota). Les renforts envoyés à Chattanooga sont parmi les meilleurs de l'armée, auréolés de la prise de Vicksburg. Les 2 corps de l'armée du Potomac commandés par Hooker, les 11ème et 12ème, sont rattachés à l'armée du Cumberland. Le 11ème corps avait particulièrement souffert à Chancelorsville, puis à Gettysburg, comme le 12ème. Les échecs étaient plus dus là encore selon l'auteur à des fautes de commandement et à un concours de circonstance qu'à la valeur des hommes à proprement parler. Le 11ème corps a la particularité d'avoir un recrutement très prononcé dans la communauté allemande émigrée aux Etats-Unis. L'armée du Tenneesse confédérée est l'ancienne armée du Mississipi, dont Bragg a pris le commandement juste après la bataille de Shiloh. Bragg n'a pas été très heureux par le passé lors de deux incursions dans le Kentucky. Il aura fallu le renfort du 1er corps de l'armée du Virginie du Nord pour remporter la bataille de Chickamauga. Bragg, très cassant avec ses subordonnés, remplace un commandant de corps (Polk) après la bataille et met à la tête de sa division de cavalerie Joseph Wheeler, laissant le pourtant très redoutable Forrest sans emploi, ce qui n'est pas sans laisser dubitatif. En outre, si l'armée confédérée est bien équipée, le ravitaillement laisse à désirer et les pertes en hommes sont difficiles à combler dans les régiments. La cavalerie confédérée, plus nombreuse que son homologue, est moins bien armée mais se montre très utile lors de raids, isolant Chattanooga de tout ravitaillement par le nord, alors que l'infanterie maintient le siège à l'est et au sud. Plutôt que l'ordre de bataille détaillé de chaque armée, on aurait apprécié ici un peu plus de pages, justement, quant à l'armement respectif des deux armées et d'autres considérations sur la composition des troupes, qui manquent un peu.

Bragg fait le choix d'éviter l'assaut frontal et d'affamer la garnison de Chattanooga, en menaçant les voies ferrées et en interdisant le trafic sur le Tennessee, qui borde la ville. Grant, à l'inverse, cherche à ouvrir une nouvelle voie de ravitaillement : l'importance de la logistique ne lui a jamais échappé, ce qui en fait un des meilleurs généraux de cette guerre de plus en plus moderne. Son plan est d'ouvrir un passage terrestre plus court entre deux descentes de ferrys sur le Tennessee, afin de raccourcir la distance parcourue pour le ravitaillement. Une fois le ravitaillement assuré, Grant compte déloger l'armée confédérée autour de Chattanooga par des manoeuvres, et si possible la détruire intégralement.


 





Bragg laisse le temps à Thomas de se retrancher dans Chattanooga, même si il lance Wheeler dans un raid de cavalerie au nord de la ville qui détruit plusieurs centaines de wagons de ravitaillement. Une fois arrivé sur place, Grant se rallie au plan du chef du génie de l'armée du Cumberland, Smith, qui propose de raccourcir le ravitaillement en s'emparant de la péninsule formée par la boucle du Tennessee à l'ouest de Chattanooga, qui comprend Raccoon Mountain et Lookout Valley, et des deux débarcadères de ferry de part et d'autre de la boucle, Brown's Ferry et Kelley's Ferry. Grant envoie les deux corps de Hooker et une partie du 4ème corps s'emparer de Brown's Ferry, le plus proche des deux débarcadères à l'ouest de Chattanooga, et de Lookout Valley. C'est chose faite le 27 octobre et les nordistes se fortifient à Wauhatchie, dans la Lookout Valley. Longstreet, qui tient le front à cet endroit, lance une attaque sur Wauhatchie les 28 et 29 octobre en tentant de tronçonner les forces fédérales pour mieux les détruire : mais suite à un repli prématuré de la brigade de Law, au sein de la division de Hood qui mène l'attaque, l'occasion est manquée. Les nordistes sont désormais retranchés dans la Lookout Valley et tiennent les deux débarcadères, ouvrant la ligne de ravitaillement baptisée "Cracker Line". A ce moment-là, il est sûr ou presque que l'Union peut remporter la campagne. Bragg, au lieu d'abandonner le siège, envoie le corps de Longstreet et la division de cavalerie de Wheeler au siège de Knoxville, ne maintenant que 2 corps d'armée autour de Chattanooga. Grant, lui, qui a déjà utilisé les 2 corps de l'armée du Potomac, attend encore l'arrivée des 4 divisions de Sherman. Il veut frapper la droite des confédérés, à l'est de Chattanooga, sur Missionary Ridge, et ramène pour se faire le 11ème corps de Hooker sur ce front depuis la Lookout Valley. Le 23 novembre, 14 000 hommes se déploient pour attaquer Orchard Knob, une éminence située au devant de Missionary Ridge où les confédérés n'ont laisser que des piquets de surveillance. Croyant avoir à faire à une simple démonstration de force, les confédérés sont pris par surprise et Orchard Knob est rapidement pris. Le soir même, Sherman entame la traversée du Tennessee pour venir renforcer une nouvelle attaque que Grant veut décisive sur Missionary Ridge. Pour faire diversion, Grant lance Hooker sur Lookout Mountain : c'est la "bataille dans les nuages", où les nordistes réussissent à déloger les confédérés, en infériorité numérique, du sommet.  Le 25 novembre, Grant lance 60 000 hommes contre 36 000 confédérés sur Missionary Ridge : il espère déborder la position par les deux flancs, mais au nord, Sherman se heurte à la division de Cleburn, bien retranchée sur Tunnel Hill, et au sud, Hooker progresse trop lentement sur le champ de bataille. La décision vient du centre : devant au départ faire diversion, les hommes des 4ème et 14ème corps, stationnés au pied de Missionary Ridge, montent à l'assaut et provoquent la retraite des confédérés en face d'eux et de toute la ligne. Hooker arrive à ce moment par le sud, achevant la déroute des sudistes. Seule la division de Cleburn se retire en bon ordre. Les confédérés laissent entre 4 000 et 6 000 prisonniers, 42 canons, 7 000 fusils et des quantités de munitions et de matériel. Bragg n'a d'autre choix que d'ordonner la retraite sur la Géorgie. Cleburn tient la passe de Ringgold Gap le 27 novembre pour protéger la retraite, tandis que la cavalerie sudiste couvre les flancs : l'armée du Tenneesse échappe ainsi à la destruction. Grant stoppe la poursuite et choisit d'aller libérer Knoxville de son siège.

Les illustrations d'Adam Hook, assez figées, ne sont pas les meilleures chez les éditions Osprey (ici l'assaut sur Missionary Ridge le 25 novembre 1863).

