Mai 1941. L'U-43 repère un trois-mâts français dans l'Atlantique. Le sous-marin allemand fait surface, et sur ordre de son commandant, canonne pendant une heure, au 105, au 37 et a 20 mm, un navire qui ne représente aucune menace ni aucun objectif militaire sérieux.
Ce n'est pour rien que Jordan Vause, historien spécialiste des U-Boote, choisit cet épisode comme prologue de sa biographie de Wolfgang Lüth. Né en 1913, Lüth entre dans la marine de guerre en 1933, peu après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Il fait partie de la fameuse promotion 33 qui donnera de nombreux as à l'arme sous-marine allemande. Il ne rejoint pourtant cette branche qu'en 1937, alors que celle-ci se développe sous l'égide de Dönitz. En juillet 1938, il devient le second officier de l'U-27, un Type VII, le cheval de bataille de le la flotte sous-marine allemande pendant la guerre. Il patrouille au large de l'Espagne en pleine guerre civile, ce qui lui vaut une première décoration espagnole.
En octobre 1938, Lüth passe sur l'U-38, un type IXA océanique commandé par Heinrich Liebe, futur as des U-Boote, avec lequel Lüth entame la Seconde guerre mondiale. Mais il attend d'avoir son propre commandement, car sa personnalité s'accommode mal des seconds rôles. En décembre 1939, il prend le commandement de l'U-9, le successeur du sous-marin du même nom en 1914, commandé par Otto Weddingen, qui avait coulé 3 croiseurs britanniques coup sur coup. Depuis l'U-9 porte la croix de fer comme emblème, ce que Lüth déteste, comme tous les emblèmes. L'U-9 est un Type IIA, sous-marin à peine plus évolué que ceux de la Grande Guerre. C'est pourtant avec lui que Lüth coule ses deux premiers bâtiments, spectacle dont il fait profiter tout l'équipage dans le périscope, quite à mettre en péril le sous-marin. La seconde patrouille est moins dramatique : l'U-9 mouille des mines au large des côtes ouest de l'Ecosse, mais le fait sans plan, oublié au port, de mémoire de ses principaux officiers...
Lüth participe à la campagne contre le Danemark et la Norvège, où les sous-marins ne brillent guère en raison notamment de problème de fiabilité de leurs torpilles. L'U-9 doit être relégué à une fonction d'entraînement à Gotenhafen, mais il est jeté dans l'offensive à l'ouest. L'U-9 coule, deux jours avant l'attaque, le sous-marin français Doris, puis plusieurs bâtiments de commerce. Lors de la patrouille suivante, l'U-9 torpille le navire letton Sigurds Faulbauls, ex-allemand capturé par les Britanniques. Lüth se félicite d'avoir coulé un navire "juif", ce qui au final s'avère inexact. C'est que Lüth est un nazi, et ne s'en cache pas. L'U-9 subit ensuite son premier grenadage, pendant 21 heures, par plusieurs destroyers britanniques, parvenant à en réchapper.
En juin 1940, Lüth prend le commandement de l'U-138, un nouveau type II qui doit subir des tests avant d'entrer en service en septembre. L'U-138 torpille 4 navires du convoi OB 216. Basé à Lorient, Lüth a peut-être croisé Günther Prien, qui a coulé le Royal Oak, et a rencontré Otto Kreschmer, autre as des U-Boote. La seconde patrouille est moins concluante. L'U-138 est proche de plusieurs convois (Lüth se félicite d'une "nuit des longs couteaux" en perspective...) mais n'arrive qu'à couler un seul navire de l'OB 228. Avant de prendre un nouveau commandement, il doit informer son équipage que de 2 de leurs camarades ont été tués pendant un raid aérien sur Lorient.
En octobre 1940, Lüth est décoré de la Croix de chevalier de la croix de fer. Puritain, il insiste auprès de ses hommes pour qu'ils marient et aient des enfants. Mais il aide aussi toujours ses hommes dans le besoin, même s'ils ne sont pas mariés. Et cela ne tient pas au fait qu'il soit nazi. Lüth prend la tête de l'U-43, un Type IXA. Il sert d'abord de relais météo, avant de partir pour une première patrouille en décembre. Il coule plusieurs navires de l'OB 251, mais les tactiques de défense britanniques se montrent déjà plus efficaces. Lüth ne montre aucune compassion pour les naufragés : comme le note ses subordonnés, ce n'est pas un marin, mais un militaire professionnel, qui accomplit une besogne sordide de la façon la plus méticuleuse, quite à être cruel, tout en ne se montrant pas, parfois, très professionnel.
En février 1941, l'U-43 coule sur le fond dans le port de Lorient, en raison de défaillances quant à l'arrimage du bâtiment. Humilié par Dönitz, Lüth voit l'efficacité de son sous-marin en pâtir (les batteries ne sont pas remplacées), avec un équipage en partie composé de nouvelles recrues peu qualifiées. Alors même que les Britanniques cassent le code des machines Enigma des sous-marins, et renforcent leurs moyens de défense (Asdic, protection aérienne, etc). C'est juste après que Lüth, pour la première patrouille après l'incident, fait couler au canon dans une débauche de munitions le trois-mâts français Notre Dame du Châtelet. Pendant cette même patrouille, l'U-43 insiste impuissant à la mise à mort du Bismarck.
