Essai non pas sur le contenu de Mein Kampf, mais sur le contexte de sa publication, puis sa réception et sa diffusion jusqu'à aujourd'hui. On traverse donc les époques pour mesurer l'impact du livre d'Hitler.
Mein Kampf, en dehors de l'extrême-droite allemande, n'a pas été pris au sérieux lors de sa publication en 1925. Ce n'est qu'après l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 que de nombreux Allemands l'achètent, avant même que la propagande nazie ne s'en serve pour forger "l'aryen" du futur, en particulier dans les écoles -on le donne aussi en cadeaux aux jeunes mariés.
Paradoxalement, à l'étranger, le livre n'est traduit que dans des versions expurgées, Hitler craignant d'effrayer certaines puissances en raison de son discours expansionniste. Les pays anglo-saxons se prêtent volontiers au jeu. L'Italie achète les droits d'auteur à un prix astronomique en 1933 : s'agit-il alors d'avertir ou de convaincre ? Une question que l'on peut aussi poser pour la France.
Hitler, qui accorde une interview à Ferdinand de Brinon (futur collaborateur) pour Le Matin, en novembre 1933, minimise les déclarations virulentes de son ouvrage concernant la France. Il refuse la traduction proposée par Sorlot, des Nouvelles Editions Latines, proche du mouvement franciste de Bucard, qui écoule tout de même 5 000 exemplaires et en envoie à des parlementaires, à des notables... Hitler porte plainte ; le procès, en 1934, relance l'intérêt pour le livre, que Sorlot, qui ne cache guère ensuite ses sympathies pour Pétain, continue d'écouler clandestinement pendant la guerre. Paradoxalement cela lui servira à la Libération...
En France non plus, le texte n'est pas pris au sérieux, ni par le monde politique, ni par l'armée. Trotski, en exil en France, en dénonce le caractère en 1933, suivi par Cachin de L'Humanité. Mais deux journalistes d'extrême-droite peuvent encore servir une version édulcorée de Mein Kampf en 1938, juste avant les accords de Munich... L'intérêt pour le livre augmente avec la Seconde Guerre mondiale : on trouve de véritables plaidoyers, comme celui de Benoist-Méchin, un autre collaborateur.
Au procès de Nuremberg, le livre est utilisé comme preuve à charge. Reste qu'il est difficile de mesurer combien d'Allemands ont réellement lu le livre, les études manquent encore aujourd'hui. En outre Mein Kampf a aussi circulé sous forme de résumés, brochures d'extraits, etc. L'ouvrage a en tout cas contribué à la banalisation du nazisme, avant la dénégation qui suit la Seconde Guerre mondiale dans la population allemande, et la dénazification très imparfaite de l'Allemagne.
Après la guerre, c'est l'Etat allemand de Bavière qui reçoit la garde du copyright pour l'Allemagne, et doit en interdire la diffusion à l'étranger. En théorie le livre est interdit dans certains pays ; mais la Bavière a dû souvent intervenir dans des pays pour faire annuler des traductions. En Russie Mein Kampf est un objet de culte pour l'extrême-droite. Dans d'autres pays, Mein Kampf est légal, dont la France, contrairement à ce que l'on croit généralement. Sorlot continue de l'éditer après la guerre, à côté de pamphlets négationnistes. En Allemagne, la publication restait interdite jusqu'en décembre 2015 ; seuls les historiens et chercheurs y avaient accès, et la publication d'extraits était réservée à des fins scientifiques. En réalité, les Allemands peuvent trouver Mein Kampf chez des antiquaires, dans des textes publiés avant 1945, dans une bibliothèque universitaire ou sur Internet.
En Asie, en Inde, dans l'Afrique francophone et dans le monde arabe, Mein Kampf est un succès d'édition. Dès les années 1930, le nationalisme arabe et les nazis avaient en effet des ennemis communs. Mein Kampf ne dépasse pas les Protocoles des Sages de Sion (le faux fabriqué par la police secrète russe), mais figure tout de même en bonne place parmi les ventes. L'auteur a parcouru la Turquie et son récit montre que si le livre n'est pas forcément lu, il sert de référence à ses interlocuteurs quand on évoque des sujets comme le conflit israëlo-palestinien.
Ce livre est donc plutôt un travail de journaliste qui fait de l'histoire, utilisant un nombre limité de sources françaises et allemandes, et se référant peut-être un peu trop au témoignage de Rauschning. Il prend aussi position dans le débat sur l'interdiction du livre : d'après lui, elle est inutile, il faut plutôt expliquer, comprendre le contexte de son écriture. Tout en évitant de marteler que l'histoire se répète, et que les événements actuels ont aussi leur propre contexte, sans faire comparaison abusive avec la montée du nazisme.
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