L'auteur de cet
ouvrage, Frédéric Pichon, est bien connu sur les réseaux sociaux
quand il est question du conflit syrien. Vindicatif, agressif,
surtout quand l'interlocuteur n'est pas de son avis, il n'hésite pas
à déformer les propos de son vis-à-vis pour mieux marteler son
message de soutien au régime Assad et à ses alliés, dont il ne
s'est jamais vraiment caché. J'ai dû le bloquer sur Twitter en
raison d'un de mes tweets détourné par lui, suivi d'une non
moins creuse discussion sur le fil -ce qui est arrivé à d'autres,
au demeurant.
J'avais déjà lu ce livre, reçu en
service presse il y a longtemps, avant de voir F. Pichon "en
action" sur Twitter. Je n'avais pas l'intention de le ficher car
il n'était pas très intéressant, à vrai dire. Mais comme son
auteur se permet d'agresser tout un chacun sur Twitter, après tout,
c'est faire oeuvre utile. Je l'ai relu pour en dresser la fiche. Mon
avis n'a pas vraiment changé quant au contenu.
Le sous-titre donne le ton : il ne
s'agit pas d'un ouvrage scientifique (l'auteur est pourtant
chercheur, a soutenu une thèse sur la Syrie), mais d'un véritable
pamphlet, appuyé par l'exorde du journaliste du Figaro. En résumé
: la France a été en-dessous de tout, parce qu'elle aurait jeté
aux orties le régime Assad, croyant à sa chute prochaine, alors
"qu'il incarne à lui seul tout l'appareil étatique"
(sic). Au lieu de donner des leçons de morale, la France aurait dû
soutenir la Russie (re-sic). Une fois le ton du pamphlet posé, il
n'y a pas grand chose à rajouter, malheureusement.
Dès l'introduction, Frédéric Pichon
commence très fort en minimisant l'incident de Deraa, en mars 2011,
qui lance la contestation en Syrie, avec une seule référence à
l'appui. On attendait peut-être quelque chose d'un peu plus
"musclé". C'est à l'image de l'appareil critique de tout
l'ouvrage, singulièrement faible : 36 notes de bas de page en tout,
dont 10 sans références, et aucune bibliographie, soit en gros 20
références (certaines se répètent dans les notes) pour 130 pages.
Autant dire que c'est très léger, d'autant que les références
citées ne sont pas des meilleures, on le verra. Sur un sujet aussi
débattu que le conflit syrien, on espérait mieux. Frédéric Pichon
minimise également les manifestations en Syrie (certes Alep et Damas
n'ont pas bougé immédiatement, mais il y a eu des manifestations
dès 2011...) et appuie sur l'armement des rebelles syriens pendant
les tous premiers mois, évoquant les soldats du régime tués mais
pas la répression féroce exercée par le régime dès le début ou
presque. Une autre des idées maîtresses de l'auteur, c'est que la
France a écarté "les vieux de la vieille" de la
diplomatie ou de l'action sur le terrain (auxquels il semble
s'identifier) pour favoriser une nouvelle génération de
responsables incapables, commençant dès la p.14 des invectives à
l'encontre de personnes jamais nommées ou presque, mais dont on
devine les noms quand on connaît un peu le sujet. On rejoint
l'attitude que je décrivais en introduction. Finalement, plus que la
faute au régime, c'est la faute à la France, qui a laissé faire
les pays du Golfe -autre mantra de F. Pichon-, le tout mâtiné d'une
posture de "victime" de la bien-pensance et de l'étiquette
de "pro-Assad" qu'on lui aurait collé... La faute aussi
aux politiques, ces incapables dénoncés par F. Pichon.
