Ce court opuscule est en travail à quatre mains entre Seidik Abba, journaliste et écrivain, originaire de Diffa au sud-est de Niger, ville régulièrement visée par les djihadistes locaux, et Mahamadou Lawaly Dan Dano, ancien gouverneur de Diffa (2016-2018), artisan d'un programme de démobilisation des djihadistes.
Dès l'introduction malheureusement, on sent que l'ouvrage ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Les auteurs ont du mal à expliquer la différence entre les deux branches rivales nigérianes, celle de la province Afrique occidentale de l'Etat Islamique (PAOEI) et le Jamat Ahl al-Sunna li-l Dawah wal Jihad (JAS) d'Aboubakar Shekau. On comprend vite qu'ils ont fait le choix minimal de retranscrire, brièvement, des entretiens avec des djihadistes repentis du centre de déradicalisation de Goudoumaria, au Niger. Ils soutiennent que cela en apprend beaucoup sur la question, tout comme les 3 annexes, présentant les circonstances de la mort de Maman Nour, l'interview d'un chef de canton et un portrait d'un chef djihadiste, Aboucar Maïnok. Force est de constater que malheureusement, ce n'est pas le cas.
Les 22 témoignages sont en effet livrés brut, sans aucun commentaire critique ou presque. Peu ou pas de datation, et souvent pas de précision quant à l'appartenance à tel ou tel des 2 groupes - on la devine parfois à la lecture du témoignage. Surtout, ces témoignages, en plus de ne pas être contextualisés, ne sont pas recoupés par d'autres sources, secondaires ou non. Certes, les témoignages bruts apportent quelques informations intéressantes : on voit les différences de motivation dans l'engagement (par intérêt, par adhésion au projet religieux, par contrainte) ou le sort tragique réservé aux femmes. Des djihadistes repentis montrent que le groupe est bien organisé sur le plan militaire, que la PAOEI a adouci le traitement réservé aux civils notamment pour devenir autosuffisante sur le plan alimentaire. Les îles du lac Tchad comprennent des camps d'entraînement militaire pour les nouvelles recrues. Les djihadistes examinent avec précision les positions attaquées, et laissent toujours une possibilité de fuite aux défenseurs pour briser la résistance plus facilement. Les djihadistes, qui fonctionnent par escouades de 5 à 10 hommes, selon les témoignages, abandonnent les corps de leurs camarades en cas de défaite. Certaines recrues sont aussi victimes de châtiments corporels sévères, notamment l'ablation d'une main. La partie la plus intéressante du livre est peut-être celle du business de la guerre : comment les djihadistes montent des attaques ciblés pour se ravitailler, visent à enrôler tous les métiers possibles par être autosuffisants, ont des acheteurs dans les villes, se ravitaillent en pièces détachées pour leurs véhicules, ont des courriers aussi pour leurs achats dans les zones tenues par le gouvernement.
Les annexes ne tiennent pas plus leurs promesses. L'interview du chef de canton rappelle juste, en quelques pages à peine, que la zone entre Diffa, au Niger, et Maiduguri au Borno, au Nigéria, constitue un ensemble cohérent en dépit de la division coloniale en deux pays. Le deuxième annexe sur la mort de Maman Nour ne nous apprend rien de plus que l'on savait déjà. Et comme le dernier, bien trop court, sur le chef Aboucar Mainok, il n'est pas sourcé ni muni de notes. La bibliographie en fin de volume compte singulièrement peu de livres récents sur le sujet, et tous francophones, oubliant ainsi un pan entier de la recherche (anglophone).
En résumé, on ressort avec un grand sentiment d'inachevé. Interroger les djihadistes repentis pour mieux comprendre les djihadistes des différents groupes du bassin du lac Tchad est sans doute indispensable. Mais se contenter de livrer leur témoignage brut, sans aucune contextualisation ni apparat critique, et en ne tentant pas de confronter ces témoignages aux autres sources sur le sujet, semble quelque peu limité. Espérons qu'un ou plusieurs autres ouvrages essaieront de dépasser cette simple retranscription brute.
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