1861. Le colonel Robert E. Lee (Robert Duvall), de l'armée américaine, se voit proposer par le président Lincoln le commandement des forces de l'Union pour combattre la Sécession qui se dessine après le bombardement de Fort Sumter. Il refuse pour prendre la tête de la milice de son Etat natal, la Virginie, qui a rejoint la Sécession. Dans le même temps, Thomas Jackson (Stephen Lang), officier et professeur à l'institut militaire de Virginie, rejoint lui aussi la cause confédérée. Après la première bataille de Bull Run, en juillet 1861, Jackson gagne le surnom de "Stonewall". Le film suit son parcours jusqu'à sa mort pendant la bataille de Chancelorsville en mai 1863, ainsi que celui du futur colonel Chamberlain (Jeff Bridges), qui dans le camp de l'Union intègre le 20ème régiment du Maine qui participe notamment à la bataille de Fredericksburg...
Gods and Generals se veut le prequel du film Gettysburg (1993), du même réalisateur, Ronald F. Maxwell. Les deux ont la particularité de s'inspirer de deux romans du d'un duo d'auteurs : The Killer Angels (1974) de Michael Shaara pour Gettysburg et Gods and Generals du fils du premier, Jeff Shaara (1998). La production a été largement financée par le magnat des médias Ted Turner, le fondateur de CNN. Le film, qui durait au départ 5 heures, a été amputé d'1h30 pour sa sortie en 2003. Une édition augmentée à 4h40 est finalement sortie en 2011, c'est celle-ci que je commenterai dans cet article.
Commander l'armée de l'Union ? Vous n'y pensez pas ! Ma maison est de l'autre côté du fleuve. J'ai besoin d'espace et d'air pur... |
Bonjour, mon nom est Jackson. Pas Michael, aucune parenté... |
Hélas, à l'inverse de Gettysburg, où on le devinait un petit peu sans que cela soit aussi flagrant, tout le film est pollué par un parti pris outrancier en faveur de la mythologie de la "cause perdue", autrement dit l'idée, avancée dans les Etats sudistes vaincus en 1865, que leur cause était juste, non reliée à la question de l'esclavage, qui d'ailleurs est valorisé de manière positive dans cette mythologie, qui commence juste après la fin de la guerre de Sécession.
Mon nom est Pierre. Mur de Pierre. |
Chérie, je peux réciter Lovelace et Lucain dans le texte, mais ça ne me suffit plus. Je veux de l'action. |
Ted Turner y avait pourtant mis les moyens : après que le projet ait été rejeté par Warner Bros, il avait engagé 60 millions de dollars pour la réalisation et 30 millions pour la distribution, ce qui en fait un des films indépendants les plus chers de l'époque. Il fait d'ailleurs une apparition en caméo dans Gods and Generals en jouant le colonel Patton, l'ancêtre du général Patton de la Seconde Guerre mondiale. Le film a embauché des passionnés américains de reconstitution de la guerre de Sécession, qui ont participé gratuitement au tournage. Le 2nd South Carolina String Band, dans une scène fameuse, interprète ainsi le Bonnie Blue Flag. Turner a ensuite fait un don de 500 000 dollars pour la préservation des champs de bataille du conflit. Gods and Generals a été filmé sur les lieux des affrontements de l'époque, en Virginie et au Maryland essentiellement. On retrouve une bonne partie du casting de Gettysburg vu à l'écran 10 ans plus tôt : Stephen Lang, qui incarnait Pickett, tient ici le rôle de Jackson. Martin Sheen est remplacé par Robert Duvall dans le rôle de Lee, et d'autres acteurs manquent comme Tom Berenger qui n'a pas pu reprendre son rôle de Longstreet. Turner a réduit le film de 5h à 3h30 en se concentrant sur l'arc narratif de Jackson : il souhaitait diffuser le reste comme mini-série. L'échec du film au box-office a fait abandonner l'idée, tout comme celle de l'adaptation d'un dernier roman de Jeffrey Shaara, qui aurait complété le panorama de la guerre.