La défaite de Chattanooga coûte enfin son poste à Bragg : Jefferson Davis le remplace par un de ses commandants de corps, Hardee, qui refuse, et finalement Joseph Johnston prend le commandement. Longstreet sera défait devant Knoxville et repartira avec son corps vers l'armée de Virginie du Nord. Grant deviendra le commandant de l'armée nordiste et emmènera avec lui dans l'armée du Potomac les subordonnés compétents de la campagne, Smith et Sheridan. Sherman dirigera les opérations de l'armée du Tenneesse et de celle de Cumberland, jusqu'à la prise d'Atlanta et la "marche à la mer". Il aura avec lui les 11ème et 12ème corps de Hooker fusionnés dans un nouveau 20ème corps d'armée. Thomas, qui avait assuré la défense de Chattanooga, avait paru trop timoré à Grant qui ne lui laissera que le commandement de l'armée du Cumberland, sans autre promotion.

Historien amateur, Mark Lardas s'est appuyé uniquement sur un ouvrage savant de Peter Cozzens (en tout cas c'est le seul qu'il cite en bibliographie), sur les rapports et témoignages d'époque ou écrits après le conflit. C'est un peu léger au vu de la bibliographie historienne disponible (et rien que les livres, sans parler des articles) ce qui explique sans doute les faiblesses discernables à la lecture. Par ailleurs, le manque de cartes illustrant l'ensemble du théâtre des opérations se fait sentir, alors même que les batailles de la campagne sont correctement illustrées chacune par une carte détaillée. Les illustrations d'A. Hook, assez figées, ne sont pas les meilleures que l'on trouve chez cet éditeur. L'ouvrage reste une introduction correcte pour le profane, mais sans plus.

dimanche 27 août 2023

Jean-Blaise DJIAN, Gorune APRIKIAN, Kyungeun Park, Une histoire du génocide des Arméniens, Petit à petit, 2022, 128 p.

 

Les éditions Petit à Petit proposent, depuis quelques années, d'intéressants volumes mêlant récit inspiré de documents historiques ou de témoignages, mâtinés de fiction, et parties documentaires remettant en perspective les passages en bande dessinée. J'avais déjà trouvé très intéressant celui sur le navire négrier La Marie-Séraphique, que je commenterai peut-être ici un jour aussi. Ce volume-ci, sorti l'an passé, est consacré à un thème des plus sensibles : le génocide arménien. Au dessin, on trouve Kyungeun Park, que j'avais déjà remarqué sur la BD Haytham. Une jeunesse syrienne, chez Dargaud. Gorune Aprikian est quant à lui à l'origine du scénario Varto, qui a fait l'objet d'une autre BD, également sur le génocide arménien, BD sur laquelle a également travaillé Jean-Blaise Djian, le dernier membre du trio.


 

La première partie documentaire rappelle l'histoire de l'Arménie jusqu'à l'arrivée de l'empire ottoman. Le texte est relativement court et bien illustré, avec, à chaque fois, une indication de prolongement pour aller plus loin (ici le musée arménien de France). Le récit de BD se focalise sur le village de Dendil, dans la région de Sivas, et suit le parcours de la famille arménienne de Mikael, un jeune garçon dont le meilleur ami est Ali, un Turc. On constate que les différentes communautés vivent en bonne entente dans le village, même si certains Turcs sont réticents quant à la présence des Arméniens. Après la déclaration de guerre de l'empire ottoman à la Triple Entente, la situation se dégrade rapidement. En avril 1915, les soldats turcs viennent incorporer les hommes en âge de se battre dans l'armée ottomane.


La deuxième partie documentaire comprend une petite erreur p.16 (Constantinople prise en 1453 et non en 1499, sans doute une faute en raison de la date précédente qui se termine en 99). Pour le reste, le contenu est tout à fait satisfaisant, bien qu'un peu court parfois pour cerner toute la complexité des choses, mais c'est le format qui veut ça. Le deuxième morceau de la BD illustre le massacre des Arméniens mobilisés dans l'armée. La troisième partie documentaire replace sur la longue durée le sort réservé aux Arméniens depuis le milieu du XIXème siècle jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale. La troisième partie de la BD évoque la déportation des Arméniens restant, même si certains ont préféré, avant d'être arrêtés, se cacher dans les montages environnantes. Ce morceau témoigne aussi que certains Turcs se sont opposés au génocide et ont dissimulé des Arméniens chez eux, ainsi Mikael qui est déguisé en femme dans la maison du père de son ami Ali, le maire du village. Dans la quatrième partie documentaire, les auteurs montrent comment l'empire ottoman en vient à être dirigé par les Jeunes Turcs et combien le déroulement des premiers mois de la guerre va précipiter le déclenchement du génocide arménien.


La quatrième partie de la BD insiste sur la mise au pillage des biens des Arméniens dans le village de Dendil, et sur les massacres de femmes et d'enfants commis sur la route de la déportation, entre autres atrocités. La cinquième partie documentaire dépeint le déroulement du génocide, mais aussi la place des Allemands, alliés des Turcs (en prolongement, les auteurs renvoient vers l'excellent ouvrage de Taner Akcam, Ordre de tuer). Il manque peut-être dans cette partie, tout comme dans la BD, un focus sur les camps mouroirs en Syrie ou périssent les derniers survivants de la déportation. De la même façon, si la page introductive du tome rappelle le bilan estimé à 1,2 millions de victimes, la BD n'en fait pas un point dans cette partie documentaire, c'est dommage, car la question est importante pour la définition du génocide.




La cinquième partie de la BD montre la résistance des Arméniens qui, retranchés dans les grottes autour de Dendil, affrontent jusqu'à l'ultime sacrifice les soldats turcs venus les déloger. La sixième partie documentaire se fait l'écho des actes de résistance survenus pendant le génocide (le Musa Dagh notamment) et dépeint aussi les "Justes" turcs à travers de nombreux exemples. Dans la sixième partie de la BD arrive l'armistice (un et pas une comme indiqué p.91 dans la case). On voit aussi la recherche par les Britanniques des Arméniennes prises de force par les Turcs comme épouses, à Mossoul, en 1919. La septième partie documentaire montre comment le pays Arménie a fini par se construire après la Première Guerre mondiale, jusqu'à devenir une république soviétique, alors que l'empire ottoman qui s'écroule, et qui avait jugé avant sa chute les génocidaires, est remplacé par la République créée par Mustapha Kemal. Dans les deux dernières parties de la BD, Mikael part à la recherche de sa soeur, qui a survécu au génocide. Les deux dernières parties documentaires montrent comment s'est construite la mémoire du génocide : les nazis s'en inspireront pendant la Seconde Guerre mondiale, Raphaël Lemkin définit le mot génocide suite à son expérience concernant le génocide arménien, et il faut attendre les années 1960 pour qu'en Arménie, la conscience collective se réveille, encore sous l'URSS. En Turquie, une chape de plomb tombe sur le sujet. Le travail de Hrant Dink ouvre la voie dans les années 2000, avant son assassinat en 2007, et plusieurs intellectuels ou historiens turcs brisent le silence (dont Taner Akcam évoqué plus haut). Il n'en demeure pas moins que la Turquie se ferme sur la question : le code pénal interdit de parler de génocide arménien, et la négation de l'événement connaît un regain très net depuis qu'Erdogan est devenu président. Les cicatrices se sont rouvertes à l'occasion du nouveau conflit dans le Haut-Karabagh en 2020, dont l'Azerbaïdjan est sorti vainqueur grâce aux drones turcs. Précédemment, la montée en puissance de l'Etat islamique qui, lui aussi, commet un génocide contre les Yézidis, déjà persécutés par les Turcs pendant le génocide arménien, et sur les mêmes lieux parfois, avait ravivé le traumatisme.

