Recension proposée par Robin.
ISBN 2-906657-22-0
L’ouvrage a huit photos
noir et blanc de K. Oborin, An. Roulev et Kh. Anvar, une carte, une
planche de cinq dessins sans légende, un index.
L’auteur, Alexéi V.
Tchikichev, est un ancien officier diplômé de l’Institut
militaire de langues étrangères. Il a été en Afghanistan de 1983
à 86 où il était chargé de renseignement, d’opérations
psychologiques et d’aide humanitaire. Il y a été blessé à deux
reprises.
L’ouvrage démarre avec
un historique des Spetsnaz de quelques lignes qui est trop sommaire
pour être utile (notons que l’auteur considère p. 13 qu’en cas
de guerre conventionnelle, les missions des groupes Spetsnaz sur les
arrières ennemis auraient été des allers simples), et une utile
chronologie du déploiement des unités Spetsnaz en Afghanistan.
Cependant, l’ouvrage ne donne pas les numéros des bataillons,
qu’il désigne par leur lieu d’affectation.
Dans une préface,
l’auteur explique que l’histoire des Spetsnaz en Afghanistan
était largement restée dans l’ombre, et qu’il a voulu combler
ce manque. Il s’est basé sur les témoignages, notes et photos de
Spetsnaz (qui ont largement voulu rester anonymes), les archives de
l’armée restant fermées. L’auteur dit qu’il a fait des
« vérifications approfondies » des informations qu’il
présente, mais l’ouvrage ne contient pas de détail sur ses
sources.
Le premier chapitre
couvre le premier bataillon Spetsnaz constitué pour l’Afghanistan,
en réponse aux demandes d’aides du président afghan Taraki.
Surnommé « bataillon musulman » car constitué essentiellement de
recrues des républiques d’URSS d’Asie Centrale, il arrive à
Kaboul en octobre 1979, alors que Taraki a été renversé par Amin.
En décembre, l’URSS a décidé de se débarrasser d’Amin, et le
bataillon participe, en appui des unités spéciales du KGB, aux
assauts sur le palais présidentiel et sur l’état-major afghan.
Les objectifs sont atteints, non sans pertes (12 tués et 28 blessés
selon l’auteur, sans qu’il soit clair s’il parle que du
bataillon), et le bataillon revient en URSS en janvier.
En 1981, deux bataillons
Spetsnaz sont envoyés dans le nord de l’Afghanistan. Un bataillon
déployé à Aybak (province de Samangan) est utilisé pour protéger
un gazoduc. Le bataillon de Maymana (province de Faryab) participe à
l’offensive dans le Pandjchir du printemps 1982 et s’installe
dans le village détruit de Rukha, où il est accroché
quotidiennement jusqu’au cessez-le-feu négocié avec le commandant
Massoud fin 1982. En 1983, il déménage à Golbahar et mène des
opérations dans le centre du pays. L’Armée rouge ne sait pas
vraiment employer ses unités dans cette guerre de
contre-insurrection, y compris ses Spetsnaz. Ceux-ci ne disposent pas
de moyens aériens ni de renseignement adaptés, et la plupart de
leurs cadres ne sont ni Spetsnaz ni parachutistes. Le moral baisse et
la consommation de drogue devient fréquente. Mais ils s’adaptent
progressivement : ils abandonnent les opérations en bataillon
complet, montent des embuscades qui ont cependant rarement des
résultats. Ils apprennent sur le tas - et au prix du sang - à
éviter les erreurs tactiques et les ruses des moudjahidines. A
l’hiver 1983-84, la stratégie soviétique est grandement revue, de
même que l’emploi des Spetsnaz. La mission de ces derniers devient
l’interdiction des caravanes logistiques venant du Pakistan. Le
bataillon d’Aybak s’installe à Djalalabad et l’autre à Ghazni
- ils seront rejoints par six autres en 1984-85, déployés le long
de la frontière pakistanaise.