Le premier chapitre sur la présentation
de la Syrie continue sur cette lancée. Le soulèvement syrien ? Le
fait des régions périphériques, de potentats locaux pressés de se
débarrasser du poids pesant du Baath, de même que le secteur
informel et la mafia locale, comme à Deraa et Homs, épicentres de
la contestation. F. Pichon rappelle d'ailleurs que Deraa était un
nid à djihadistes allant faire leurs armes en Irak sous l'occupation
américaine -bizarrement, il ne dit pas pourquoi le régime laissait
faire à l'époque. La prise de pouvoir par les alaouites ? Une
simple captation par ascension sociale depuis le début du mandat
français. Sauf que ce ne sont pas tous les alaouites qui sont au
sommet, mais bien une asabiyya, terme que l'auteur tord pour coller à
son propos. Mais après tout, Assad arrive au pouvoir en 1970 "sans
effusion de sang" (p.32). Le massacre de Hama (plusieurs
dizaines de milliers de mort probablement, bien qu'on ignore le
nombre précis) ? La faute aux attentats des Frères Musulmans...
finalement, les alaouites ressentent juste un complexe de "citadelle
assiégée" devant la menace sunnite. Et Frédéric Pichon d'en
rajouter sur la non-participation au soulèvement des villes sunnites
(Damas, Alep), engoncées dans leur bourgeoisie, et participant
presque plus que les alaouites à la corruption et à la captation de
l'économie sous l'ère Assad. Le soulèvement de 2011, quant à lui
ne serait dû qu'aux IDE investis par les pays du Golfe dans les
années 2000, notamment dans les mosquées et les madrasas (F.
Balanche, auteur qu'affectionne F. Pichon, dans son Atlas du
Proche-Orient, dit pourtant que les investissements des pays du Golfe
sont somme toute limités avant 2011), et au rôle d'al-Jazeera et du
Qatar qui auraient enflammé les foules à coups de discours
islamistes. D'où l'arrivée de ces "brigades internationales"
de djihadistes (re-re-sic), dont F. Pichon oublie le pendant côté
régime ; mais après tout, les djihadistes s'entretuent à la façon
des staliniens et du POUM en 1937 (p.42), c'est évidemment plus
intéressant que d'expliquer que le régime doit beaucoup à
l'intervention étrangère.
Le chapitre 2 commence avec une
expression que l'auteur répétera souvent au fil des pages :
psittaciste. Action de répéter sans réfléchir. C'est un peu ce
que fait F. Pichon dans son livre, pourtant. D'ailleurs, p.44, arrive
aussi une référence qui va également se répéter dans les trop
rares notes : le C2FR... Il s'agit de montrer que le soulèvement
syrien a été orchestré par des ONG américaines, main clandestine
du gouvernement des Etats-Unis, à l'image des "révolutions de
couleur". L'auteur nous explique aussi qu'à Banyas et
Lattaquié, en mai 2011, les blindés, et un navire de guerre dans le
second cas, ne sont utilisés seulement parce que le régime
rencontre un arsenal impressionnant côté rebelles (pourquoi s'en
servir sinon ? Il est vrai que les états de service du clan Assad
plaident en leur faveur). Argument d'autorité qui n'est appuyé...
sur rien. De même, le traitement médiatique est biaisé, d'après
lui : al-Jazeera connaît la musique, selon l'auteur, qui se fait un
plaisir de décortiquer une séquence de combat probablement montée
(mais sans aucune référence à l'appui), oubliant de nous parler de
la propagande du régime. Et Frédéric Pichon d'en rajouter sur les
premiers attentats suicides, probablement le fait d'al-Nosra, tout
juste créé, et que les rebelles attribuent parfois au régime. Sur
l'attentat du 18 juillet 2012 contre des dignitaires du régime, en
revanche, les choses semblent un peu plus compliquées que ne
l'explique (sans aucune référence encore une fois) l'auteur, et on
ne peut écarter l'hypothèse d'un règlement de comptes à
l'intérieur du régime. La compassion de F. Pichon est bien
sélective : oui, les rebelles ont commis des crimes de guerre, ont
tiré sur des quartiers civils, mais les chiffres parlent
d'eux-mêmes, et l'auteur ne nous en dit rien. Le régime a massacré
la population syrienne sur une échelle qui n'a rien à voir avec les
exactions des rebelles -et même avec celles de l'EI. Les crimes de guerre s'opposent aux crimes contre l'humanité. L'indignation
morale, sélective, de l'auteur n'a donc ici que peu de poids,
d'autant qu'elle ne s'appuie pas sur aucune source (sans même parler
de sources de référence...).