Au final, un volume bienvenu, sur un sujet brûlant. Gageons que les éditions Petit à Petit continuent sur leur lancée et nous produisent encore d'excellents volumes de ce genre, sur des sujets qui, dans ce format-là, n'avaient pas encore été traités. Celui-ci sera sans aucun doute un excellent outil pour les enseignants.

Alexeï FEDOROV, Partisans d'Ukraine, J'ai Lu Leur aventure 125 et 126-127, Paris, J'ai Lu, 1966 (2 tomes)

 

En 1966, les éditions J'ai Lu rééditent, dans leur fameuse collection bleue J'ai lu leur aventure, les mémoires, écrits après la guerre, d'Alexeï Fedorov, parues en URSS en 1947-1958 et déjà une première fois en français en 1951.

Fedorov est né près de Dniepropetrovsk dans une famille de paysans ukrainiens. Il combat pendant la guerre civile russe dans les rangs de l'Armée Rouge. Entré au parti communiste en 1927, il est nommé en 1938 premier secrétaire du comité régional de Tchernigov, dans le nord de l'Ukraine. Pour ses exploits comme chef de partisans, il terminera la guerre avec le grade de général, décoré deux fois du titre de Héros de l'Union Soviétique. Une statue lui est érigée à Dniepropetrovsk. Elle est déboulonnée en janvier 2023, alors que la Russie a envahi l'Ukraine l'année précédente.

Fedorov dirige pendant la Grande Guerre Patriotique l'un des groupes de partisans les plus actifs de cette région de l'Ukraine. Le premier tome montre combien l'organisation des partisans soviétiques sur les arrières de la Wehrmacht n'a pas été chose facile. Elle avait été anticipée avant la guerre, mais les belles constructions théoriques du parti ne tiennent plus devant la violence du choc de l'attaque allemande, le 22 juin 1941, même si, en fin de compte, elles s'avèrent utiles par certains côtés.

Fedorov, après le bombardement et l'occupation de Tchernigov par les Allemands, erre lui-même plusieurs mois à travers les forêts, les marais et les campagnes d'Ukraine, en compagnie de soldats de l'Armée Rouge pris derrière les lignes allemandes -et qui formeront souvent l'essentiel des premiers groupes de partisans-, de paysans souhaitant échapper à l'occupation ou de personnages plus atypiques, comme ce vieillard parlant allemand et qui ne veut pas être réquisitionné comme interprète, préférant s'en aller à chaque fois avec sa vache !

Fedorov découvre que l'organisation clandestine prévue avant le déclenchement des hostilités n'a pas pu se mettre en place. Il faut tout repenser, tout reconstruire, au milieu d'une population plutôt complice des partisans, mais qui compte aussi des éléments antisoviétiques n'hésitant pas à rallier l'occupant pour rétablir l'ancien régime tsariste ou pour y trouver leur profit, comme ce criminel de droit commun visiblement passé au service des Allemands.

L'auteur a néanmoins tendance à penser que la majorité des Ukrainiens a soutenu le camp soviétique pendant la guerre, ce qu'il resterait à étayer plus précisément. Hormis dans quelques passages, il n'y a cependant aucune intention réelle de propagande : Fedorov expose sans fard ses doutes, ses hésitations, ses ratés même -comme lorsqu'il tire sur un homme qui se fait un peu trop pressant et qu'il suspecte d'être un mouchard, et qu'il rate ! La peinture du mouvement partisan à ses débuts, dans la région de Tchernigov, n'a ainsi rien de glorieux, bien au contraire : on manque d'armes, d'expérience militaire, d'entraînement, même si la population fournit le gîte et le couvert.

Dans le tome 2, Fedorov cordoonne et rassemble plusieurs groupes de partisans pour montrer une première attaque d'envergure, en décembre 1941, contre une garnison allemande, avec plusieurs centaines d'hommes. Cette attaque a un succès. Toutefois, la situation des partisans reste précaire : ils doivent s'armer sur leurs adversaires, manquent de nourriture, d'hygiène, de soins médicaux. Ils doivent constamment changer d'emplacement en raison des opérations de ratissage menées par les Allemands. Fedorov exagère sans doute les chiffres des pertes infligées à l'ennemi (il prétend aussi que des Finlandais se trouvent dans ce secteur du front de l'est, ce qui semble hors de propos). La situation s'améliore quand les partisans parviennent à prendre contact avec Moscou qui organise alors des parachutages, des posers d'avions légers, et dote le groupe d'un poste radio pour les communications. Fedorov lui-même est ainsi emmené à Moscou par avion pour rencontrer les dirigeants soviétiques qui coordonnent l'action des partisans avec la Stavka, notamment Ponomarenko (le tome 2 se termine là-dessus). L'action des partisans devient ainsi plus efficace dès l'été 1942, au moment où les Allemands combattent dans Stalingrad.

Comme souvent dans ce genre d'ouvrage de témoignage ou mémoires, il manque une introduction par un spécialiste/historien qui remettrait en contexte le document. N'ayant pas encore assez lu sur le mouvement partisan soviétique durant la Grande Guerre Patriotique, je vais donc m'employer à le faire pour mieux jauger le témoignage de Fédorov.

vendredi 25 août 2023

Albert CASTEL et Tom GOODRICH, Bloody Bill Anderson. The Short, Savage Life of a Civil War Guerrilla, University Press of Kansas, 1998, 170 p.

 

Au nom de Bloody Bill Anderson, certains penseront peut-être à la scène initiale du film Josey Wales hors-la-loi (1976), où le personnage incarné par Clint Eastwood rejoint la bande de Bill Anderson après avoir vu sa famille massacrée par des maraudeurs nordistes - le western, révisionniste, présente une image très idéalisée et déformée de Bloody Bill. Plus juste sans aucun doute est la représentation de Bloody Bill dans le film Chevauchée avec le diable (1999), où il est incarné par Jim Caviezel. Les deux historiens, tous les deux spécialistes de la guerre de Sécession (Castel, spécialiste du théâtre ouest de la guerre de Sécession, est mort en 2014 ; , visent ici à présenter la biographie la plus complète possible d'un homme dont le nom reste entouré de légendes, dorée ou noire.



Dès le milieu des années 1850, la guerre fait déjà rage aux confins ouest des Etats-Unis. Les habitants du Missouri, pour beaucoup partisans de l'esclavage, veulent transformer en Etat esclavagiste le territoire du Kansas, de plus en plus peuplé de gens de l'est, abolitionnistes. Aux "Border Ruffians", guérilleros sudistes du Missouri, s'opposent les Jayhawkers nordistes, mais les raids de ces irréguliers tournent souvent au crime crapuleux, sans distinction de parti. Quand la guerre éclate, la Confédération ne parvient pas à s'implanter militairement et politiquement dans le Missouri, malgré le soutien actif de la moitié ouest de l'Etat. L'Union ayant le dessus, il ne reste plus aux partisans les plus décidés du Sud que la guérilla : ce seront les fameux "bushwackers".

