L'industrie d'armement française ne s'est jamais aussi bien portée qu'aujourd'hui. C'est que la France reste une des principales exportatrices d'armement dans le monde (dans le top 5), sans parler des commandes nationales qui choisissent prioritairement des fabricants français. Pour autant, peut-on parler d'un complexe militaro-industriel à la française, pour reprendre les termes d'Eisenhower ? Les 160 000 personnes qui dépendant en France du secteur de l'armement bénéficient-elles de l'effort des militaires, diplomates, ministres, parlementaires, commerciaux qui "vendent" le commerce des armes à l'étranger, quite à faire du lobbying à l'excès ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre ce petit opuscule, d'ailleurs illustré par des dessins de circonstance comme celui visible sur la couverture ci-contre, inspiré du fameux film Lord of War, que l'auteur évoque dès l'introduction.
Faire parler les personnes engagées dans le secteur de l'industrie de l'armement n'est pas chose facile. Romain Mielcarek s'y est pourtant essayé, en fréquentant les principaux salons de l'armement français. C'est que la vente d'armes à l'étranger est, tout de même, très encadrée par l'Etat. Quand bien même les justifications à pratiquer ce commerce, chez ceux qui en font partie, sont souvent les mêmes. C'est aussi que le secteur fait vivre beaucoup de monde, et n'a jamais été aussi florissant. Depuis 1948, le ministère français s'intitule "ministère de défense" même si les documents officiels continuent pendant encore longtemps de parler d'industrie d'armement...
L'Etat soutient le maillage de PME du secteur de la défense, indispensables à côté des grosses structures. Lesquelles, DNCS, Nexter, Thales, sont souvent les héritières des anciennes fabriques d'armes royales. En France, le choix a été fait de conserver une puissante industrie d'armement, pour ne pas dépendre des livraisons étrangères et des pressions qui pourraient ainsi s'exercer sur notre défense. Mais comme les forces nationales ne peuvent à elles seules faire tourner l'industrie à plein régime, il faut exporter. C'est un choix qui pour l'instant n'est pas remis en cause par le pouvoir politique. L'industrie fait tourner l'économie de nombre de régions et de villes françaises ; certains élus y sont très attachés, pour des raisons économiques, et défendent donc les ventes d'armement, y compris en accompagnant les délégations officielles au moment de la signature des contrats. Mais certains spécialistes s'interrogent sur les performances de cette industrie, très soutenue, dont les dividendes iraient davantage aux groupes eux-mêmes qu'à l'économie locale.
Ce soutien de nombreux acteurs aux exportations d'armement pose question lorsque les armes sont vendues à des pays comme l'Egypte, qui malgré sa lutte contre la branche au Sinaï de l'EI, vit sous la férule du maréchal Sissi, ou de l'Arabie Saoudite, engagée dans une très dure campagne au Yémen. Le discours diplomatique est aussi de dire que les choix d'exportations sont faits pour appuyer la politique française, voire rendre dépendants certains pays sur le plan de l'armement ; toutefois les contre-exemples abondent de pays n'ayant tenu aucun compte de la place de la France (Libye ; Irak). Parfois, la France fait l'impasse sur les exportations, sacrifiant aux exigences diplomatiques, comme avec le marché des BPC Mistral vendus initialement à la Russie, puis décommandés.
La discrétion qui entoure le commerce des armes est aussi liée, probablement, aux nombreuses affaires de corruption qui les entourent, souvent liées à la sphère politique. On pense au scandale de Karachi, à l'affaire des frégates de Taïwan, pour ne pas nommer la Libye et l'ancien président Sarkozy. La profession d'intermédiaire jouée par certains dans ces affaires de commissions et rétrocommissions n'a rien d'illégal, elle n'est tout simplement pas encadrée. Les entreprises manoeuvrent parfois pour contourner les embargos, en changeant la classification du matériel. Les ventes d'armes légères opérées de manière clandestine pour soutenir des acteurs non étatiques restent également très opaques. Les industries elle-mêmes se parent désormais de département chargés de traiter des questions éthiques, mais les réponses sont souvent les mêmes que lors des interviews obtenues par l'auteur dans les salons...
L'Etat contribue aussi à nourrir l'industrie d'armement nationale. L'armée française est équipée des matériels les plus modernes, comme le char Leclerc. La France a dépensé 16,9 milliards d'euros pour ses forces armées rien qu'en 2016. La Direction Générale de l'Armement planifie l'acquisition des nouveaux matériels : mais les discussions son parfois compliquées avec les entreprises, et les militaires, car les besoins ne sont pas les mêmes... la France soutient son industrie d'armement car elle est une garantie d'indépendance. Mais d'aucuns jugent que l'industrie pousse à certaines opérations pour remplir les carnets de commande. On note toutefois la tendance, dans la décennie 2010, à se tourner vers l'exportation et moins vers les commandes nationales. De nombreux officiers supérieurs et généraux se reconvertissent d'ailleurs dans l'industrie d'armement après la fin de leur carrière.
Romain Mielcarek conclut sur l'idée que la France, par ses ambitions géopolitiques, a besoin d'une industrie d'armement autonome capable d'équiper des forces armées souvent projetées sur des théâtres extérieurs. L'absence de véritable intérêt public sur cette question empêche sans doute les dérives déjà contestées de cesser. C'est pour maintenir l'indépendance de sa défense que la France est devenue dépendante de son industrie d'armement, laquelle à son tour est de plus en plus dépendante de ses exportations, ce qui fait de la France un des principaux marchands d'armes dans le monde. L'ouvrage s'achève par un glossaire sur les principaux groupes d'armement français et des graphiques et cartes récapitulatifs sur le commerce des armes.
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