Comme leurs
prédécesseurs, les Spetsnaz nouvellement arrivés sont peu préparés
au pays. Ils s’acclimatent et apprennent à boire du thé salé
pour supporter la déshydratation. Ils découvrent aussi que dans ces
zones pachtounes, leurs recrues d’Asie centrale sont inutiles du
fait de la barrière de la langue. En avril 1985 à Marawar, une
compagnie du bataillon d’Asadabad fraîchement arrivé attaque des
moudjahidines qui se replient dans un défilé. En les poursuivant,
elle tombe dans une embuscade où un groupe d’une trentaine
d’hommes est isolé et encerclé. Seuls deux en réchapperont. A la
suite des premières expériences, les unités s’adaptent. A partir
de début 1984, des unités d’hélicoptères leur sont affectées.
L’encadrement est revu, et une formation ad hoc de trois mois est
créée à Tchirtchik (Ouzbékistan). L’auteur considère que les
Spetsnaz sont les seuls qui menaient des opérations offensives,
grâce à l’autonomie laissée aux chefs de compagnies.
Contrairement au reste de l’armée, ils opèrent indépendamment de
l’armée gouvernementale afghane, ce qui évite les fuites
d’information vers les insurgés ; en revanche, les Spetsnaz
bénéficient des informations du KHAD, le service de renseignement
afghan.
Les moudjahidines aussi
s’adaptent, apprenant à envoyer une reconnaissance en avant d’une
caravane, et à se camoufler lors des arrêts. Mais si une embuscade
des Spetsnaz fonctionne, ces derniers ont toujours le dessus. Le
schéma d’emploi est répétitif : agissant sur renseignement,
les Spetsnaz sont amenés par hélicoptères ou par blindés à 15-20
km du site de l’embuscade, qu’ils rejoindront à marche forcée
de nuit, où, dissimulés, ils attendront leur cible. Les Spetsnaz
montent aussi des raids contre les bases logistiques des
moudjahidines. L’auteur évoque le raid sur Karera [Krer] en avril
1986, où des Spetsnaz franchissent – malencontreusement selon lui
– la frontière [l’article de Lester Grau sur ce combat et le
livre de Mark Galeotti parlent, eux, d’une opération délibérée
du commandant d’une brigade Spetsnaz en violation des ordres]. Lors
de ces raids, on s’efforce de tuer silencieusement ceux
rencontrés lors de la progression ; quand l’objectif est situé
dans un village, les Spetsnaz reconnaissent franchement ne pas faire
le détail entre moudjahidines et civils. Par ailleurs, patrouiller
des pistes en hélicoptère (de jour) permet de trouver et éliminer
des caravanes – et de faire la première capture d’un missile
Stinger. Les Spetsnaz opèrent parfois déguisés en Afghans.
Certains bataillons éliminent une ou deux caravanes presque chaque
mois. L’auteur estime qu’ils obtiennent 60% des résultats de
l’armée dont ils ne constituent que 5% des troupes, mais
l’état-major lui-même estime n’intercepter que 15% des
caravanes qui passent la frontière.
Un chapitre est dédié à
la compagnie Spetsnaz déployée à Kaboul dès 1980, qui sert
initialement « d’équipe de pompiers » pour l’ensemble
de l’armée. Si sa garnison est relativement confortable, elle a
aussi des inconvénients : des personnels de l’état-major
accaparent des effets camouflés expérimentaux qui étaient destinés
à la compagnie. L’équipement est généralement désuet, et les
Spetsnaz s’efforcent de capturer des cartouchières et sacs de
couchages d’origine étrangère. Lors d’un raid à l’hiver
1983, la compagnie s’égare en Iran. A partir de 1985, elle n’opère
plus que dans la région de Kaboul. Elle utilise souvent les
déguisements afghans. Elle sera une des premières unités renvoyées
en URSS au printemps 1988.