La famille Anderson s'est installée avant la guerre au Missouri, à Huntsville, puis au Kansas. Bill, né en 1839 dans le Kentucky, a servi comme conducteur de convoi sur la fameuse piste de Santa Fe, où il inaugure ses premiers détournements crapuleux. En 1861, Anderson est avec Arthur Ingram Baker d'Agnes City, un notable qui forme son groupe de Jayhawkers. Après le démantèlement de la bande par l'armée et l'arrestation de Baker, Anderson se met à son compte et rançonne surtout des Unionistes, mais à ce moment-là sans aucune motivation politique. En mai 1862, Baker tue le père Anderson suite à une querelle à propos d'une soeur de Bill, qu'il a courtisée avant de se marier avec une autre. Les fils prennent la fuite mais en juillet, Bill et Jim Anderson reviennent et tuent Baker et un homme qui l'accompagnait, déjà de manière particulièrement cruelle : blessés à coups de pistolet, ils sont enfermés dans une cave et brûlés vifs. Anderson tienne à ce qu'on se souvienne de ses méfaits...

Les frères Anderson opèrent ensuite dans l'est du Kansas. Quand Quantrill arrive à l'automne 1862, il leur reproche de s'attaquer aussi à des partisans du Sud, ce que Anderson ne lui pardonnera jamais véritablement. Les frères Anderson passent alors dans l'ouest du Missouri. Ils rejoignent la bande de Yager pour un raid dans le Kansas. C'est seulement en juillet 1863 que le nom de Bill Anderson apparaît dans les textes nordistes. A la tête d'une petite bande, il a déjà à ses côtés Archie Clement, vrai tueur sadique qui scalpe ceux qu'il tue. Ewing, le général nordiste qui commande le district de la frontière, prend alors des otages dans les familles des bushwackers, ce qui n'avait jamais été fait, dont les 3 soeurs d'Anderson, maintenues en détention dans un bâtiment vite reconverti en prison à Kansas City. A la suite d'un défaut de construction et de négligence des geôliers, le bâtiment s'écroule le 13 août 1863, tuant une soeur Anderson et blessant gravement les deux autres. Fou de rage, Anderson se transforme en brute sanguinaire lors du raid monté par Quantrill sur la ville de Lawrence, au coeur du Kansas, le 21 août : il abat de sa main 14 hommes sur les 200 victimes, environ, causées par le raid.

 

En octobre 1863, alors que les bushwhackers se replient au Texas pour l'hiver, ils massacrent non loin de Fort Scott, à Baxter Springs, tout une colonne accompagnant le général Blunt, qui parvient à prendre la fuite - dont la fanfare de la troupe, qui comprenait un garçon de 12 ans. L'hivernage au Texas se passe mal, les autorités confédérées constatant le caractère imprévisible de ces guérilleros. Anderson se querelle avec Quantrill et surtout avec George Todd, un autre brutal chef de bande. Finalement, Quantrill, qui pense avoir réussi coup de maître avec le raid sur Lawrence et a accepté un grade d'officier dans l'armée confédérée, cède le premier rôle dans la guérilla au Missouri à Todd et Anderson, qui attendent l'invasion programmée du Missouri par l'armée confédérée du général Price, à l'été 1864. Les bushwhackers préfèrent d'ailleurs suivre ces deux chefs car ils ont l'assurance qu'ils pourront tuer à loisir des nordistes, piller et donne libre court à leur haine débridée. C'est à partir de ce moment-là qu'Anderson prend l'habitude, avec certains de ses hommes, de scalper certaines de ses victimes -Archie Clement notamment, qui adore jouer avec son couteau... le 1er août, il manque toutefois de se faire prendre par des miliciens faute d'avoir suffisamment placé de sentinelles autour de son point de chute. A l'été 1864, Anderson est devenu le chef de bande le plus redouté par l'Union dans le Missouri. Son groupe s'étoffe à plus d'une centaine d'hommes, dont les frères Frank et Jesse James. En septembre 1864, Anderson perd 6 hommes face à des miliciens nordistes qui, à leur tour, tuent et scalpent les prisonniers lors d'un raid sur Fayette. Il montre toutefois, dans les semaines suivantes, que l'Union n'arrive pas à contrôler efficacement le territoire de l'Union, en particulier la voie de chemin de fer qui court de Saint-Louis à l'Iowa, au nord. Il faut dire que le Missouri a été ponctionné de troupes régulières nordistes pour soutenir la campagne du général Grant à Vicksburg, en 1863 : il n'y reste plus que 4 régiments de cavalerie en plus d'unités de miliciens, le 2ème Colorado et le 1er Iowa, qui essaient de tenir la dragée haute aux bushwhackers, tandis que le 17ème Illinois et le 15ème Kansas, dont le commandant est le jayhawker Jennison, laissent franchement à désirer. Les cavaliers nordistes sont aussi handicapés par un armement souvent inférieur : ils sont équipés de fusils à chargement par la bouche ou de fusils à un coup, tandis que les bushwhackers se munissent de paires de pistolets Colt Navy pour les engagements à courte portée et bénéficier d'une grande puissance de feu - les chefs comme Anderson en ont au moins 6 sur eux ou leur monture. Par ailleurs Anderson généralise, durant ses raids, la vieille tactique consistant à porter l'uniforme de l'ennemi pour le surprendre - ce qui ne manque pas aussi de provoquer des méprises, parfois, entre groupes de bushwhackers qui se tirent dessus.

Le 27 septembre, la bande d'Anderson investit la ville de Centralia, sur la ligne de chemin de fer qui traverse le Missouri. Les bushwhackers dévalisent une diligence, puis font stopper un train qui arrive de l'est et qui comprend notamment des permissionnaires nordistes de l'armée de Sherman qui vient de prendre Atlanta. Les soldats sont tous abattus après avoir été désarmés et déshabillés, sauf le sergent Goodman, du génie, de l'Iowa qu'Anderson épargne pour l'échanger contre un bushwhacker prisonnier. Les guérilleros incendient une partie de la gare et lancent le train à toute vitesse à contresens. En quittant la ville, rançonnée, ils arrêtent un autre train de construction qu'ils détruisent. Le major Johnston, qui commande un détachement du 39ème Missouri constitué de soldats à pied montés à cheval, et qui poursuivait une autre bande de bushwhackers, arrive alors à Centralia. Il va chercher le contact avec les guérilleros confédérés qui sont encore visibles à l'horizon. Mal lui en prend : ses 115 hommes doivent faire face à trois fois plus de bushwhackers, qui les attirent dans un piège grâce à la retraite feinte, tactique chère aux guérilleros. Avec leur fusil à un coup, les miliciens nordistes, démontés, sont anéantis par la charge tonitruante des bushwackers et le feu roulant de leurs multiples Colt Navy .36. Les guérilleros poursuivent les fuyards jusque dans Centralia. Dave Poole, un des lieutenants d'Anderson, saute de corps en corps sur le champ de bataille pour compter les cadavres. Une douzaine de corps sont scalpés, dont celui du major Johnston. D'autres sont décapités. Oreilles, nez, yeux, bras, mains, pieds et jambes sont arrachés sur certains cadavres. Un autre milicien est émasculé vif et ses parties génitales fourrées dans sa bouche. Une centaine de morts en tout contre 2 tués et 1 blessé mortellement chez les bushwhackers. Par cette boucherie, Anderson devient le chef bushwhacker par excellence et l'homme à abattre pour le Nord - encore davantage que Quantrill.

