Liwa
Thuwar al-Raqqa, devenue Jaysh Thuwar al-Raqqa, est une
composante des SDF qui illustre sans doute bien la limite de cette
coalition voulue comme multiforme par les Etats-Unis, en particulier.
Groupe arabe rebelle né fin 2012 dans la province de Raqqa, il est
obligé de se rapprocher du front al-Nosra pour contrecarrer l'EIIL
qui cherche à mettre la main sur la ville après sa chute en mars
2013. Si le début du combat armé contre l'EIIL en janvier 2014 lui
permet de reprendre son autonomie, il n'est plus de taille, sans
allié, à résister à l'EIIL et doit se placer sous la protection
des Kurdes de l'YPG, avec lesquels il avait déjà opéré, à
Kobane. Dès lors le groupe, pas assez conséquent pour pouvoir
peser, lie son sort à celui des Kurdes, finit par intégrer les SDF,
non sans hésitation et fortes tensions avec les Kurdes, et reste
assez marginalisé et de peu de poids dans la bataille en cours pour
libérer Raqqa.
Historique
Liwa
Thuwar al-Raqqa (la brigade des révolutionnaires de Raqqa, LTR)
est une formation née le
26 septembre 2012 dans la province de Raqqa. Elle naît juste
après la chute de Tal Abyad, perdue par le régime syrien, qui est
alors chassé des points frontaliers du secteur avec la Turquie. Au
départ, elle se place sous le « label » Armée
Syrienne Libre. Le 25 décembre 2012, elle rejoint 3 autres
formations ou coalitions pour constituer le Front de Libération de
Raqqa. LTR est une coalition de factions rebelles mues par le désir
de renverser le régime syrien, sans projet particulier pour l'avenir
de la Syrie ; l'emblème
initial du groupe, en revanche, a une coloration nettement
islamiste.
4 juillet 2013 : communiqué de LTR lors d'une opération conjointe contre un convoi du régime sortant de la base de la brigade 93, avec al-Nosra, l'EIIL, Ahrar al-Sham. On note le drapeau au fond. |
La
brigade se rapproche du front al-Nosra qui marque sa présence
dans la ville de Raqqa à partir de septembre 2013 pour contrer la
montée en puissance dans la localité de l'EIIL, né en avril. Ce
dernier, confondu sur place avec le front al-Nosra jusqu'en
juillet, prend alors son autonomie et cherche à s'imposer dans la
ville, prise au régime en mars. Abu Saad al-Hadrami et Abu Dajana,
les chefs de la branche locale d'al-Nosra, qui s'étaient ralliés à
l'EIIL en avril, recréent une branche d'al-Nosra avec leurs fidèles,
et se replient à Tabqa, à l'ouest de Raqqa. C'est à ce
moment-là que des groupes liés à l'ASL rallient al-Nosra, non par
proximité idéologique, mais parce qu'Abu Saad était apprécié (il
est d'ailleurs enlevé par l'EIIL en septembre). LTR toutefois joue
sur les deux tableaux, adopte des symboles proches de l'EIIL
(jusqu'au drapeau dans au moins un cas), mène des opérations
conjointes avec ce dernier groupe contre les bases militaires tenues
par le régime dans la province de Raqqa. LTR craint l'EIIL, mais a
aussi des conflits avec Ahrar al-Sham, autre acteur puissant
dans la ville.
Dirigé
par Abou Eisa, LTR se désolidarise du front al-Nosra lorsque les
combats contre l'EIIL éclatent à partir de janvier 2014. Les
rebelles ASL qui étaient venus se placer sous la bannière
d'al-Nosra l'avaient en effet voulu pour combattre l'EIIL à Raqqa ;
or, le front al-Nosra tente de désamorcer le conflit, car l'EIIL
l'accuse notamment de s'allier à des groupes comme LTR qui a
combattu l'EIIL dans le nord de la province, vers Tal Abyad, avec les
Kurdes de l'YPG. L'EIIL accuse donc le front al-Nosra de faire le jeu
du PKK (sic), ce que ce dernier dément formellement en avril 2014.
LTR est à ce moment-là dans une situation difficile.
Le groupe est en pointe du combat dans la ville de Raqqa quand
l'EIIL s'en empare (et exécute Abu Saad), alors que les autres
factions se retirent faute de munitions, comme Ahrar al-Sham.
