" Historicoblog (4): Mark GALEOTTI et Johnny SHUMATE, Spetsnaz : Russia's Special Forces, Elite 206, Osprey, 2015, 64 p.

dimanche 3 mars 2019

Mark GALEOTTI et Johnny SHUMATE, Spetsnaz : Russia's Special Forces, Elite 206, Osprey, 2015, 64 p.

J'ai déjà lu et j'ai plusieurs ouvrages en anglais sur les forces aéroportées et/ou les forces spéciales soviétiques/russes, mais il me manquait quelque chose sur le devenir des Spetsnaz au sein des forces armées russes plus récemment. C'est en écrivant l'article sur le détachement Zaslon pour France-Soir que j'ai saisi l'occasion d'acheter le petit ouvrage Osprey de Mark Galeotti, bien connu pour ses écrits sur les forces armées russes.

Comme il le rappelle dans son introduction, les Spetsnaz sont à la pointe de la nouvelle armée russe. Leur nom même désigne ce qu'ils sont : une troupe "à utilisation spéciale" et non des forces spéciales au sens occidental du terme. Leur rôle se situe entre les forces de reconnaissance militaires et le renseignement pratiqué par des agences spécialisées (FSB, SVR etc). La souplesse de leur emploi en fait actuellement un levier politico-militaire important du pouvoir russe. On y voit plus clair sur les Spetsnaz aujourd'hui, après la "mythologie" dressée par Vladimir Rezun, un transfuge soviétique, sur les Spetsnaz, dans les années 1980/90, sous le pseudonyme de Victor Souvorov.

Les Spetsnaz trouvent leur origine dans la guerre civile russe. Les bolcheviks utilisent des unités de cavalerie comme force spéciale, et une unité "à but spécial" comme force de contre-espionnage et de subversion chez l'adversaire. Après la fin de la guerre civile, bien que ces unités soient dissoutes, les bolcheviks utilisent encore contre les rebelles basmachis, en Asie centrale, des unités de cavalerie ou de la police politique. Des hommes sont formés aux opérations de guérilla : ils sont utilisés en Espagne par la police politique mais de plus en plus par le GRU, le renseignement militaire, aux côtés des républicains. Pendant la guerre russo-finlandaise de 1939-1940, Mamsurov, un vétéran de la guerre d'Espagne, crée une unité "de diversion" composée d'Ougriens parlant finnois, pour faire des prisonniers. L'autre corps qui va développer des unités "spéciales" sont les forces aéroportées qui naissent dans les années 1930.

Pendant la Grande Guerre Patriotique, les aéroportés (VDV) vont toutefois surtout être utilisés comme infanterie de choc, et dans des opérations aéroportées souvent calamiteuses. Les officiers du GRU, avec ceux du NKVD, encadrent les partisans. Les vrais précurseurs des Spetsnaz sont davantage les éclaireurs (razvedchiki), qui dépendant du GRU mais sont affectés aux formations militaires sur le terrain, tout comme les bataillons de sapeurs indépendants de la Garde, spécialisés dans les tâches de démolition, de communication, d'infiltration. Les fusiliers marins soviétiques développent aussi leurs propres unités spéciales, à commencer par la flotte du nord : elles sont désormais mieux connues grâce à deux ouvrages parues en anglais que j'avais fichés sur le blog précédent (ironie du sort, il a probablement été supprimé en raison d'une dénonciation calomnieuse par... des Français pro-russes, dans le mauvais sens du terme). 

Après la guerre, ces forces spéciales sont encore une fois dissoutes, mais trouvent encore des avocats comme le vétéran Ilya Starinov, dont j'avais aussi fiché le livre qui racontait une partie de ses mémoires. En 1949, le GRU reconstitue des compagnies de reconnaissance indépendantes à but spécial. Davantage éclaireurs que commandos, ces hommes servent toutefois de "conseillers" dans les pays frères. La marine est à nouveau en avance puisqu'en 1950, elle forme 4 brigades de Spetsnaz, une pour chaque flotte. C'est en août 1957 que le GRU constitue les 5 premiers bataillons de Spetsnaz, dont le rôle est surtout de détruite les unités nucléaires derrière les lignes ennemies : ils sont donc aéroportés. En 1962, les Spetsnaz passent à 6 brigades, et après s'être entraînés sur les sites des VDV, obtiennent leur propre site d'entraînement à Pechora, puis un autre en Ouzbékistan. Dès lors, les Spetsnaz participent à tous les coups durs : écrasement de la révolte hongroise en 1956, coup de Prague de 1968... avant même les ouvrages de Souvorov, un véritable mythe s'établit en Occident quant au rôle des Spetsnaz. En URSS, ils sont en réalité utilisés pour des tâches de maintien de l'ordre quand cela est nécessaire, en raison de leur disponibilité...