Six bataillons Spetsnaz
quittent le pays en mai-juin 1988 et laissent leurs bases à l’armée
afghane, tandis que ceux de Ghazni et Baraki sont réaffectés à
Kaboul. Mais dans cette zone qui ne leur est pas familière, ils
subissent des pertes plus lourdes face à des moudjahidines
expérimentés qui ne connaissent pas la réputation dissuasive
qu’avaient les Spetsnaz ailleurs. La principale mission de ces
derniers est alors d’interdire les tirs de roquettes sur la
capitale. Les dernières unités Spetsnaz quittent le pays en février
1989. (L’auteur ne parle pas de l’aide indirecte de l’URSS au
régime de Kaboul les années suivantes.) Mais dès janvier 1990,
certains vétérans Spetsnaz se retrouvent de nouveau au combat
contre un djihad, en Azerbaïdjan.
Un chapitre intitulé
« condamnés à la haine » examine les relations entre
Spetsnaz et population afghane. L’auteur explique les motivations
des insurgés et fait un bilan humain lucide de la guerre (un
quart de la population réfugiée à l’étranger). Il reconnait que
les Spetsnaz sont responsables de la mort de civils, soit par
méprise, soit par « nécessité » (éviter d’être
compromis en territoire ennemi, la population civile renseignant
généralement la guérilla dans de tels cas). Cependant, il est
arrivé que des clans afghans collaborent avec les Spetsnaz, soit
pour s’allier contre un autre clan, soit pour avoir la paix dans
leur territoire. Mais globalement, il y a peu de contacts entre
Spetsnaz et civils et combattants afghans, et l’auteur pense qu’il
ne restera chez ces derniers que des récits parlant des « horribles
Russes ».
Le chapitre suivant, fait
à partir d’un sondage de deux cents Spetsnaz, en trace un portrait
psychologique : peu ont aimé se battre, beaucoup disent avoir eu un
sentiment de lassitude et d’apathie au bout d’un an. 60% ont des
sentiments ambivalents sur la guerre. 5% n’ont pas pu se faire à
la guerre et reconnaissent avoir cherché à être affectés à des
tâches moins exposées. Les vétérans ont plus d’estime pour
leurs adversaires que pour leurs alliés afghans. Ils pensent avoir
gardé un très bon moral. Ils n’étaient pas motivés par leur
« devoir internationaliste » ni par la solde, mais par
l’atmosphère de la guerre, l’envie d’épargner le sang des
siens, l’honneur individuel, l’espérance d’obtenir des
avantages après la guerre, parfois la crainte de la répression, le
devoir ou la vengeance. De retour à la vie civile, la majorité
souffre du « syndrome afghan », une nostalgie du groupe
soudé qu’ils formaient, avec de bonnes relations entre soldats et
officiers, l’absence du bizutage (mais des « explications »
pour les défaillances en opération), malgré les contraintes comme
un haut commandement qui s’approprie souvent une part de leurs
prises, loisirs, la nourriture de mauvaise qualité, l’austérité
des bases.
En annexes, l’auteur a
ajouté le témoignage de M. Romanov, un officier du KGB impliqué
dans la prise du palais d’Amin (apparemment un « composite »
fait à partir de plusieurs articles de journaux), et trois poèmes
de vétérans.
Spetsnaz en
Afghanistan est donc un ouvrage utile, vu que les sources sur les
Spetsnaz de l’époque soviétique sont rares en français.
(Curieusement, il ne semble pas avoir été publié en russe.)
L’auteur montre un recul certain, ne cachant pas l’impact de la
guerre sur la population et étant conscient que celui-ci alimentait
l’insurrection. Il n’est pas possible de vérifier ses
informations, mais celles-ci semblent généralement fiables. En
revanche, il procède souvent par touches anecdotiques. Ainsi, si on
apprend pas mal sur le mode opératoire des Spetsnaz, on n’aura pas
une description d’une mission de A à Z. Ni sur la structure des
bataillons, leur arme d’appartenance, le cursus ou la sélection
des appelés. Le point de vue des participants donné sans filtre est
parfois surprenant, comme par exemple leur impression que l’URSS se
serait battue en Afghanistan avec une main dans le dos, ce qui
n’aurait pas été le cas des Américains au Viêt Nam.
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