dimanche 5 novembre 2023

Alban GAUTIER, Le roi Arthur, Paris, PUF, 2019, 189 p.

 

Auteur : Alban Gautier. Ancien élève d'ENS, agrégé et docteur en histoire. A soutenu une thèse à l'université Lille 3 sous la direction de Stéphane Lebecq : le festin dans l’Angleterre du haut Moyen Âge. Se penche ensuite sur la question de l'historicité du roi Arthur, et plus largement de l'Europe du Nord entre la fin de la période romaine et le XIIème siècle. Il est membre du comité de rédaction de la revue Médiévales et de l'UMR 6273/CRAHAM à l'université Caen-Normandie.


Genre d'ouvrage : il s'agit de la mise par écrit de conférences d'abord publiées comme audio-guide.


Sujet : la question posée est celle de l'existence du roi Arthur, entre histoire et légende, et des rapports que les deux catégories ont entretenu, ainsi que de leur utilisation par certains acteurs historiques.


Place du livre dans l'historiographie : importante car il y a peu d'auteurs en français qui travaillent de manière sérieuse sur cette question. Alban Gautier a d'ailleurs signé un ouvrage plus conséquent en 2007 sur le même thème, il le rappelle dans le préambule. L'introduction souligne d'ailleurs que la question se pose déjà de l'existence même du roi Arthur, des difficultés des textes qui en parlent, et de la foison de créations artistiques autour du personnage. Il y a donc deux pans incontournables : Arthur dans l'histoire, et Arthur dans l'imaginaire


Résumé de l'ouvrage : l'ouvrage est découpé en quatre parties. La première replace Arthur dans l'histoire, très mal documentée, de la Bretagne des Vème-VIème siècle. L'historien essaie d'exploiter les 3 sources principales – archéologie, épigraphie et littérature – à notre disposition. Le premier texte intéressant sur Arthur, celui de Gildas, est issu des élites bretonnes, chrétiennes, qui tentent de survivre face à la pression des Anglo-Saxons débarqués sur leur île. Il mentionne bien une victoire au mont Badon, remportée par un certain Ambrosius Aurelianus, mais sans donner de date précise ni une identité claire à Arthur. Bède le Vénérable, qui écrit au VIIIème siècle, adopte lui le point de vue des envahisseurs, désormais convertis au christianisme, et donne des dates : départ des Romains en 410, arrivée des Saxons en 449 à l'invitation d'un personnage mystérieux, Vortigern (une fonction sans doute, d'ailleurs). Comme Gildas, Bède écrit une histoire providentielle, mais cette fois-ci, ce sont les Anglo-Saxons qui en sont les héros. Et Arthur appartient à cette histoire providentielle alors qu'il n'y est pas encore mentionné.


Dans la deuxième partie, Alban Gautier explique comment est né le personnage d'Arthur à partir du IXème siècle. Il réfute l'apparition du nom dans le Canu Aneirin, un poème gallois. Il faut attendre l'Histoire des Bretons, composée vers 830 probablement dans le royaume gallois du Gwynedd, pour trouver trace d'un personnage nommé Arthur. L'auteur, qui cherche à mobiliser les esprits pour résister aux Anglo-Saxons, écarte le personnage d'Ambrosius Aurelianus, un Romain, ou celui de Saint-Germain d'Auxerre, un étranger, ce qui servirait peu son propos. Dans l'ouvrage, Arthur est un dux bellorum qui combat avec les rois bretons contre les Saxons païens, portant sur lui une image de la Vierge. Il y est déjà question de faits légendaires attachés au personnage. Mais il est difficile de savoir si Arthur est un personnage légendaire, inventé, et placé dans un contexte historique, ou l'inverse : un personnage qui a réellement existé mais paré de légende. L'historien développe d'abord la première hypothèse : un siècle après l'histoire des Bretons, les Annales de Galles donnent enfin une date à la bataille du mont Badon (518) et parlent de la mort d'Arthur en 539, face à un personnage, Medraut, qui annonce Mordred. Guillaume de Malmesbury, qui écrit sous les rois normands au début du XIIème siècle dans son Histoire des rois des Anglais, affirme qu'Arthur est un personnage ayant réellement existé, mais nimbé de légendes toutes plus grossières les unes que les autres. A l'inverse, Geoffroy de Monmouth, qui écrit peu de temps après Guillaume son Histoire des rois de Bretagne, fait du Breton un héros national, repoussant l'envahisseur saxon : c'est lui l'inventeur de la matière de Bretagne... parfois considéré comme un faussaire dès l'époque. Mais le succès est là : le livre de Monmouth est l'un des plus recopiés au Moyen Age.


