Dans sa préface, Glantz rappelle combien la bataille de Léningrad entre 1941 et 1944, par son côté dramatique, symbolise l'effort de l'URSS en guerre. Ce n'est pas un hasard si la "fenêtre sur l'Occident" de Pierre le Grand est l'un des objectifs de Hitler lors de la mise au point de Barbarossa. Alors que de nombreux ouvrages ont été dédiés au siège de Léningrad ou aux souffrances de sa population, Glantz se propose, lui, de faire une histoire militaire globale du siège, à l'inverse des historiens soviétiques qui oubliaient sciemment les graves échecs parfois subis devant la ville. De la même façon, les Allemands n'ont pas cherché à comprendre les évolutions chez leur adversaire, qu'ils méprisent jusqu'à la fin. L'accès aux archives russes permet de rétablir l'équilibre et de présenter une vue plus générale des opérations militaires. En somme, pour l'historien, c'est notamment rendre hommage aux 1,6 millions de civils et soldats soviétiques qui ont péri durant le siège.
En conclusion, Glantz rappelle que si Léningrad incarne à ce point la Grande Guerre Patriotique, c'est parce qu'elle illustre la résistance soviétique et l'identité nationale russe. Sa défense héroïque et sa libération constituent un tremplin spectaculaire pour le moral de l'URSS en guerre. Les combats devant Léningrad influent sur la stratégie générale de l'Armée Rouge. La résistance tenace de 1941 jusqu'à la contre-offensive de Tikhvin et sur le Volkhov en novembre portent un premier coup d'arrêt aux ambitions d'Hitler. Pour la première fois, une ville n'est pas tombée devant la Blitzkrieg. En outre, Hitler se voit obligé de renforcer le groupe d'armées Nord au détriment du groupe d'armées Centre dont l'objectif est Moscou. L'offensive de l'hiver 1941-1942 côté soviétique, même si elle se termine sur un échec sanglant, montre la détermination de l'Armée Rouge à lever le siège. A l'été 1942, la Stavka adopte un objectif moins ambitieux en cherchant à établir un corridor pour approvisionner Léningrad. Même si cette stratégie échoue à nouveau, elle force à nouveau Hitler à expédier des unités au nord : la 11. Armee de Manstein en août-septembre, alors que le drame de Stalingrad se met en place au sud.
L'Armée Rouge monte une nouvelle offensive en janvier 1943 qui permet enfin de rétablir les communications terrestres avec la ville. Si l'ambitieuse opération Etoile Polaire de Joukov échoue, c'est parce que l'Armée Rouge n'est pas encore prête à exécuter un assaut d'envergure pour encercler les forces allemandes assiégeant la ville. En raison des opérations majeures qui se jouent au sud, l'Armée Rouge revient à des offensives limitées devant Léningrad à l'été et à l'automne 1943. Bien qu'elles ne parviennent pas à encercler d'importantes forces allemandes et qu'elles soient coûteuses, ces attaques affaiblissent le groupe d'armées Nord et le rendent incapable de résister à une offensive majeure des Soviétiques. C'est pourquoi la Stavka lance celle-ci dès janvier-février 1944 : le siège de Léningrad est levé, le groupe d'armées Nord sévèrement diminué, et l'Armée Rouge peut poursuivre en direction des Etats baltes -avant la grande offensive de l'été en Biélorussie, Bagration. A l'été, l'Armée Rouge complète la libération de la ville en faisant sortir les Finlandais du conflit. Le siège a immobilisé 15 à 20% des forces de l'Axe, tandis que les Soviétiques y ont perdu 12 à 15% de leurs pertes totales, mais ont détruit 50 divisions allemandes ou finlandaises. Le front nord/nord-ouest a toujours été considéré comme secondaire par les deux camps, mais Léningrad, par sa résistance, a symbolisé la volonté de tenir et de l'emporter du peuple russe et du pouvoir soviétique.
Le siège de Léningrad, caractérisé côté soviétique par un esprit résolument offensif bien que coûteux malgré une position initialement défensive, a contribué à sa façon au renouveau de l'Armée Rouge et de sa doctrine. Les contre-offensives de Vatoutine en juillet-août-septembre 1941 sur les flancs du groupe d'armées Nord ont permis de ralentir l'avancée allemande et de permettre à Léningrad d'organiser sa défense, empêchant que la ville ne tombe. Pour la première fois, les Soviétiques mettent en oeuvre un système défensif complexe pour protéger une grande ville, avec plusieurs lignes de défense échelonnées. L'expérience servira à Stalingrad et, en 1945, quand l'Armée Rouge devra elle aussi affronter des villes fortifiées par les Allemands. L'Armée Rouge cherche à lever le blocus en menant à la fois des attaques depuis l'intérieur et l'extérieur, y parvenant finalement en janvier 1943. Cette opération témoigne d'ailleurs des progrès soviétiques en matière de planification : le franchissement de la Neva implique une étroite coordination entre sapeurs, artillerie et infanterie. L'opération finale de janvier 1944 montre une certaine maîtrise dans l'art opératif, avec une exploitation en profondeur pour défaire les réserves tactiques et opératives de l'adversaire. Cela se fait au prix de désastres coûteux en 1942-1943 où les commandants soviétiques montrent des lacunes dans les domaines de la reconnaissance, de la coordination, de la combinaison des armes, du soutien logistique.