Goodman, prisonnier des bushwhackers, les accompagne jusqu'au 7 octobre, où il arrive à leur fausser compagnie. Il écrira un témoignage précieux sur leur façon d'opérer et d'être au quotidien, et sera étonné de voir comment ils sont organisés et font montre d'une réelle efficacité sur le plan militaire. Anderson rejoint l'armée de Sterling, qui a enfin envahi le Missouri, à Boonville, le 10 octobre. Faute d'hommes et de soutien, l'invasion confédérée du Missouri se transforme en anabase. Horrifié par les scalps attachés à la selle d'Anderson, Price est pourtant bien obligé de l'enrôler, étant à court de moyens pour faire du tort à l'Union et ne souhaitant pas se mettre un tel homme à dos. Le 21 octobre, Anderson et son aide investissent la maison de Benjamin Lewis, un notable nordiste fortuné de la ville de Glasgow. Ce dernier est quasiment battu à mort par Anderson et son aide pour l'obliger à livrer tous ses biens (il mourra en 1866). Anderson viole aussi avec son comparse une jeune servante noire : un tabou est encore rompu, les bushwhackers étant par principe respectueux des femmes, même si ceux d'Anderson en avaient déjà battu ou malmené par le passé. Les hommes d'Anderson reviennent d'ailleurs plus tard dans la maison évacuée par ses occupants et violent encore 2 domestiques noires qui étaient restées. Le même jour, Todd est tué : Anderson domine la scène. Mais il est finalement rattrapé par la mort : le 27 octobre, près d'Albany, le lieutenant-colonel Cox, qui dirige des miliciens montés des 33ème et 51ème Missouri de la milice, tend une embuscade aux bushwhackers en utilisant leur propre tactique, la retraite simulée. Anderson, qui charge à la tête de ses hommes, est lardé de balles. Une fois son corps identifié, il est ramené à Richmond, où il est photographié par le dentiste local, Kice.

La mort d'Anderson ne met pas fin à la guérilla. Si Quantrill décide de gagner le Kentucky (où il trouvera bientôt la mort lui aussi, en 1865), d'autres chefs comme Dave Poole qui prend la suite de Todd ou Jim Anderson vont hiverner au Texas et reviennent au printemps 1865 dans le Missouri. Les bushwhackers, inquiets pour leur sort, finissent par se rendre à partir de mai-juin 1865 mais tous ne le font pas officiellement et rentrent chez eux comme si de rien n'était. Le 13 février 1866 a lieu la première attaque de banque en plein jour des Etats-Unis, à Liberty. Jim Anderson fait partie des assaillants. Cette attaque sera suivie de beaucoup d'autres, commises par d'anciens bushwhackers incapables de revenir à une vie normale. Clements, qui avait probablement participé aux premières attaques de banques et défie sans cesse le pouvoir, est finalement abattu en pleine rue à la fin de l'année. Jesse James, ancien de la bande d'Anderson, qui avait suivi Quantrill au Kentucky avant de partir finalement au Texas, se reconvertit lui aussi dans l'attaque de banque dès 1869 -lors de son premier braquage, il abat un caissier qu'il prend pour Cox, l'officier responsable de la mort de Bill Anderson. Inspirés par ce qu'ils font fait à Centralia, les frères James développent les attaques de train avec les frères Younger, anciens de la bande de Quantrill, jusqu'à l'échec final de Northfield, dans le Minnesota, en 1876. Les frères James font profil bas avant de reprendre leurs attaques de trains entre 1879 et 1881. Jesse est finalement abattu par un "retourné" en 1882. Son frère Frank préfère se rendre pour échapper au même sort.

La tombe d'Anderson est régulièrement fleurie encore aujourd'hui. L'image héroïque et romantique du guérillero confédéré se maintient, comme celle d'ailleurs de Jesse James. Mais l'image oublie une partie conséquente de la réalité : Bill Anderson, qui en a eu l'opportunité et les stimuli, est devenu un véritable sauvage pendant la guérilla menée dans le Missouri. Le surnom de Bloody Bill n'était pas usurpé.

L'ouvrage se termine par un essai bibliographique, qui rappelle la difficulté majeure du sujet : les bushwhackers ont laissé très peu de documents écrits derrière eux, il faut donc utiliser les sources de leurs adversaires ou de leurs prisonniers pour les appréhender. A noter que si des cartes, bien présentes, permettent de se repérer, il en manque peut-être pour indiquer les déplacements de Bloody Bill durant sa vie et pendant la guérilla au Missouri. Au-delà du portrait de tueur sans pitié dressé par les deux auteurs, il manque aussi sans doute une remise en perspective un peu plus large de ses actions : après tout, Bill Anderson, comme beaucoup de bushwhackers, a des liens familiaux avec les autres Etats sudistes en guerre, et dès avant le conflit, lors de ses premières déprédations, il abhorre, comme beaucoup d'entre aussi, l'abolitionnisme. Le choix même de ses victimes montre qu'il y a une vraie idéologie derrière le déferlement de haine. L'homme qu'il bat presque à mort à Glasgow, en 1864, avait affranchi tous ses esclaves et Anderson ne manque pas de lui reprocher quand il le torture. Bourreau sur le terrain, Anderson fait avant tout partie du monde confédéré qu'il veut préserver.

jeudi 24 août 2023

Gods and Generals (2003) de Ronald F. Maxwell

 

 

1861. Le colonel Robert E. Lee (Robert Duvall), de l'armée américaine, se voit proposer par le président Lincoln le commandement des forces de l'Union pour combattre la Sécession qui se dessine après le bombardement de Fort Sumter. Il refuse pour prendre la tête de la milice de son Etat natal, la Virginie, qui a rejoint la Sécession. Dans le même temps, Thomas Jackson (Stephen Lang), officier et professeur à l'institut militaire de Virginie, rejoint lui aussi la cause confédérée. Après la première bataille de Bull Run, en juillet 1861, Jackson gagne le surnom de "Stonewall". Le film suit son parcours jusqu'à sa mort pendant la bataille de Chancelorsville en mai 1863, ainsi que celui du futur colonel Chamberlain (Jeff Bridges), qui dans le camp de l'Union intègre le 20ème régiment du Maine qui participe notamment à la bataille de Fredericksburg...