LTR se réfugie ensuite en dehors de la ville et jusqu'à Kobane, où
il est pris sous l'aile des Kurdes de l'YPG (d'où l'accusation de
l'EIIL). Il
s'était d'abord arrêté à Sireen, dans la province d'Alep, et
avait même accueilli un groupe de défecteurs de l'EIIL ; puis
il avait été défait par la force d'Omar al-Shishani, perdant 40
morts et 60 blessés, ce qui le force à chercher refuge à Kobane.
En
avril 2014, il combat l'EI dans l'est de la province d'Alep,
autour de Manbij. Il
continue d'harceler les positions de l'EIIL à Raqqa. Dans le
secteur de Kobane, il combat avec une autre brigade liée à l'ASL,
Liwa al-Jihad fi Sabill Allah. Le 9 juin, les deux groupes
revendiquent une attaque sur un pont et des checkpoints tenus
par l'EIIL près de Raqqa, et encouragent les rebelles de Deir-es-Zor
à faire face à l'assaut du groupe. LTR aurait échangé 3
prisonniers de l'EIIL contre 13 captifs de ce groupe. En
septembre 2014, LTR fait partie de la nouvelle coalition
Euphrates Volcano créée par les Kurdes de l'YPG avec des
factions arabes sunnites des provinces d'Alep et de Raqqa. LTR avait
déjà fait partie du Jabhat al-Akrad, une coalition pilotée
par l'YPG. LTR participe à la bataille de Kobane et à la poussée
vers l'est après l'échec de l'EI : c'est le principal soutien
de l'YPG avec Kata’ib Shams al-Shamal
(ancienne
composante du groupe
Liwa al-Tawheed), qui
fait partie des brigades de l'Aube de la Liberté recrutant
essentiellement au nord-est de la province d'Alep, autour de Manbij.
Les deux groupes ne réunissent alors que
150 à 250 combattants.
En
octobre 2014, LTR exécute deux prisonniers de l'EI, dont un
adolescent de 15 ans, à l'ouest de Kobane. Abou Eisa, le chef de
LTR, manque
d'être enlevé par des gangsters turcs en cheville avec l'EI à
Sanliurfa, en Turquie (octobre 2014), et n'est sauvé que par
l'intervention des garde-frontières turcs.
9 juin 2014 : communiqué après une attaque contre l'EIIL près de Raqqa. |
Alors
que LTR pousse avec les Kurdes vers Tal Abyad (reprise
en juin 2015),
le groupe met en avant la « repentance » pour
les combattants adverses, à l'image de ce qu'avait fait l'EI, sauf
pour ceux qui ont massacré des Syriens, qui ont vocation à être
tués. LTR change d'emblème et reprend les canons de l'ASL : il
se veut le porte-parole des tribus arabes du nord de la province de
Raqqa et revendique le contrôle de la zone d'Ain Issa au sud de Tal
Abyad. Le problème qui se pose est le différend politique avec les
Kurdes de l'YPG : le projet de LTR vise une Syrie unie, ce qui
est peu compatible avec l'autonomie voulue par les Kurdes. D'autant
plus qu'en réalité, l'YPG mène le gros du combat contre l'EI et
que c'est lui qui contrôle le terrain, par le biais de sa police,
l'Asayish. La nouvelle coalition
des Syrian Democratic Forces, bâtie en octobre 2015, est
articulée autour de l'YPG, les groupes rebelles arabes comme LTR n'y
jouant qu'un rôle secondaire. Devenue Jabhat Thuwar al-Raqqa
(JTR) en novembre 2015 après avoir fusionné avec l'Armée des
Tribus (issue des tribus arabes autour de Tal Abyad), le
groupe hésite quelque peu avant de rejoindre les SDF ;
néanmoins, en octobre 2015, il réceptionne 500 combattants
fraîchement entraînés. Abou Eissa prétend alors que sa formation
dispose de
800 hommes. Cependant
JTR dément avoir reçu l'armement parachuté par les Américains
dès le mois d'octobre, qui est probablement allé à l'YPG. Le
collectif des tribus de Raqqa, lié à JTR, manifeste en décembre
2015 après des affrontements entre sa branche armée, l'Armée des
tribus, et l'YPG, qui témoignent des tensions entre les deux visions
respectives, kurde et arabe.
Abou Eisa est à la tête de LTR (ici en février 2015). |
Mai 2015. |
L'YPG
finit par encercler l'Armée des tribus dans la campagne autour
de Tal Abyad, et JTR n'a d'autre choix que de proclamer sa
dissolution en janvier 2016. En
février 2016, JTR finit par intégrer définitivement les SDF.
