La bataille de Khalkhin-Gol (ou incident de Nomonhan du côté japonais) est l'une des victoires oubliées de l'Armée Rouge dans l'entre-deux-guerres. En français, hormis le livre de Jacques Sapir dont je parlais l'autre jour, aucun ouvrage ou presque ne s'y est vraiment intéressé. Et que dire de la dimension aérienne du conflit, jusqu'à récemment négligée y compris dans les publications anglo-saxonnes ! C'est ce vide que vient combler l'ouvrage de Dimitar Nedialkov, un chercheur bulgare.
Dans le premier chapitre, il commence par dresser l'historique des tensions entre le Japon -l'armée du Kwantung plutôt- et l'URSS sur la frontière de la Mongolie et du Mandchoukouo. A noter que durant l'incident du lac Khasan, en juillet 1938, le succès final des Soviétiques est dû selon lui pour bonne partie à l'intervention de l'aviation, et en particulier des bombardiers lourds TB-3 et moyens SB-2 qui opèrent en masse. A ce moment-là, l'aviation japonaise, très engagée en Chine, n'est pas encore très présente. La situation se dégrade pourtant rapidement avec la signature d'un pacte mutuel entre Moscou et la République de Mongolie en 1936 et l'installation de troupes soviétiques sur place dès l'année suivante. Ce renfort encourage les revendications des Mongols, alors que l'état-major général japonais, lui, est surtout préoccupé par la guerre en Chine.
En 1939, aux 766 appareils soviétiques, concentrés essentiellement dans un régiment mixte de bombardiers et un autre de chasse, font face 274 appareils japonais. Mais les pilotes nippons sont beaucoup plus expérimentés, et certains dépassent les 1 000 heures de vol. Les biplans sont encore présents de chaque côté (Ki-10 contre I-15, puis I-153), mais les monoplans (I-16 et surtout Ki-27) tiennent le haut du pavé. En revanche, les Soviétiques disposent de bien plus de bombardiers SB-2, R-5 biplans ou TB-3 que les Japonais et leurs Ki-21, BR-20 italiens, Ki-15, 30 ou 32.
Les incidents se multiplient en mars et dégénèrent finalement en guerre ouverte au mois de mai 1939. Dans les premières semaines de combat aérien, les Japonais ont clairement le dessus. Les VVS transfèrent donc des unités supplémentaires et surtout un groupe d'une vingtaine de pilotes vétérans des combats en Espagne et en Chine. Les Japonais notent la réaction soviétique mais ne peuvent la contrer. Dès le 22 juin, la bataille aérienne voit un certain équilibre s'instaurer. Le Japon change alors de tactique et cherche à frapper les avions soviétiques au sol, mais un raid massif le 27 juin n'apporte que des résultats mitigés.
Les 2 et 3 juillet, lors d'un renouveau de l'offensive japonaise au sol, Joukov, qui a pris le commandement des troupes soviétiques, fait un usage intensif des bombardiers et avions d'attaque au sol des VVS pour combler son manque d'infanterie, tout comme il le fait avec les chars pour briser les pointes japonaises. Les VVS commencent déjà à obtenir la supériorité aérienne pendant certains moments de la bataille. Des deux côtés, les revendications des victoires aériennes sont très exagérées.
Mi-juillet, alors que se forme le 1er groupe d'armées soviétique, les VVS se renforcent par l'apport de 200 appareils supplémentaires, notamment les premiers I-153. Côté japonais, une réorganisation a lieu mais la force de frappe des bombardiers demeure toujours insuffisante. Les vagues de chasseurs soviétiques, accrues par leurs réserves, usent tout simplement le potentiel japonais. Après avoir lutté contre le problème des moustiques, abondants dans la région, qui minent l'efficacité des pilotes -en utilisant les moteurs des Po-2 pour les éradiquer !-, les VVS changent de tactique et décident de harceler en permanence les avions japonais sur leurs aérodromes. Les mitraillages au sol sont dévastateurs du 27 juillet au 3 août, avant que l'aviation nipponne ne s'adapte elle aussi. Cette période voit également les premiers cas d'abordage entre appareils soviétiques et japonais. Les unités japonaises fondent en perdant de nombreux pilotes expérimentés, tandis que les VVS favorisent le "hit and run" et améliorent leurs performances de vol en embarquant des équipements à oxygène, délaissés car jugés trop lourds auparavant. Les Japonais prévoient alors de lancer une nouvelle offensive le 24 août et d'attaquer les terrains soviétiques, mais ils sont devancés par Joukov, qui compte lancer une contre-offensive dès le 20. A ce moment-là, la composante aérienne aligne 3 régiments de chasse, une brigade de bombardiers rapides, des TB-3 et des appareils de liaison, plus de 600 appareils. Côté japonais, les pertes cumulées à celles en Chine dépassent déjà les capacités de l'industrie, et de nombreux cadres ont été tués.