 

Gods and Generals se veut le prequel du film Gettysburg (1993), du même réalisateur, Ronald F. Maxwell. Les deux ont la particularité de s'inspirer de deux romans du d'un duo d'auteurs : The Killer Angels (1974) de Michael Shaara pour Gettysburg et Gods and Generals du fils du premier, Jeff Shaara (1998). La production a été largement financée par le magnat des médias Ted Turner, le fondateur de CNN. Le film, qui durait au départ 5 heures, a été amputé d'1h30 pour sa sortie en 2003. Une édition augmentée à 4h40 est finalement sortie en 2011, c'est celle-ci que je commenterai dans cet article.

 

Commander l'armée de l'Union ? Vous n'y pensez pas ! Ma maison est de l'autre côté du fleuve. J'ai besoin d'espace et d'air pur...

Bonjour, mon nom est Jackson. Pas Michael, aucune parenté...

Hélas, à l'inverse de Gettysburg, où on le devinait un petit peu sans que cela soit aussi flagrant, tout le film est pollué par un parti pris outrancier en faveur de la mythologie de la "cause perdue", autrement dit l'idée, avancée dans les Etats sudistes vaincus en 1865, que leur cause était juste, non reliée à la question de l'esclavage, qui d'ailleurs est valorisé de manière positive dans cette mythologie, qui commence juste après la fin de la guerre de Sécession.

Mon nom est Pierre. Mur de Pierre.

Chérie, je peux réciter Lovelace et Lucain dans le texte, mais ça ne me suffit plus. Je veux de l'action.

 

Ted Turner y avait pourtant mis les moyens : après que le projet ait été rejeté par Warner Bros, il avait engagé 60 millions de dollars pour la réalisation et 30 millions pour la distribution, ce qui en fait un des films indépendants les plus chers de l'époque. Il fait d'ailleurs une apparition en caméo dans Gods and Generals en jouant le colonel Patton, l'ancêtre du général Patton de la Seconde Guerre mondiale. Le film a embauché des passionnés américains de reconstitution de la guerre de Sécession, qui ont participé gratuitement au tournage. Le 2nd South Carolina String Band, dans une scène fameuse, interprète ainsi le Bonnie Blue Flag. Turner a ensuite fait un don de 500 000 dollars pour la préservation des champs de bataille du conflit. Gods and Generals a été filmé sur les lieux des affrontements de l'époque, en Virginie et au Maryland essentiellement. On retrouve une bonne partie du casting de Gettysburg vu à l'écran 10 ans plus tôt : Stephen Lang, qui incarnait Pickett, tient ici le rôle de Jackson. Martin Sheen est remplacé par Robert Duvall dans le rôle de Lee, et d'autres acteurs manquent comme Tom Berenger qui n'a pas pu reprendre son rôle de Longstreet. Turner a réduit le film de 5h à 3h30 en se concentrant sur l'arc narratif de Jackson : il souhaitait diffuser le reste comme mini-série. L'échec du film au box-office a fait abandonner l'idée, tout comme celle de l'adaptation d'un dernier roman de Jeffrey Shaara, qui aurait complété le panorama de la guerre.

Misa Jim, Misa faire bonne cuisine ! (blague à part, le patois affublé à ce Noir du film fait encore plus verser dans le dénigrement pro-confédéré).

Non, ce n'est pas le Fucking Blue Boy. Ici c'est ma maison.

Un historien américain a dit que Gods and Generals était le film le plus pro-confédéré depuis Naissance d'une nation (1915), un des classiques américains du cinéma muet. On ne peut malheureusement qu'acquiescer : dès la première scène, quand Lee refuse le commandement de l'armée du Nord, tout est fait pour mettre le spectateur dans la position d'empathie vis-à-vis de Lee, qui veut rester fidèle à sa "petite patrie", la Virginie. Même chose avec Jackson. On atteint un summum avec les scènes mièvres dans la famille sudiste de Fredericksburg qui envoie ses fils à la guerre. C'est là qu'apparaît aussi un autre aspect de la mythologie de la "cause perdue" : des esclaves noirs, au Sud, contents de leur sort, et qui idolâtrent leurs maîtres comme des dieux. Même la scène du départ des hommes du Sud pour l'armée met mal à l'aise, sur fond de sermon chrétien : on a l'impression d'assister à une véritable croisade du bien contre le mal, avec d'ailleurs un Sud chrétien contre un Nord qui apparaît peu croyant (ce qui est historiquement faux). Arrive la première scène de bataille, celle de Bull Run : elle est déjà beaucoup moins percutante que celles de Gettysburg. Là où Maxwell s'était focalisé dans celui-ci sur un aspect majeur de la bataille par jour (j'imagine en suivant le roman : je ne l'ai pas encore lu), le combat des cavaliers de Buford le premier, la bataille de Little Round Top le deuxième, la charge de Pickett le troisième, ici, on ne voit la bataille que par un bout de la lorgnette et on n'y comprend vraiment pas grand chose. Le personnage de Chamberlain, beaucoup plus travaillé dans Gettysburg, est ici très négligé (mythologie de la "cause perdue" oblige) : on le voit s'engager à contrecoeur, et réciter des poèmes (de Lovelace ou de Lucain, plus tard). Une espèce de faire-valoir nordiste en face des gentlemen que seraient tous les officiers confédérés. Il permet au moins d'introduire un élément plus intéressant du film : l'apprentissage d'un officier, Chamberlain en l'occurrence, venu du milieu civil, et qui apprend la tactique d'infanterie avec le colonel du 20ème Maine, Adalbert Ames. Le morceau sur la bataille d'Antietam, retiré du film sorti en 2003, n'apporte vraiment rien au film. Le paroxysme de la mythologie de la "cause perdue" arrive sans doute lors de l'acmé du film, la bataille de Fredericksburg : tout est fait pour appuyer sur l'incompétence des officiers de l'Union - à part Hancock, joué par Brian Mallon comme dans Gettysburg, qui sauve l'honneur- et la maestria des généraux du Sud. Les soldats de l'Union, qui ne ressemblent depuis le début du film qu'à des robots en bleu, gagnent un peu plus de chair : c'est qu'il s'agit de montrer le combat fratricide à Mary's Heights entre les immigrants irlandais de l'Irish Brigade de l'Union qui charge la brigade géorgienne de Cobb, défendant le mur de pierre. Les hommes du 20th Maine ont aussi ce rôle consistant à remonter le soldat du Nord dans l'estime du spectateur. Mais à côté de cela, on insiste à loisir sur le pillage de Fredericksburg par les soldats de l'Union. Un peu plus loin, la fraternité d'armes est toutefois mise à l'honneur par cet échange café-tabac entre un Billy Yank et un Johnny Reb sur la Rappanahock. Ce qui n'empêche pas Jackson de faire fusiller des déserteurs de son ancienne brigade, dont un Nordiste du 4th Virginia qui avait voulu rester avec son unité de l'institut militaire de Virginie au début de la guerre. La galanterie des officiers sudistes avec avec les réfugiés de Fredericksburg se heurte aux réalités du temps : la petite fille qui avait sympathisé avec le général Jackson meurt de la diphtérie. Lui à tout juste le temps de voir sa propre fille, née pendant la guerre, avant d'être abattu par erreur par des soldats confédérés suite à son plus grand triomphe, la bataille de Chancelorsville, où on le voit charger à la tête de ses hommes sur une musique tonitruante digne de la charge des Walkyries. Un mini-résumé du film, en somme.

