J'avais reçu ce livre en service presse il y a plusieurs années (il est paru en 2014). Récemment, je me suis décidé à l'ouvrir, pour le lire. Le quatrième de couverture ne m'inspirait guère, pourtant : il y était question de "partie machiavélique et truquée pour démembrer la Syrie", "instaurer la prééminence du Qatar et de l'Arabie Saoudite", de "médias mainstream qui manipulent l'opinion publique", etc etc.
Les deux auteurs sont biologistes. Avant le conflit, ils avaient été sollicités par l'archevêque grec melkite catholique d'Alep pour doter la ville d'un Institut infirmier "à la française", comme ils le disent. Ils y retournent pour achever l'oeuvre entreprise en mai 2012, quelques mois seulement avant que les rebelles n'investissent les quartiers Est d'Alep et tentent d'encercler les quartiers ouest tenus par le régime syrien. Le ton est donné dès l'avant propos puisque les auteurs soutiennent que la majorité des Syriens, en mars 2011, au moment des premiers troubles à Deraa, croient à la théorie du complot (!), derrière leur gouvernement, leur armée, et leur président.
Dans une première partie, les deux auteurs livrent leur expérience, sur un peu moins de 100 pages. Je ne ferai pas le détail de toutes les allusions, mais le milieu dans lequel les biologistes évolue est celui des zones tenues par le régime syrien, et des personnes qui y résident. Les deux auteurs en adoptent le point de vue, partagé par les religieux qu'il fréquente, par exemple, et dont le couple rapporte fidèlement les propos. On y trouve les arguments habituels : al-Qaïda création des Américains ; le massacre de Hama en 1982 masquerait celui commis par les Frères Musulmans dans les années qui précèdent ; diabolisation de la Turquie ; et surtout le postulat selon lequel le régime de Bachar el-Assad est légitime, représentant la nation syrienne, alors qu'il ne fait que contrôler l'appareil d'Etat, qu'il est le résultat d'une prise de pouvoir arbitraire qui remonte à 1970 par Hafez el-Assad, et qu'il ne représente qu'une infime partie de la population du pays, et certainement pas la majorité. C'est un point de vue en circuit fermé ; on n'y voit pas les bombardements du régime syrien sur les populations civiles des zones tenues par les rebelles, les arrestations, la torture... en revanche on pleure sur les obus tirés sur les quartiers d'Alep tenus par le régime (dont le nombre est sans commune mesure avec le déluge de feu qui tombe sur les zones rebelles) ; on mentionne l'arrestation d'étudiants gagnés aux idées rebelles (mais pour de l'argent...) et on tente de ramener dans le troupeau ces brebis égarées... on note aussi une hostilité très prononcée à l'encontre de l'Etat d'Israël, accusé de tous les maux aux côtés des Américains.
Le reste du livre (environ 200 pages) est une somme compilée de témoignages, lettres et articles repris par les auteurs parce qu'ils servent leurs arguments, qui tournent encore une fois en vase clos. Information manipulée, ingérence étrangère, présence de djihadistes dès les manifestations de Deraa (mars 2011), histoire résumée de la Syrie tout en faveur du régime actuel (Hafez "prend le pouvoir turbulences politiques et l'instabilité chronique des années précédentes"), capture d'agents de la DGSE en Syrie (antienne souvent répétée par le régime, à tel point que la DGSE a dû laisser l'équivalent d'une division se faire prendre dans le pays...), la Syrie "rempart contre le terrorisme", "protectrice des minorités"... tout y passe. Le livre reprend par exemple un article de géopoliticien Alexandre Del Valle, qui se raccroche à la mouvance identitaire ; il a soutenu l'idée d'une manipulation de l'islamisme par les Etats-Unis, avant de prôner l'alliance avec l'extrême-droite israëlienne, tout en insistant sur la "menace" posée par les immigrés qui "colonisent" l'Europe. Del Valle souligne lui aussi la désinformation des médias, sur la mort de journalistes occidentaux très certainement tués par des tirs du régime syrien (qu'il attribue lui aux rebelles), quand ceux-ci ne sont pas, pour un autre intervenant repris dans le livre, ... des agents de la DGSE. La DGSE est présente, aussi, dans le livre : un ancien officier, qui témoigne anonymement, regrette que l'on se soit coupé de cette formidable source de renseignements que constitue le régime syrien -quand on pense aux attentats survenus après la parution du livre, ça ne prête pas à sourire. Une conférence d'Alain Chouet est citée dans le même but. Dans la troisième partie, le massacre de Houla est attribué également aux rebelles syriens -thèse évidemment défendue par le régime syrien. Le livre cite aussi deux articles de G. Malbrunot, dont l'un, en décembre 2012, affirme d'ailleurs qu'Abou Mousab al-Souri aurait été libéré de prison par le régime syrien, alors que Zawahiri confirmait dans un enregistrement d'avril 2014 qu'il était a priori toujours en prison. On retrouve plus loin l'idée selon laquelle le conflit syrien ne serait qu'un conflit pour les gazoducs...
L'épilogue du livre résume bien le propos : janvier 2013, une correspondante des auteurs pleure sur le bombardement des quartiers d'Alep tenus par le régime. Sans commune mesure avec celui des quartiers tenus par les rebelles à la même époque, déjà. Le régime a, lui, l'arme aérienne, sans parler des missiles balistiques qu'il commence à tirer sur les grandes villes, après les barils explosifs lâchés par les hélicoptères... comme souvent, ce type de pamphlet est davantage révélateur des auteurs qu'intéressant par le contenu. Le couple Antakli est interrogé, en 2014, par TV Libertés, média financé par une nébuleuse d'extrême-droite où l'on trouve notamment des identitaires. En 2015, Jean-Claude Antakly intervient sur le site du comité Valmy pour affirmer "qu'il n'est pas Charlie". Les conférences qu'il donnent ensuite sont relayées par Egalité et Réconcilitation, le site soralien ; récemment encore il intervenait sur Radio Courtoisie, que l'on sait proche de l'extrême-droite politique. La mouvance idéologique où le propos évolue est donc claire. On comprend le lien personnel qui unit les auteurs à la Syrie ; toutefois, il faut bien se dire qu'on a entre les mains un ouvrage engagé, militant, pas autre chose.
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