L'âge des Spetsnaz vient avec la guerre en Afghanistan. Un bataillon spécialement formé avec des recrues du monde musulman au sein de l'URSS participe, en décembre 1979, à l'assaut sur le palais présidentiel afghan à Kaboul, protégeant des unités spéciales du KGB. 2 brigades de Spetsnaz (15ème et 22ème) sont déployées en Afghanistan, avec des bataillons provenant parfois d'autres brigades restées en URSS. La 459ème compagnie fait office de réserve stratégique. Les Spetsnaz se montrent précieux pour traquer les moudjahidine afghans et leurs convois logistiques. Ils expérimentent de nouvelles tactiques, comme l'association directe avec un régiment d'hélicoptères de combat (22ème brigade avec le 295ème régiment indépendant en 1987). Le raid sur Krer, réalisé par la 15ème brigade, montre leur audace au-delà, parfois, des limites fixées par le politique. Les Spetsnaz perdent 750 hommes en Afghanistan, et ressortent avec 7 Héros de l'Union Soviétique. Après le retrait, les Spetsnaz servent pour tenter de juguler l'implosion de l'URSS, en Géorgie, ou pour s'interposer entre Azéris et Arméniens à Bakou.

Avec la dissolution de l'URSS, les Spetsnaz perdent plusieurs brigades, dissoutes ou transférées aux nouveaux Etats. Les VDV créent leur propre régiment de forces spéciales (45ème). Les années Eltsine sont difficiles pour les Spetsnaz, que l'on retrouve toutefois en Transnistrie ou au Tadjikistan, quand ils ne forment pas les tueurs de la mafia (cas de la 16ème brigade à Moscou). En Tchétchénie, ils sont employés comme infanterie de choc pendant le premier conflit, ce qui leur occasionne parfois des pertes non négligeables à Grozny. La fin de la guerre les voit revenir à un rôle plus traditionnel. La 22ème brigade est de nouveau engagée lors du deuxième conflit, où les Spetsnaz ont un rôle plus conforme à leur vocation, ce qui n'empêche pas les déconvenues, comme de la fameuse bataille de la colline 776 en février 2000. Le GRU parraine les deux unités dites Spetsnaz des deux présidents Kadyrov, père et fils, Vostok et Zapad, qui sont dissoutes après la guerre en Géorgie de 2008.

Le succès relatif des Spetsnaz pendant la guerre en Géorgie (10ème et 22ème brigades) les font paradoxalement sortir de l'orbite du GRU en 2011. La pression est en effet forte depuis la chute de l'URSS pour ramener leurs missions sous l'égide de l'armée. En 2013 est créé le commandement des opérations spéciales (KSO) qui devient la structure de forces spéciales de l'armée russe. Mais en définitive, la nouvelle forme de guerre "hybride" choisie par l'armée russe remet les Spetsnaz sous l'autorité du GRU dès 2013, comme force stratégique et non subordonnée à des commandements territoriaux. Fin 2014, il y a 7 brigades de Spetsnaz, peut-être 19 bataillons en tout, plus les 4 de la marine, le régiment 45 des VDV et 3 autres unités indépendantes, dont la 100ème brigade qui teste souvent les nouveaux matériels. Le 25ème régiment indépendant a été créé pour opérer dans le Nord-Caucase, et la 346ème brigade (plutôt de la taille d'un régiment ) est l'élément opérationnel du KSO, la structure des forces spéciales. Les unités de Spetsnaz ne sont pas constituées à 100% de volontaires : il y a une bonne moitié de conscrits. On prend toutefois dans le haut du panier pour ces derniers. Le problème des Spetsnaz est aussi que les possibilités d'avancement s'arrêtent au grade de colonel : certains préfèrent donc les VDV. Les Spetsnaz ont joué un rôle-clé dans l'intervention en Crimée, et on les a vus aussi dans l'est de l'Ukraine. Ces 15 à 17 000 hommes, dont un millier sont véritablement à considérer comme des forces spéciales, sont à la pointe de l'armée russe actuelle. Il existe cependant d'autres unités spécialisées : les unités Alpha du FSB pour l'antiterrorisme, le détachement Zaslon du SVR pour les opérations clandestines à l'étranger (n'en déplaise à certains trolls Twitter...)... le MVD dispose de ses propres Spetsnaz, calqués sur ceux du GRU. Les Spetsnaz font partie du premier niveau de cette armée russe à deux vitesses, réduit, bien équipé, capable d'intervenir rapidement.

Le livre se termine sur la description des matériels utilisés par les Spetsnaz, leurs techniques de combat au corps-à-corps, etc. On peut juste regretter que l'ouvrage étant paru en 2015, il n'évoque pas l'engagement des Spetsnaz en Syrie -objet peut-être d'une mise à jour à faire plus tard. La carte p.40 montrant la répartition des brigades de Spetsnaz et autres unités aurait aussi gagné à être mieux conçue. Mais ne boudons pas notre plaisir, l'ouvrage est un petit volume fort pratique pour savoir l'essentiel sur ce type d'unités.


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