 

Ouinnnnnnnnnnnnnnn nos compatriotes irlandais, mais quels c... tire, p..., tire, il en vient encore !

- Général Jackson, c'est vrai que vous avez les mains pleines de sang ? - C'est pour mieux te protéger, mon enfant...




On devine ainsi certains choix du réalisateur comme de faire de Fredericksburg l'épisode central du film, alors qu'Antietam est négligé. Fredericksburg est la bataille-miroir de Gettysburg dans l'autre film, et c'est aussi celle où Chamberlain reçoit son baptême du feu. De la même façon, c'est après Antietam que Lincoln décide de la proclamation d'émancipation des esclaves : sacrifier Antietam dans le film permet de ne pas en parler... et on comprend pourquoi. La réalisation n'est pas sans qualité : Duvall fait sans doute un meilleur Lee que Martin Sheen, le maquillage est meilleur, les pièces d'artillerie ont un recul (!). Et pourtant, comme dans le premier film, que de longueurs, avec des récitations de texte qui feraient pâlir une pièce de théâtre. La performance de Stephen Lang éclipse tout le reste. Mais on ne peut oublier ce fond de "cause perdue" qui démolit tout ce que les historiens américains avaient essayé de déconstruire les cinquante années précédentes. A écouter les confédérés du film, ils ne se battent que pour leur liberté. Quant aux personnages des esclaves noirs, ils sont représentés par une servante fidèle et obéissante à ses maîtres sudistes, et par un cuisinier noir parlant en patois (un cliché supplémentaire) recruté par Jackson et qui là aussi le suit aveuglément jusqu'à la fin.

 

- Chez nous, on commence à mettre des avertissements sur les blagues à tabac, il y a trop de cancers prématurés. - nous, on a réduit la consommation de café. Les soldats mordaient leurs voisins durant leur sommeil.
"Nous sommes une bande de gros salopards, et natifs du Sud, combattant pour l'esclavage..."

 

Véritable catastrophe ambulante sur le fond, Gods and Generals a au moins l'avantage d'être un mauvais film. Il dissuadera ainsi beaucoup de personnes de le regarder et de succomber aux sirènes un peu trop évidentes de la "cause perdue". Retour à Cold Mountain, sorti la même année, était autrement plus intéressant. Presque un anti-Gods and Generals : sur l'arrière du front, la menace pour les sudistes réside plus dans les autre sudistes que dans l'adversaire Yankee. On y voit aussi la réalité d'une guerre devenue de plus en plus moderne avec la bataille du Cratère et l'explosion de la mine pendant le siège de Petersburg, et une autre réalité qui a échappé à l'équipe de Gods and Generals : les armées du Nord comptaient un certain pourcentage de sudistes. Les confédérés ont aussi dû faire face à une désertion endémique. Malheureusement, tout cela semble être ici passé dans les limbes de l'histoire... 

 

Je suis la mort, le destructeur des mondes.


mercredi 23 août 2023

Patrice PERNA et Fabien BEDOUEL, Darnand. Le bourreau français, Paris, Rue de Sèvres, 2018-2019 (3 tomes)

 



En 2018, le tandem Patrice Perna au scénario et Fabien Bedouel au dessin -je crois ne rien avoir lu d'eux autre part, j'ai donc un regard assez neuf- livre le premier volume d'une trilogie consacrée au personnage de Joseph Darnand, ancien héros de la Première Guerre mondiale puis des corps francs en 1939-40 devenu chef de la Milice puis officier dans la Waffen-SS. La couverture du tome 1, ci-dessus, particulièrement soignée, résume le contenu, comme ce sera pour les cas pour les suivantes : le premier volume aborde justement l'expérience de Darnand depuis la Première Guerre mondiale jusqu'à la défaite de juin 1940, période que pour le coup on connaît en général moins sur ce personnage. Romancée, l'histoire de Darnand le confronte, dès le premier tome, à celui qui sera sa némésis tout au long de la BD : son frère d'armes Ange Servaz, sniper dans les tranchées (on a le droit au tout début du tome 1 a une belle explication du terme). Le coup de main du 14 juillet 1918 où s'est illustré Darnand est bien restitué, puis on suit son parcours dans l'entre-deux-guerres, où il fréquente l'organisation d'extrême-droite surnommée la Cagoule, enfin son coup d'éclat dans les corps francs en 1940 et pour terminer son évasion du camp de Pithiviers. A la fin du premier volume se trouve la une d'époque de Paris Match, datée du 21 mars 1940, relatant l'exploit de Darnand. En tête de volume, les deux auteurs mentionnent 3 ouvrages en "bibliographie conseillée" : celui de Delperrié de Bayac sur la Milice, celui de Giolitto sur le même sujet, et la biographie d'Eric Brunet sur Darnand. Le premier est un peu daté, les deux derniers ne sont à proprement parler des ouvrages d'histoire au sens strict, notamment le dernier d'entre eux. Il faut dire que la bibliographie sur le personnage est assez ténue : il faut aller chercher dans des ouvrages comprenant des chapitres sur le personnage, un de Jean-Paul Cointet en 2017 ou un autre de Bénédicte Vergez-Chaignon en 2019.


Le deuxième tome revient sur la période de la Milice, entraperçue à la fin du premier volume. Le personnage de Marcel Gombert, acolyte de Darnand, va prendre davantage d'importance. Le dialogue entre Darnard et Servaz est l'occasion de parler du massacre de Lidice. Un des morceaux de choix du tome est l'assaut par Darnand de l'école des cadres de la Milice d'Uriage, révoltée contre son chef sous la coupe d'un leader royaliste. La fin de l'album montre le jeu de l'ombre entre Résistance et Milice, chacun essayant d'infiltrer l'autre pour ensuite faire commettre des actes qui vont ternir la réputation du groupe visé...



 

Le tome 3, le dernier de la série, se conclut par l'exécution de Darnand, dont on voit une image annonciatrice en couverture. Il commence très fort avec l'assaut allemand sur le maquis des Glières et le massacre des résistants. Il évoque aussi l'entrée de Darnand dans la Waffen-SS et sa rencontre avec Hitler et la fin du dernier carré de la Milice en Italie du Nord, avant le procès et l'exécution de son chef. Le scénario tourne aussi autour du fameux trésor de la Milice, les auteurs ont placé des coupures de presse de l'époque parlant du sujet en fin de volume. Si les sources restent les mêmes, un autre ouvrage apparaît en note dans ce tome (Dominique Veillon, La collaboration, 1984). Ici, la fiction prend un peu plus le pas sur la réalité car le personnage de Marcel Gombert n'accomplit pas ici, historiquement, son véritable parcours.