Dans la troisième partie, Alban Gautier revient sur le personnage imaginaire, la légende du roi Arthur. Des récits gallois entre 900 et 1100 évoquent déjà les exploits d'Arthur, un roi chrétien qui règne sur l'ensemble des îles britanniques. Un autre poème, le Pa Gur, le présente comme un tueur de monstres. Il est déjà entouré de compagnons, notamment Gauvain. Des récits prophétiques des XIème-XIIème siècles annoncent le retour d'Arthur, qui ne serait pas mort. Les vies de saints gallois de la même époque les mettent en scène face à Arthur, un roi qui n'est pas forcément présenté sous son meilleur jour, mais qui est capable de s'amender face à un saint. Monmouth crée également le personnage de Merlin, inspiré de légendes galloises, et le fusionne avec celui d'Ambrosius Aurelianus, ennemi de Vortigern. Le Normand Wace, en 1150, dans son Brut, transpose la légende sur le continent, ajoute la Table ronde et la forêt de Brocéliande. Chrétien de Troyes, qui écrit 5 romans entre 1155 et 1190, pose les bases de la cour du roi Arthur, et le nom du lieu, Camelot ; il s'intéresse d'ailleurs plus aux chevaliers qu'à Arthur lui-même, et ajoute la quête du Graal. A partir de là se développe la matière de Bretagne : la quête de l'épée, la mort du roi et son transport à Avalon, le rapt de Genuièvre... pas de version canonique, mais un livre qui fait quelque peu autorité : celui de Thomas Malory, chevalier anglais du Xvème siècle, qui rassemble en un seul ouvrage la matière de Bretagne, sorte de testament légué par le Moyen Age finissant à l'époque moderne.


Pour terminer son propos, l'historien revient sur les utilisations du personnage Arthur par certains acteurs. Les rois Plantagenêt utilisent la geste arthurienne pour contrer leurs rivaux français capétiens. Henri II et Aliénor appellent d'ailleurs un de leurs fils Arthur, au destin tragique. Un siècle plus tard, Edouard Ier se sert d'Arthur pour soutenir sa politique d'unification des îles britanniques. Il fait d'ailleurs bâtir une table ronde, aujourd'hui conservée à Winchester. En 1191, les moines de l'abbaye de Glastonbury prétendent avoir retrouvé la tombe d'Arthur et de Guenièvre, avec une inscription. Opération probablement montée de toutes pièces par les moines, mais Richard Coeur de Lion et Edouard Ier se garderont bien de contredire les moines, chacun pour affirmer leur légitimité à leur époque. Henri VII, premier Tudor qui met fin à la guerre des Deux Roses, s'empare lui aussi de la légende arthurienne pour asseoir son pouvoir. Lui aussi appelle son premier fils Arthur. Son autre fils Henri VIII laissera détruire l'abbaye de Glastonbury, mais restaurera la table ronde construite par Edouard Ier. Sous son règne, un humaniste italien, Polydore Virgile, a déjà mis en doute la véracité des écrits de Monmouth... Dans les années 1960 et 1970, alors que le Royaume-Uni n'est déjà plus une grande puissance, perd son empire colonial et doute de plus en plus, des archéologues comme Leslie Alcock et des historiens comme John Morris, procédant à des fouilles sur des sites désignés comme arthuriens ou relisant les textes, concluent à l'existence du roi Arthur. Leurs arguments sont balayés par d'autres historiens comme David Dumville. La fiction fait aussi de plus en plus d'Arthur un personnage éloigné du christianisme, en phase avec la déchristianisation. Le film Sacré Graal ! Des Monty Python achève de descendre Arthur du socle de la légende.


Sources utilisées : la bibliographie est brève (3 pages) mais cela s'explique par le préambule. On y trouve des références comme Martin Aurell.


Illustrations : cette collection de biographies de poche des éditions PUF n'en a pas, et c'est bien dommage. Un point d'amélioration pour l'évolution de la collection, peut-être ? On aurait bien aimé une carte quelque part dans ce volume, toutefois.


Conclusion : un ouvrage stimulant, parce qu'il force à se pencher sur ce qui fait le cœur même du métier d'historien : comment étudier un objet qui n'a probablement pas existé ? Alban Gautier tranche dans la conclusion en se ralliant à l'hypothèse d'une figure légendaire qui a été ensuite historicisée, ce qui semble plus raisonnable au vu des éléments à disposition. Reste à voir si de nouvelles découvertes pourraient, un jour, infirmer le constat.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.