L'attaque de Joukov le 20 août est précédée d'un raid de 150 SB-2 tandis que les cieux sont patrouillés par plus de 140 chasseurs. Interviennent dans la bataille aérienne les premiers I-16 équipés de roquettes RS-82 sous les ailes, armes qui obtiennent plus un effet psychologique que destructeur. Les chasseurs soviétiques empêchent l'aviation japonaise de soutenir ses troupes au sol tandis que les bombardiers et avions d'appui des VVS s'en donnent à coeur joie. Les combats font rage jusqu'au 31 août. L'aviation soviétique est parvenue à obtenir la supériorité aérienne et à la conserver, tout en améliorant sa coordination.
Dès le 5 septembre, Tokyo suspend toute opération offensive. Il faut dire qu'en pleine attaque soviétique, le 23 août, le pacte germano-soviétique a été signé et que l'Allemagne fait pression sur son allié japonais pour suspendre les hostilités... les aviateurs nippons croient devoir gagner du temps pour négocier l'armistice en position favorable, estimant n'avoir pas démérité ! Le cessez-le-feu survient après quelques escarmouches finales le 15 septembre.
En conclusion, Dimitar Nedialkov explique bien que les Soviétiques l'ont emporté grâce à la mobilisation de leurs réserves, à l'expérience des deux premiers mois de combat et à l'exploitation des opportunités qui se sont présentées. Trois officiers supérieurs de la force aérienne japonaise se suicident, d'ailleurs, montrant indirectement qu'ils pensent avoir échoué ! La densité des combats aériens de Khalkhin-Gol ne sera pas atteinte avant la bataille d'Angleterre, en 1940. Les VVS l'emportent aussi car le camp soviétique a gardé une grande cohésion sur les objectifs à atteindre, contrairement au camp japonais. Ce dernier perd environ 150 pilotes, un peu moins que les Soviétiques, mais ces pertes sont catastrophiques : en 30 ans, la force aérienne nipponne a formé seulement 1 700 pilotes. On mesure l'ampleur de la saignée d'autant que sur les 150 pilotes, 17 sont des chefs d'unités. Les Soviétiques perdent 250 appareils contre 164 aux Japonais. Les deux camps exagèrent dans un ratio de 8 à 9 pour 1 (!) les victoires remportées. Le conflit a vu de plus en plus d'arrivées simultanées de groupes aériens sur le champ de bataille, entraînant de grands engagements. Les VVS ont obtenu davantage de résultats dans leur matraquage au sol : 4% des missions pour 15% des pertes japonaises. Les bombes et armes de bord soviétiques se montrent plus efficaces. En revanche les I-15 et I-153 sont dépassés, et le Ki-27 japonais domine les airs. La victoire soviétique à Khalkhin-Gol marque un coup d'arrêt aux incidents frontaliers voulus par l'armée du Kwantung et qui cherchait l'affrontement avec l'URSS. En 1941, le Japon n'attaquera pas l'Extrême-Orient soviétique en dépit de Barbarossa. Malheureusement, les leçons de ce succès aérien ne sont pas transmises et les VVS devront passer par l'ordalie de la Finlande, et surtout de Barbarossa, pour suivre à nouveau le même chemin. C'est pourtant la première fois que la puissance aérienne a été utilisée massivement pour atteindre des objectifs décisifs dans un conflit. A noter le caractère féroces des combats : sans parler des abordages, on voit des pilotes japonais tirer sur les parachutes adverses, se suicider quand ils sont abattus pour ne pas être capturés, voire même se poser à côté des avions soviétiques descendus pour tuer à coups de sabre (!) ou de pistolet les pilotes des VVS et récupérer leurs montres ou autres objets personnels...
Chaque chapitre est ouvert par un petit dessin, sans prétention, mais on appréciera. Les 50 dernières pages comprennent une présentation des principaux appareils des deux camps, des profils couleurs, les victoires revendiquées par les deux camps et les notes (malheureusement pas de bibliographie indicative, simplement l'appareil de notes). Un ouvrage solide sur un sujet peu traité : on en redemande !
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