Misa Jim, Misa faire bonne cuisine ! (blague à part, le patois affublé à ce Noir du film fait encore plus verser dans le dénigrement pro-confédéré). |
Non, ce n'est pas le Fucking Blue Boy. Ici c'est ma maison. |
Un historien américain a dit que Gods and Generals était le film le plus pro-confédéré depuis Naissance d'une nation (1915), un des classiques américains du cinéma muet. On ne peut malheureusement qu'acquiescer : dès la première scène, quand Lee refuse le commandement de l'armée du Nord, tout est fait pour mettre le spectateur dans la position d'empathie vis-à-vis de Lee, qui veut rester fidèle à sa "petite patrie", la Virginie. Même chose avec Jackson. On atteint un summum avec les scènes mièvres dans la famille sudiste de Fredericksburg qui envoie ses fils à la guerre. C'est là qu'apparaît aussi un autre aspect de la mythologie de la "cause perdue" : des esclaves noirs, au Sud, contents de leur sort, et qui idolâtrent leurs maîtres comme des dieux. Même la scène du départ des hommes du Sud pour l'armée met mal à l'aise, sur fond de sermon chrétien : on a l'impression d'assister à une véritable croisade du bien contre le mal, avec d'ailleurs un Sud chrétien contre un Nord qui apparaît peu croyant (ce qui est historiquement faux). Arrive la première scène de bataille, celle de Bull Run : elle est déjà beaucoup moins percutante que celles de Gettysburg. Là où Maxwell s'était focalisé dans celui-ci sur un aspect majeur de la bataille par jour (j'imagine en suivant le roman : je ne l'ai pas encore lu), le combat des cavaliers de Buford le premier, la bataille de Little Round Top le deuxième, la charge de Pickett le troisième, ici, on ne voit la bataille que par un bout de la lorgnette et on n'y comprend vraiment pas grand chose. Le personnage de Chamberlain, beaucoup plus travaillé dans Gettysburg, est ici très négligé (mythologie de la "cause perdue" oblige) : on le voit s'engager à contrecoeur, et réciter des poèmes (de Lovelace ou de Lucain, plus tard). Une espèce de faire-valoir nordiste en face des gentlemen que seraient tous les officiers confédérés. Il permet au moins d'introduire un élément plus intéressant du film : l'apprentissage d'un officier, Chamberlain en l'occurrence, venu du milieu civil, et qui apprend la tactique d'infanterie avec le colonel du 20ème Maine, Adalbert Ames. Le morceau sur la bataille d'Antietam, retiré du film sorti en 2003, n'apporte vraiment rien au film. Le paroxysme de la mythologie de la "cause perdue" arrive sans doute lors de l'acmé du film, la bataille de Fredericksburg : tout est fait pour appuyer sur l'incompétence des officiers de l'Union - à part Hancock, joué par Brian Mallon comme dans Gettysburg, qui sauve l'honneur- et la maestria des généraux du Sud. Les soldats de l'Union, qui ne ressemblent depuis le début du film qu'à des robots en bleu, gagnent un peu plus de chair : c'est qu'il s'agit de montrer le combat fratricide à Mary's Heights entre les immigrants irlandais de l'Irish Brigade de l'Union qui charge la brigade géorgienne de Cobb, défendant le mur de pierre. Les hommes du 20th Maine ont aussi ce rôle consistant à remonter le soldat du Nord dans l'estime du spectateur. Mais à côté de cela, on insiste à loisir sur le pillage de Fredericksburg par les soldats de l'Union. Un peu plus loin, la fraternité d'armes est toutefois mise à l'honneur par cet échange café-tabac entre un Billy Yank et un Johnny Reb sur la Rappanahock. Ce qui n'empêche pas Jackson de faire fusiller des déserteurs de son ancienne brigade, dont un Nordiste du 4th Virginia qui avait voulu rester avec son unité de l'institut militaire de Virginie au début de la guerre. La galanterie des officiers sudistes avec avec les réfugiés de Fredericksburg se heurte aux réalités du temps : la petite fille qui avait sympathisé avec le général Jackson meurt de la diphtérie. Lui à tout juste le temps de voir sa propre fille, née pendant la guerre, avant d'être abattu par erreur par des soldats confédérés suite à son plus grand triomphe, la bataille de Chancelorsville, où on le voit charger à la tête de ses hommes sur une musique tonitruante digne de la charge des Walkyries. Un mini-résumé du film, en somme.
Ouinnnnnnnnnnnnnnn nos compatriotes irlandais, mais quels c... tire, p..., tire, il en vient encore ! |
- Général Jackson, c'est vrai que vous avez les mains pleines de sang ? - C'est pour mieux te protéger, mon enfant... |
On devine ainsi certains choix du réalisateur comme de faire de Fredericksburg l'épisode central du film, alors qu'Antietam est négligé. Fredericksburg est la bataille-miroir de Gettysburg dans l'autre film, et c'est aussi celle où Chamberlain reçoit son baptême du feu. De la même façon, c'est après Antietam que Lincoln décide de la proclamation d'émancipation des esclaves : sacrifier Antietam dans le film permet de ne pas en parler... et on comprend pourquoi. La réalisation n'est pas sans qualité : Duvall fait sans doute un meilleur Lee que Martin Sheen, le maquillage est meilleur, les pièces d'artillerie ont un recul (!). Et pourtant, comme dans le premier film, que de longueurs, avec des récitations de texte qui feraient pâlir une pièce de théâtre. La performance de Stephen Lang éclipse tout le reste. Mais on ne peut oublier ce fond de "cause perdue" qui démolit tout ce que les historiens américains avaient essayé de déconstruire les cinquante années précédentes. A écouter les confédérés du film, ils ne se battent que pour leur liberté. Quant aux personnages des esclaves noirs, ils sont représentés par une servante fidèle et obéissante à ses maîtres sudistes, et par un cuisinier noir parlant en patois (un cliché supplémentaire) recruté par Jackson et qui là aussi le suit aveuglément jusqu'à la fin.
"Nous sommes une bande de gros salopards, et natifs du Sud, combattant pour l'esclavage..." |
Véritable catastrophe ambulante sur le fond, Gods and Generals a au moins l'avantage d'être un mauvais film. Il dissuadera ainsi beaucoup de personnes de le regarder et de succomber aux sirènes un peu trop évidentes de la "cause perdue". Retour à Cold Mountain, sorti la même année, était autrement plus intéressant. Presque un anti-Gods and Generals : sur l'arrière du front, la menace pour les sudistes réside plus dans les autre sudistes que dans l'adversaire Yankee. On y voit aussi la réalité d'une guerre devenue de plus en plus moderne avec la bataille du Cratère et l'explosion de la mine pendant le siège de Petersburg, et une autre réalité qui a échappé à l'équipe de Gods and Generals : les armées du Nord comptaient un certain pourcentage de sudistes. Les confédérés ont aussi dû faire face à une désertion endémique. Malheureusement, tout cela semble être ici passé dans les limbes de l'histoire...
Je suis la mort, le destructeur des mondes. |
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