" Historicoblog (4): Lydwine SCORDIA, Onze énigmes de Louis XI, Paris, Vendémiaire, 2021, 190 p.

samedi 2 septembre 2023

Lydwine SCORDIA, Onze énigmes de Louis XI, Paris, Vendémiaire, 2021, 190 p.

 

 

Lydwine Scordia est professeur d'histoire médiévale à l'université de Rouen. Spécialiste de l'opposition au pouvoir royal dans la France des XIIIème-XVème siècle, c'est assez logiquement qu'on la lit pour décortiquer la légende tissée autour du roi Louis XI, née sous son règne et développée après. Adulé par les uns comme le premier roi absolu, détesté par les autres parce qu'il rompait avec la tradition, Louis XI divise encore les historiens aujourd'hui. A travers 11 questions, l'historienne balaye ainsi la légende attachée au roi, certains points ayant d'ailleurs plus d'importance à son époque, ou juste après, qu'aujourd'hui pour nos contemporains.

La première énigme est la question du meurtre du père, Charles VII, au propre comme au figuré. L'historiographie a en effet fortement opposé le père et le fils. La réponse est très clairement négative. Lydwine Scordia montre que Louis XI, qui n'avait que peu d'affection pour son père et s'est opposé très tôt à lui en tant que dauphin, et qui a ensuite profondément remanié l'administration pour y placer ses créatures, a regretté assez rapidement après le début de son règne ses choix. Sur le fond, Louis XI est davantage le continuateur des réformes de Charles VII que son adversaire. Et il manifestera les mêmes craintes envers son dauphin que Charles avait eues avec lui.

Deuxième énigme, l'apparence de Louis XI. Vêtu simplement, parlant vite, d'un langage parfois grossier, on lui a reproché d'être un simplet, un personnage grossier. Ce n'est pas la première fois : on reprochait déjà à Saint Louis de s'habiller comme un ermite, et Louis IX avait corrigé le tour pour rendre le lustre à la fonction royale qui le nécessitait, selon lui. Louis XI, lui, n'en a cure : l'individu l'emporte désormais sur sa fonction. On le reconnaît d'ailleurs aisément sur les représentations d'époque grâce au fameux chapeau à médailles, qui n'avait rien d'un accessoire (les variantes ont coûté fort cher). En réalité, Louis XI a su jouer sur les deux tableaux.

Troisième énigme, la pratique de la chasse. Entraînement à la guerre, certes, mais très critiquée par l'Eglise. Louis XI en était tellement passionné que par certaines décisions, il se serait mis la noblesse du royaume à dos. Mais à la veille de sa mort, il l'envisageait aussi dans une perspective chrétienne, comme symbole de paix.

Louis XI était-il un roi moderne - tranchant avec son époque, et au jugement des historiens plus tard ? Continuateur de l'oeuvre de son père, il a eu tendance à faire de l'efficacité une vertu et à priser la victoire plutôt que la bataille. Autoritaire, instable, il se comporte plus comme un tyran que comme un roi absolu. Très intelligent, il a eu tendance à vouloir tout connaître par lui-même, et il considérait aussi que l'argent pouvait tout acheter. La fierté de de Louis XI, c'était d'avoir accru le territoire du royaume de France.

Louis XI roi-chevalier ? Il a bien reçu une éducation chevaleresque, mais sa pratique de la guerre s'en éloigne. La fin justifiait les moyens. La seule guerre qu'il n'est pas menée, c'est la croisade. A sa mort, Louis XI songe à reprendre Calais aux Anglais, plutôt qu'à aller combattre les Ottomans.

Le roi était-il misogyne ? La place de la femme est fortement contrainte par la religion chrétienne au Moyen Age. On l'a accusé d'être misogyne et sexiste, alors que Louis XI semble surtout avoir été assez indifférent aux femmes. Il n'a pas hésité à imposer à ses filles des mariages forcés, qui aujourd'hui nous semblent insupportables, mais la pratique était courante à son époque. Et Louis XI ne se montre pas moins autoritaire avec les hommes. La seule femme que Louis XI respectait et priait, c'était la Vierge Marie.

Louis XI était-il un roi dévot ou superstitieux ? Le roi croit sans douter, mais a une vision assez négative de la nature humaine, comme on peut le voir dans ses réactions sur le culte des reliques. Louis XI a la foi du charbonnier : il croit en espérant quelque chose en retour. C'est ce qui a donné prise aux légendes sur les superstitions, comme à l'époque de Voltaire.

Le roi était-il aimé ? Pour un roi qui ne s'intéressait pas à l'amour, Louis XI fait pourtant de l'amour du peuple une qualité dans le traité destiné à son fils. Paradoxalement, le roi a été plus apprécié à l'étranger -en Italie par exemple- qu'en France. Il n'empêche que l'efficacité de sa politique a reçu des éloges dans son royaume, et a donné naissance à une légende dorée reprise par les historiens de la IIIème République au XIXème siècle.

Louis XI a-t-il abandonné son fils ? On lui a reproché de l'avoir enfermé au château d'Amboise, sans lui donner aucune instruction. En réalité, Louis XI était obsédé par sa succession : son dauphin Charles naît fort tard, en 1470, et la mort de ses frères en fait le seul successeur potentiel, alors que Louis XI a un frère très rebelle. Le roi a porté de l'intérêt à son fils, mais uniquement sur un plan politique, pas affectif.

Le roi était-il obsédé par la mort ? En 1482, Louis XI vit en reclus à Plessis-les-Tours. Son comportement, singulier, devient encore plus étrange. En réalité le roi, inquiet pour sa succession, souhaitait aussi assurer le salut de son âme et pensait que sa condition de roi ne le ferait pas traiter différemment par Dieu qu'un de ses simples sujets.

Pourquoi, enfin, ce surnom "d'universelle aragne" ? L'historien Kendall en avait fait le sous-titre de sa biographie. L'image vient en fait des chroniqueurs bourguignons, au moment de la guerre avec le duc Charles le Téméraire. Comparé aussi à une sirène ou à une baleine, Louis XI a été l'un des souverains les plus dépréciés du Moyen Age, à l'égal d'un Frédéric II. C'est qu'en plus de détruire la réputation de l'ennemi, les images négatives traduisent une inquiétude sur la pratique du pouvoir de Louis XI.

En conclusion, Lydwine Scordia rappelle que la dissimulation, le secret du roi tranche avec ce que connaissaient jusque là ses contemporains. Pourtant, si Louis XI a ébranlé la féodalité politique, il n'a pas abattu la féodalité économique qui perdure jusqu'à la Révolution. L'Eglise et la noblesse gardent le contrôle de la terre. Louis XI n'était le roi de personne : pour lui, l'Etat, c'est l'intelligence. En gouvernant seul, il a inquiété les gens de son époque. Homme pressé, impatient, comptant sur l'argent comme instrument de gouvernement, il a sidéré. Comme Louis XIV, auquel on le compare souvent, il ne pensait pas beaucoup à autrui.

Le livre est complété en fin de volume par un tableau généalogique de la famille de Louis XI, par une carte du royaume et des gains territoriaux depuis Philippe VI, une chronologie du roi, 11 pages de notes, 3 pages sur les sources d'époque et 4 autres de bibliographie. Etonnamment, celle-ci ne comprend que fort peu de références étrangères, quasi exclusivement des française, et ne cite pas certaines biographies françaises de Louis XI, probablement parce qu'elles datent un peu et sont dépassées par une historiographie plus récente. Un petit bémol toutefois : le prix. 21 euros pour moins de 200 pages, c'est un peu cher. Il faudra se rabattre de préférence sur le format poche.


 

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