Un livre intéressant, car rare témoignage d'un officier français, ancien de la 6ème CPIMa, pendant l'intervention française au Tchad entre 1969 et 1972 notamment (il a combattu sur place en 1970-1971). Le livre est également préfacé par l'ancien rebelle tchadien Goukouni Oueddeï, adversaire malheureux d'Hissène Habré. Il s'agit en fait d'une étude réalisée pour l'Ecole Supérieure de Guerre en 1984, que l'auteur a repris. Toutefois, il a aussi pour ambition de rééquilibrer la parole en faveur des Français, cataloguant comme "orienté" ce qui a précédé, du moins comme partisan (pour avoir lu un ouvrage de Robert Buitenhuijs, je ne pense pas qu'il s'agisse forcément d'un "révolutionnaire convaincu ne cachant pas (...) ses convictions", du moins par sur toute sa carrière ; je comprends davantage les réserves sur certains travaux de journalistes). Il faut dire que J. Neau n'a rien changé à la version de 1984, ce qui explique aussi certaines choses. Son objectif est aussi de montrer que la guerre au Tchad n'avait rien du type révolutionnaire.
La première partie présente le Tchad avant les conflits survenus après l'indépendance. Elle montre bien que le pays est enclavé, divisé, aussi. Dans ce pays très pauvre, la colonisation française n'a pas fait émergé d'élites capables de prendre la tête du pays à l'indépendance.
Si les populations du nord du pays sont marginalisées, les premières révoltes éclatent pourtant dans le Centre-Est (1962-1965). Les mouvements rebelles qui apparaissent ensuite, dont le Frolinat, ont beaucoup de mal à s'implanter parmi les populations en raison de l'écart entre leur discours, leur programme, et la pratique sur le terrain, sans parler de leur présence. La révolte du nord du pays est déconnectée au départ de ces formations rebelles, alors qu'elle entraîne une première intervention française en 1968. De fait, ces mouvements insurrectionnels, dans le nord et au centre-est, profitent surtout de la faiblesse du gouvernement central et des limites de son outil militaire, décrites par l'officier. L'intervention française n'a pas lieu pour des raisons économiques (ressources à protéger) ou même stratégiques (pas de base capitale dans le pays), mais probablement, selon l'auteur, parce que le général De Gaulle, notamment, souhaite achever son oeuvre de décolonisation et ne pas voir le Tchad s'écrouler. L'intervention militaire française à partir de 1969 se couple d'une mission Mission de Réforme Administrative qui vise à permettre au Tchad de faire face seul. Les succès militaires, le reformatage de l'armée tchadienne, malgré les pertes subies dans l'embuscade de Bedo (12 tués), ne sont pas couplés à une réussite sur le plan de la reconstruction. La rébellion est travaillée par des querelles internes, mais elle est de plus en plus soutenue pour partie par un nouvel acteur, la Libye de Kadhafi, que la France n'arrive pas à contrer. Le président tchadien Tombalbaye défend le "retour à l'authenticité" et se retourne contre la France, s'enfermant dans une logique de plus en plus despotique qui conduit à son assassinat par ses propres militaires en 1975. Les limites de l'action française apparaissent aussi lors de l'affaire Claustre, en parallèle.
Dans la dernière partie, Jackie Neau revient sur les aspects proprement militaires de l'intervention française, notamment sur la période où il était présent. Comme il l'explique bien, cette intervention n'a rien de massive, et les soldats français sont soumis à toute sorte de contraintes (climat, etc). Toutefois l'appui aérien joue un rôle décisif. Les Français remettent en état de nombreux aérodromes ou pistes permettant l'emploi des hélicoptères ou des avions, lesquels assurent missions de combat, opérations psychologiques, évacuations sanitaires... Quelques-uns des succès français les plus nets sont obtenus par des assauts aéromobiles.
Pour qui s'intéresse aux conflits tchadiens, le livre de J. Neau, qui comprend en outre beaucoup d'illustrations et de cartes, constitue donc un aperçu intéressant de la façon dont un militaire français a vécu, et analysé, son engagement au Tchad
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