Son chef Abou Eisa prétend participer à la libération de Raqqa sur
un pied d'égalité avec l'YPG. Il explique que sa formation a
participé à la capture du barrage de Tishrin, et à l'offensive
dans le sud de la province de Hasakah ayant conduit à la reprise de
Shaddadi (ce
qui est démenti ailleurs), et qu'elle contrôle 25 km² au
nord-ouest de la province de Raqqa. En revanche, ses hommes ne
disposent que d'armes prises à l'EI et manquent d'équipement et de
véhicules. En
juillet, JTR affronte l'EI autour de la ville d'Ain Issa. Le
groupe refuse, en novembre, de prendre part à l'opération
« Colère de l'Euphrate » pour libérer Raqqa, qui
avance au nord de la ville, car il estime que l'opération est menée
de bout en bout par les YPG, sans aucune composante arabe locale. De
fait, JTR reste stationné à Ayn Issa, à 50 km au nord de la
ville.
En
réalité, les combattants de JTR participent à la bataille pour
l'encerclement de Raqqa : on les voit sur la ligne de front aux
côtés de l'YPG en janvier 2017. JTR, qui ne compte que quelques
centaines d'hommes, a besoin de l'YPG tout comme ce dernier a besoin
de sa légitimité en tant que force arabe locale pour entrer dans la
ville de Raqqa.
Cependant, en raison de sa position anti-régime -alors que l'YPG
a toujours conservé des contacts avec le régime syrien-, JTR est
sans doute marginalisé au sein des SDF. Fin
mars pourtant, JTR accuse les Kurdes de l'YPG de mener à eux
seuls la bataille, mais aussi les Américains, qui participeraient de
plus en plus aux combats et auraient pris le contrôle de la base
aérienne de Tabqa.
Propagande
L'évolution
de l'emblème du groupe est intéressante. Au départ, LTR choisit un
emblème sur fond noir, où l'on retrouve dans un bouclier la phrase
« Allah est le plus grand » en haut, suivie de la
shahada (profession de foi musulmane) au centre, et du nom de
la formation en bas. La tonalité est clairement islamiste, proche
d'al-Nosra par les symboles, même, ce qui n'est pas étonnant vu
l'historique de la formation.
Le
deuxième emblème, l'actuel, est bien différent : le bouclier
n'est plus sur fond noir, reprend le nom et l'emblème de l'Armée
Syrienne Libre en haut, et le nom de la formation en bas.
JTR
dispose d'un site en ligne, d'une page Facebook, d'un compte
Twitter, d'une chaîne Youtube.
La
page Facebook, la plus fournie, relaie surtout les événements
des combats pour Raqqa, les exécutions et autres exactions commises
par l'EI, les frappes aériennes sur ses positions. Les raids aériens
du régime syrien, avec barils explosifs, sont qualifiés de
« criminels », contrairement aux frappes de la
coalition sur Raqqa. Parfois la page mentionne la mort d'un
« martyr ». Le 31 janvier par exemple, Kifah
Al-Mustapha Shalash est tué par l'explosion d'un IED qu'il tentait
de désamorcer. Le 13 février, JTR annonce la mort d'un de ses
commandants militaires, Abou Aziz. Le 4 mai, la page montre des
photos des dais que l'EI tend au-dessus des rues de Raqqa pour
entraver l'observation aérienne.
Armement,
matériels, tactiques
Le
groupe ne communique pas beaucoup sur ses opérations militaires, ce
qui confirme ce qui a été dit dans l'historique, à savoir que le
nombre de combattants ne doit pas être très élévé et/ou qu'ils
ne jouent pas un grand rôle dans les opérations contre Raqqa (ou
alors, c'est la branche médiatique qui n'est pas assez développée).
Les rares vidéos Youtube, souvent filmées par téléphone
portable, ne montrent qu'un armement classique, mitrailleuse PK et
fusils d'assaut AK. Des images de juin 2016 montrent un tir avec
lance-roquettes Type 69. En mai 2016, une vidéo montre un camp
d'entraînement dans le secteur d'Aïn Issa. Le 25 février 2017, une
vidéo montre un combattant du régime ayant déserté pour rejoindre
JTR. JTR semble disposer d'un bataillon spécialement dédié aux
tâches du génie (déminage surtout).
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