Le chapitre 3 est consacré aux
relations entre la Russie et le régime Assad. On sourit à
l'évocation de ces chars T-74 p.68 (ci-dessous, aucun char soviétique ne porte
ce numéro ; il y a par contre un char japonais, le Type 74, auquel
pensait peut-être F. Pichon...). La Russie ne fait qu'armer la Syrie
de manière défensive (re-re-re-sic) ; après tout les rebelles ont
bien reçu des Stinger par caisses entières dès 2012, comme en
Afghanistan (p.69). Et puis, dès 2012, les premiers djihadistes
arrivent... F. Pichon n'a pas forcément tort : oui, beaucoup de
Libyens et de Tunisiens sont venus se battre en Syrie dès 2012 ;
étaient-ils tous des djihadistes ? Pas certain, ce qui se voit aux
formations qu'ils ont rejoint sur le terrain -alors que le front
al-Nosra s'impose progressivement dans l'insurrection cette année-là,
et que l'EIIL, ancêtre de l'EI, n'existe pas encore. Et F. Pichon de
reprendre les attaques personnelles anonymisées, bien sûr (deux,
p.76, ci-dessous, un nom apparaît p. 79, enfin, J.-P. Filiu) et de nous parler
des pertes du régime, mais pas des autres. Après tout, l'EIIL, la
rébellion, sont financées par l'Arabie Saoudite, avec l'accord de
la France, qui a laissé se créer un "nid à djihadistes"
en Syrie.
C'est que la France a pris le relais
des néoconservateurs américains pour la bêtise, d'après F.
Pichon, braquant tout le monde, jusqu'aux Américains, et faisant fi
d'une diplomatie conçue pour discuter avec nos ennemis. Et l'auteur
de consacrer 10 pages (p.86-96, sur un livre qui n'en compte que 120
de lui, ce n'est pas rien) au Qatar, auquel la France serait pour
ainsi dire asservie. En plus, le vrai "Munich" (p.98) de la
France, c'est d'avoir abandonné les chrétiens de Syrie, dont
l'auteur reconnaît du bout des lèvres qu'ils ont très
majoritairement partisans du régime -et de plus en plus dans
l'action armée. Pas très loin de Maaloula, d'ailleurs, dont F.
Pichon parle beaucoup, il y a la terrible prison de Sednaya, dont on
comprend bien pourquoi il n'en parle pas -Assad y a beaucoup torturé,
exécuté et pendu, comme le confirme un rapport récent d'Amnesty
International. Et F. Pichon de s'affoler pour Kessab, prise par les
rebelles en mars 2014 (F. Balanche, lui, parlait même d'un "deuxième
génocide arménien" orchestré par la Turquie)... le tort de la
France, c'est aussi de ne pas avoir choisi des rebelles "cooptés"
par le régime. On n'en finit plus des "sic".
Les Russes, finalement, sont des
"réalistes" en matière de politique étrangère. Ils ont
été "traumatisés" par l'expérience tchétchène. Dont
acte : la France n'a rien compris. Le clou, c'est sans doute la
pseudo-démonstration sur les attaques chimiques du 21 août 2013 :
non, le régime n'avait rien à y gagner (alors qu'il a lancé une
contre-attaque immédiatement après, et par la négociation, a pu
continuer à loisir ses offensives avec armes conventionnelles,
utilisant même du chlore par la suite, moins repérable que le
sarin). Et F. Pichon, sur cet événement sensible, ne cite aucune
source ou presque : arguments d'autorité, de nouveau. Assad, de
toute façon, est la seule alternative. Quand on sait qu'il a fallu
l'intervention directe de la Russie pour sauver le régime, encore
une fois, en septembre 2015, le propos a de quoi faire sourire.
L'Occident s'est-il trompé ?
Peut-être. En tout cas, Frédéric Pichon, lui, ne trompe personne.
Celui qui prétendait encore en juillet 2016 que jamais les rebelles
syriens n'arriveraient à lever le blocus établi à grand peine par
le régime autour d'Alep -avant d'être démenti pour un temps
quelques jours plus tard- fanfaronne à mesure que le régime syrien,
porté à bout de bras par ses alliés étrangers, s'impose comme un
acteur incontournable du règlement du conflit. A vaincre sans péril,
on triomphe sans gloire, a-t-on coutume de dire. Sans psittacisme
bien sûr.
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