Comme beaucoup d'Allemands de la Baltique (il est né et a grandi à Riga), Lüth, en bon nazi, se félicite de l'invasion de l'URSS. La patrouille suivante, en août 1941, est pourtant l'une des pires qu'il connaisse, en raison du système Ultra des Britanniques et de l'intervention de la flotte américaine qui escorte de plus en plus les convois britanniques. Lüth fait visiter l'U-43, à son retour au port, au Korpsführer Adolf Hünhlein du NSKK (corps du transport motorisé). Lors de la patrouille suivante, en novembre, Lüth envoie par le fond plusieurs navires du convoi OS-12, dont le pétrolier Astral, qui par malheur pour lui porte le pavillon américain. L'incident sera oublié avant d'être redécouvert dans les années 1960, mais vient conclure une longue liste d'attaques maritimes et sous-marines qui de facto créent déjà un état de guerre entre Etats-Unis et Allemagne bien avant Pearl Harbor. Un autre navire est coulé en janvier 1942 lors de la première patrouille de cette année.
Lüth prend alors le commandement de l'U-181, un Type IXD2 qui va propulser sa carrière au zénith. Il fait partie d'un groupe envoyé par Dönitz au large du cap de Bonne Espérance, en septembre 1942. Lüth, qui écrira un opuscule dénommé Problèmes du commandement, veille à maintenir ses hommes toujours occupés pour lutter contre l'ennui. Ce qui inclut notamment des discours sur le national-socialisme. Lüth se reconnaît dans le régime nazi, mais n'en fait pas une propagande intensive auprès de l'équipage. Simplement il ne cache pas ses sentiments et conserve une vision "naïve" du nazisme. A partir de novembre 1942, l'U-181 commence à couler des navires au large du Cap, puis du Mozambique portugais.
Le 15 novembre, Lüth affronte le grenadage le plus sévère qu'il ait subi jusqu'ici, face au destroyer britannique Inconstant qui le traque à l'Asdic, renforcé par deux corvettes. Décoré des feuilles de chêne de la Croix de chevalier de la croix de fer, Lüth coule encore 4 navires devant le Mozambique ; là aussi, il expose imprudemment son bâtiment en achevant à chaque fois la cible au canon. L'U-181 revient à Bordeaux en janvier 1943, après avoir coulé 12 bâtiments.
La patrouille suivante, en mars 1943, durera plus de 200 jours. Auparavant, Lüth s'est encore davantage compromis avec le nazisme en acceptant l'invitation d'Arthur Greiser, le responsable du Gau Wartheland, la partie occidentale de la Pologne rattachée au Reich, qui parraine l'U-181, à Poznan (Posen). Le 10 avril, l'U-181 attaque l'Empire Whimbrel au large de Freetown : en voulant de nouveau couler le bâtiment au canon, Lüth entraîne la mort du cuisinier tué par l'explosion du tube du canon de 37 mm. Lüth est pourtant décoré des épées en plus des feuilles de chêne de la Croix de chevalier de la croix de fer, avant de se retrouver de nouveau au large du Mozambique. L'U-181 y torpille le navire suédois Sicilia et le transport de munitions Harrier.
Ravitaillé en juin, l'U-181 s'aventure jusqu'à Tromelin en juillet. Le 11 août, Lüth torpille son dernier bâtiment, le cargo frigorifique Clan Macarthur. Deux jours plutôt, il est devenu le premier sous-marinier à être décoré des brillants de la Croix de chevalier de la croix de fer. Les Alliés interceptent toutefois les messages des U-Boote, ce qui leur permet de couler l'U-197, resté dans la zone de rencontre avec l'U-181 quelques jours plus tôt. L'U-181 rentre à Bordeaux le 14 octobre 1943.
Lüth reçoit sa dernière décoration des mains d'Adolf Hitler ; la propagande s'empare de la figure, pour redorer le blason de l'arme sous-marine assommée par les coups de boutoir des alliés depuis le printemps. Lüth a droit à son portrait par Heinrich Hoffmann. Après avoir présenté son ouvrage sur les Problèmes de commandement, et en avoir écrit un autre pour la propagande, Boot Greift Wieder An, Lüth devient chef de la 22ème flottille d'instruction à Memel en janvier 1944. Il y reste jusqu'en juillet, avant de prendre la tête de l'école des officiers à Mürwik où il avait lui-même été formé. Lüth s'enflamme encore une dernière fois pour le nazisme pendant la contre-offensive des Ardennes. Mais en mai 1945, après le suicide d'Hitler, il accueille Dönitz, le dauphin désigné par le Führer. Il vitupère Hermann Rasch, qui arrive à Flensbourg le 6 mai avec une escadre de sous-marins de poche pour continuer le combat. Lüth, qui a survécu a 4 ans de guerre sous-marine, et qui a organisé la garde rapprochée de Dönitz, est tué accidentellement par une sentinelle allemande trop nerveuse dans la nuit du 14 mai 1945, à l'intérieur de l'enceinte de l'école de Mürwik. Son enterrement, deux jours plus tard, reproduit en miniature celui de l'arme sous-marine allemande. Lüth aura son mémorial dans la place en 1957.
Ainsi s'achève la vie d'un commandant de U-Boot assez méconnu, qui a pourtant coulé près de 230 000 tonnes de navires alliés, en 16 patrouilles, aux multiples facettes.
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