Dès 1941, les partisans jouent un rôle considérable sur le front nord, derrière les lignes allemandes. Certains secteurs sont pour ainsi dire "libérés" dès 1942-1943. Les partisans participent à la dernière offensive pour lever le siège, en janvier 1944. Ils ont été encadrés par des parachutages d'armes et d'officiers militaires ou du NKVD.
Il faut dire que le terrain et la météo sur le front nord sont particulièrement difficiles. Forêts, marais, rivières et lacs, températures très froides en hiver, favorisent la défense et entravent l'assaillant, surtout quand il ne fait pas appel à la combinaison infanterie-artillerie-blindés. Le terrain ne se prête pas aux grandes manoeuvres de blindés : c'est sur l'infanterie que repose le rôle principal, soutenue par l'artillerie. Celle-ci, côté soviétique, est utilisée dès septembre 1941 pour désorganiser l'assaut allemand contre Léningrad. Les chars ne sont utilisés qu'à l'échelon brigade au maximum, en soutien d'infanterie ou comme détachements avancés pour l'exploitation. Les Soviétiques emploient aussi des chars amphibie, comme lors du franchissement de la Neva en janvier 1943. Les sapeurs jouent également un rôle crucial sur ce théâtre. La défense de Léningrad est aussi la première expérience de subordination des forces navales et aériennes au commandant de front. Les groupes aériens ainsi formés servent de modèle aux armées aériennes de 1942. La logistique joue bien sûr un rôle-clé : côté soviétique, on construit route et chemin de fer sur le lac Ladoga, on ravitaille Léningrad et la poche d'Orianenbaum. Politiquement, le parti instaure un contrôle très étroit, surtout en 1941, sur la ville, pour redresser les énergies et empêcher l'effondrement. Ce qui se justifiait en 1941-1942 ne l'est plus cependant en 1943-1944, ce qui n'empêche pas les commandants soviétiques de ne pas toujours réussir à l'offensive, débarrassés de la surveillance politique, comme lors des offensives de 1943 ou dans celle contre les Finlandais en juin 1944.
C'est évidemment la population de Léningrad qui a payé le plus lourd tribut au siège. Au procès de Nuremberg, le nombre de victimes civiles est fixé à 642 000. Aujourd'hui on s'accorde plutôt sur une fourchette de 800 000 à un million de morts. Devant Léningrad, l'Armée Rouge perd quant à elle en trois ans plus d'un million de tués, disparus ou prisonniers, plus de 2,4 millions de blessés ou malades, soit plus de 3,4 millions de pertes. Soit 12% de ses pertes totales. Ce sont donc 1,6 millions de Soviétiques au minimum qui ont péri durant le siège, soit 6 fois, par exemple, les pertes totales subies par les Etats-Unis durant le conflit. Les combats devant Léningrad ont finalement représenté un microcosme de la guerre à l'est elle-même : simplement, le tournant que constitue la période allant de novembre 1942 à juillet 1943 ne s'est pas produit sur le front nord, car les deux camps avaient compris que la décision se jouait ailleurs. Si la bataille de Léningrad n'a pas eu un rôle décisif dans le conflit, elle a cependant été son sommum dramatique par sa résistance symbolique et la souffrance de sa population et de ses défenseurs.
Le livre de Glantz a le mérite de remettre à l'honneur, comme toujours, le point de vue soviétique. Le côté allemand n'est traité qu'en relation avec une narration concentrée sur l'Armée Rouge. En revanche, le récit des opérations pâtit d'un manque de cartes, certes placées en parallèle du texte, ce qui est pratique : il en faudrait deux ou trois fois plus. Comme toujours, Glantz se concentre sur les opérations terrestres et néglige assez les volets aérien et naval, sauf pour mentionner les évolutions structurelles. S'il met bien en lumière par exemple le rôle des partisans, on peut regretter l'absence de développement sur la capture du général Vlassov en 1942 ou bien sur les opérations amphibies qui ont abondé sur ce théâtre d'opérations. L'ouvrage est complété par de courtes biogaphies des principaux protagonistes allemands et soviétiques, les ordres de bataille ainsi qu'une revue des pertes côté soviétique. Deux livrets photos illustrent le texte. On trouvera également une bibliographie. Par contre, il n'y a pas de sommaire ni d'index des cartes, ce qui est dommage. C'est tout de même un ouvrage de référence sur la bataille de Léningrad, surtout en ce qui concerne l'Armée Rouge, évidemment.
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