Même en anglais, il n'existe pas énormément d'ouvrages consacrés à l'offensive de Pâques 1972, pendant laquelle les Nord-Viêtnamiens tentent, par une offensive conventionnelle de grande ampleur sur trois fronts, de submerger le Sud-Viêtnam. Ils sont arrêtés par l'armée sud-viêtnamienne, l'ARVN, largement soutenue par l'appui aérien américain. C'est donc une excellente idée des éditions Helion de faire appel à Albert Grandolini, spécialiste du conflit (et en particulier de sa dimension matérielle) pour couvrir cette offensive. Le premier volume évoque l'offensive à travers la zone démilitarisée dans le nord du Sud-Viêtnam ; un deuxième volume couvre quant à lui les combats au nord de Saïgon, sans doute l'épisode le mieux abordé par l'historiographie même en anglais. Reste à traiter de l'offensive via les Hauts-Plateaux finalement peu traitée.
Après une rapide présentation du contexte ayant amené au déclenchement de l'offensive, Albert Grandolini fait un tour d'horizon des forces sud-viêtnamiennes, trop vite développées pour remplir l'objectif de "viêtnamisation" des Américains sur le départ. C'est néanmoins à cette époque que se développent plus largement l'artillerie, les forces blindées et l'aviation de l'ARVN, qui malgré des problèmes organiques deviennent pour certaines d'excellentes armes. Ce qui ne compense pas les faiblesses en termes de commandement (pas assez de cadres formés et expérimentés, manque de coordination interarmes, politisation du corps des officiers), de recrutement, et d'approvisionnement. Les Américains vont essentiellement intervenir via les conseillers militaires présents auprès des unités sud-viêtnamiennes, et par leur appui aérien ; la Corée du-Sud a encore des unités déployées au Sud-Viêtnam au moment du déclenchement de l'offensive.
Un des chapitres les plus intéressants est sans doute celui consacré aux forces communistes, et notamment au développement de leur branche blindée. Le Nord-Viêtnam, après des prémices suite à la guerre d'Indochine sur matériel américain capturé aux Français, reçoit ses premiers T-34/85 en 1959 et crée son premier régiment blindé en 1960. Un autre régiment blindé est créé en 1965, date de naissance également d'un corps blindé dans l'état-major général nord-viêtnamien. Les Nord-Viêtnamiens utilisent leurs blindés au Laos, puis des PT-76 pendant la bataille autour de Khe Sanh en 1968. Si les PT-76 permettent de submerger la base de Lang Vei, ils échouent devant celle de Ben Het un an plus tard, même si des succès avec des blindés ont également été remportés au Laos. Les Soviétiques livrent les premiers T-54 à la fin des années 60. Ce char est majoritaire au moment de l'offensive de Pâques avec sa copie, le Type 59 chinois. Le Nord-Viêtnam reçoit aussi de nombreux véhicules blindés, y compris amphibie, et forme ses tankistes en URSS. Il engage pendant l'offensive 3 régiments blindés, 4 bataillons, 12 compagnies blindées et un groupe antiaérien avec DCA automotrice. L'artillerie est également considérable. Manque au Nord-Viêtnam, en revanche, l'entraînement et l'emploi avec une véritable combinaison des armes, notamment le tandem chars/infanterie portée en véhicules.
Les Nord-Viêtnamiens ont préparé l'offensive grâce à la colonne vertébrale de leur logistique vers le sud, la piste Hô Chi Minh. Par ailleurs les Américains et les Sud-Viêtnamiens se s'attendent pas à une offensive via la zone démilitarisée, croyant plutôt à une percée sur les Hauts-Plateaux vers la mer, pour couper le pays en deux. La surprise est donc totale devant l'offensive mécanisée déclenchée le 30 mars 1972 avec pour objectif de s'emparer de Quang Tri, capitale de la province du même nom. On assiste à l'une des rares redditions de masse au sein de l'ARVN au camp Carroll, au nord-ouest de Quang Tri, où 1 800 soldats sud-viêtnamiens se rendent après la défection de leur commandant, le lieutenant-colonel Dinh. Surpris par leur propre succès, les Nord-Viêtnamiens doivent faire une pause opérationnelle : cependant ils encerclent et prennent Quang Tri le 2 mai 1972, après des contre-attaques coûteuses et mal organisées de l'ARVN, dont les chars M48 Patton ont néanmoins brillé dans les combats de chars. La ville de Hué est désormais menacée. Le président Thieu limoge le chef sud-viêtnamien, le général Giai, le remplace par le général Ngo Quang Truong, expédie la 1ère division aéroportée d'élite pour renforcer les Marines éprouvés, ainsi que des Rangers. Les Américains fournissent l'appui de leur aviation et de leur marine, destroyers et croiseurs déversant des milliers d'obus sur les Nord-Viêtnamiens depuis la côte. Dès le mois de juin, l'ARVN contre-attaque et arrive dans les faubourgs de Quang Tri en juillet. Les parachutistes puis les Marines se succèdent pour mener les combats de rues, et la ville est reprise au Nord-Viêtnam le 20 septembre. L'ARVN toutefois ne peut reprendre, avant les accords de Paris de janvier 1973, le territoire perdu jusqu'à la zone démilitarisée.
Abondamment illustré de photos inédites, de 6 précieuses cartes et de profils couleurs au centre, pour bonne partie basé sur des sources viêtnamiennes (cf bibliographie à la fin du volume), ce petit livre malheureusement trop court mérite de figurer dans la bibliothèque de tout passionné du conflit. Ne serait-ce que parce qu'il offre de raconter la campagne du point de vue viêtnamien (nord et sud), et non américain comme c'est souvent le cas dans l'historiographie de l'offensive de Pâques.
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