Dans toute la série, le dessin, soigné, s'accorde bien avec le propos, qui montre comment le héros de guerre de 14-18 s'est transformé en bourreau implacable en 39-45. La reconstitution des uniformes, des armes et véhicule, est également fidèle. La bande dessinée réussit le pari osé de ne pas porter de jugement sur ce personnage peu sympathique a priori, mais d'essayer de montrer comment un vétéran de la Grande Guerre a basculé dans l'extrême-droite et n'a jamais réussi à en revenir. Il manque peut-être une période qui aurait apporté un plus : celle qui sépare 1918 de 1939, à peine évoquée dans le premier tome, et qui aurait peut-être permis de comprendre le basculement d'un ancien combattant qui a du mal à décrocher vers des idées radicales.

Walkyrie (2008) de Brian Singer

 

Avril 1943. Le colonel Claus von Stauffenberg (Tom Cruise), stationné en Tunisie avec la 10. Panzerdivision, a perdu sa foi en Hitler et le nazisme. Il est gravement blessé par un raid aérien de chasseurs-bombardiers P-40 dans lequel il perd l'oeil gauche, la main droite et plusieurs doigts de la main gauche. Parallèlement, des officiers allemands antinazis tentent d'assassiner le Führer, lors d'une de ses visites sur le front de l'est, à Smolensk, pendant laquelle le Generalmajor von Tresckow (Kenneth Brannagh) place une bombe dissimulée dans une caisse de bouteilles de Cointreau à l'intérieur de l'appareil d'Hitler. Sans succès. Pendant sa convalescence, von Stauffenberg est contacté par le général Olbricht (Bill Nighy), qui lui propose d'entrer dans l'organisation clandestine de résistance militaire afin de remplacer le général Oster, arrêté par la Gestapo...

 


 

C'est le scénariste Christopher McQuarrie, très lié à Tom Cruise, qui est allé chercher le réalisateur Bryan Singer, jusque là connu surtout pour les 3 premiers films X-Men, afin d'adapter en film l'attentat du 20 juillet 1944. Ce n'est pas la première fois que l'attentat est représenté dans un long métrage : qu'on pense déjà à la scène du Renard du Désert (1951) sur Rommel, que l'on ne voit pas dans Walkyrie, ou à celle de la Nuit des généraux (1966), entre autres. Singer lui-même est intéressé par l'histoire comme le montre bien certains aspects des films X-Men, notamment. L'Allemagne n'a pas laissé Bryan Singer tourné dans le Bendlerblock en raison des croyances scientologues de Tom Cruise (choix d'acteur qui a également déplu, pour les mêmes raisons, aux descendants de von Stauffenberg), lequel s'est attribué le rôle de Stauffenberg originellement dévoué à Thomas Kretschmer, qui joue finalement Remer (et plutôt bien, d'ailleurs). Certaines scènes ont toutefois été tournées ailleurs en Allemagne, contrairement à celle censée se passer en Tunisie qui a été filmée en Californie, dans le désert de Mojave, en utilisant 2 avions P-40 et d'autres recrées par ordinateur. Une réplique de la tanière du loup d'Hitler a été construite à 60 km au sud de Berlin, notamment.

Un canon antiaérien Flak 38 de 20 mm monté à l'arrière d'un camion pendant la scène en Tunisie.

A gauche le véhicule blindé OT-810, variante tchécoslovaque du Sdkfz-251 allemand.

On note la réplique du Panzer IV à canon long de 75 à droite.


A gauche, une mitrailleuse MG 42 en batterie sur trépied, au fond, on aperçoit l'automitrailleuse Sdkfz-222 à canon de 20 mm.

Singer organise son film de manière quasi documentaire. On suit le parcours de Stauffenberg depuis sa blessure, son ralliement aux conspirateurs, le montage de l'opération Walkyrie et sa réalisation, jusqu'à son échec final. Le résultat est assez satisfaisant, même si le film perd en profondeur (les motivations des conjurés notamment, les causes qui mènent à la résistance et qui renvoient à l'idéologie nazie, ou ce qu'ils comptaient faire de l'Allemagne en cas de succès) ce qu'il arrive à gagner en récit - la figure d'Hitler, celui qui doit mourir, est très peu présente, pourtant tout tourne autour d'elle et de ce qu'il réussi à faire depuis sa prise de pouvoir : l'échec de Walkyrie, c'est aussi l'aveuglement des Allemands qui obéissent inconditionnellement au nazisme (le personnage de Remer notamment), alors que Stauffenberg, borgne au royaume des aveugles, incarne la résistance qui échoue. On passera sur la romance entre Stauffenberg et son épouse qui n'apporte malheureusement rien au propos. Walkyrie reste un thriller dont la fin est connue d'avance, bien incarné par un casting impeccable : aussi bien Tom Cruise que Kenneth Brannagh, qui joue dans trop de scènes Tresckow, Bill Nighy qui incarne à la perfection Olbricht, Terence Stamp dans le rôle de Beck ou Tom Wilkinson dans celui de Fromm, et on pourrait continuer. Toutefois, il manque un souffle qui en ferait un grand film, et une certaine profondeur, comme je le disais plus haut. On peut relever aussi des erreurs de détail - Stauffenberg connaît le colonel Mertz von Quinheim, joué par Christian Berkel, bien avant son entrée dans l'organisation clandestine de résistance militaire, alors que dans le film, on a l'impression qu'il le rencontre seulement après ; le portrait de Goerdeler, un peu trop forcé ; etc.

Les 2 Ju-52 escortés par les "Buchon".

La scène où un soldat allemand en faction à la Tanière du Loup écrase un moustique sur son bras avec une cigarette semble comme une métaphore du nazisme...

 


Sur le plan du matériel utilisé par le film, on peut noter que Stauffenberg et d'autres officiers allemands du film utilisent un pistolet Walther PPK au lieu du Browning Hi-Power d'ordinaire en service à cette époque dans la Wehrmacht. Outre les nombreux fusils Kar 98K, les pistolets-mitrailleurs MP-40, les mitrailleuses MG 34 et 42, on note la présence d'un canon antiaérien Flak 38 de 20 mm et celle d'une automitrailleuse Sdkfz 222, ainsi que la réplique d'un Panzer IV à canon long de 75 dans la colonne bombardée en Tunisie, qui comprend aussi d'ailleurs un OT-810 (copie tchécoslovaque d'après-guerre du Sdkfz-251). Les Ju-52 sont escortés par 2 "Buchon", la version espagnole du Bf 109 fabriquée sous licence pendant l'ère Franco, dont on a pu voir d'autres exemplaires comme dans le film La bataille d'Angleterre. Le Ju-52 HB-HOT qui s'est crashé en 2018, et qui a été utilisé dans le film, est le même déjà vu dans le film Quand les aigles attaquent (1968), il venait de l'armée de l'air suisse à l'origine.