" Historicoblog (4): Fatiha DAZI-HENI, L'Arabie Saoudite en 100 questions, En 100 questions, Paris, Tallandier, 2017, 365 p.

vendredi 8 décembre 2017

Fatiha DAZI-HENI, L'Arabie Saoudite en 100 questions, En 100 questions, Paris, Tallandier, 2017, 365 p.

Encore un bon volume de cette collection "En 100 questions" des éditions Tallandier. Comme celui sur la Turquie ou celui sur l'Iran, l'exemplaire consacré à l'Arabie Saoudite retient l'attention. Fatiha Dazi-Héni, docteur en sciences politiques, spécialiste de la péninsule arabique, connaît bien son sujet, cela se sent.

Le livre est fort utile, car comme elle le souligne en introduction, l'Arabie Saoudite est un pays méconnu, objet de nombreux préjugés et caricatures dans le monde occidental. Pays qui porte le nom de la famille régnante, lié au pacte de 1932 entre la famille al-Saoud et la prédication wahhabite, pouvoir religieux de facto légitimiste. Fatiha Dazi-Héni, qui se rend sur place chaque année depuis 1998, explique combien l'influence de la doctrine hanbalo-wahhabite est limitée par la diversité des régions et des pratiques religieuses dans le pays. La religion d'Etat, de fait, demeure marginale. L'Arabie Saoudite tente aujourd'hui de sortir de la rente pétrolière, d'ouvrir son économie, et se montre plus interventionniste (engagement au Yémen) en raison du retrait américain et de l'affrontement avec l'Iran. La famille al Saoud verrouille au départ le pays, sans créer d'identité nationale : cette situation est fragilisée par la prise d'otages de La Mecque en 1979, la chute des cours du pétrole en 1982 et l'explosion démographique. La guerre du Golfe et les attentats du 11 septembre précipitent la redéfinition du pays. Le pacte "saudo-wahhabite" est de moins en moins pertinent, et le pays doit transformer son pacte économique et social. L'arrivée du roi Salman sur le trône en janvier 2015 illustre ces changements, avec un tournant vers la méritocratie, en dépit d'une gestion plus collégiale que personnelle du pouvoir, entravée par la question lancinante de la succession, jamais réglée de manière institutionnelle. L'Arabie Saoudite est déstabilisée, sur le plan régional, par le retrait américain, qui a profité à l'Iran, ce qui complique la stratégie des Etats-Unis.

Les 100 questions sont divisées en 9 thèmes de taille inégale (le plus fourni étant Identité et société). Le thème Histoire montre que la construction de l'Etat saoudien a pris du temps, et résulte du pacte entre le clan Saoud et le prédicateur Muhammad ibn Abd al-Wahhab : le premier reconnaît la doctrine wahhabite comme le "vrai" islam, le second la légitimité politique de la famille Saoud. Sans les Ikhwan, cette dernière n'aurait pu conquérir le territoire qui constitue aujourd'hui le pays, notamment parce que le wahhabisme assure une légitimité dans des régions comme le Hijaz hostiles au pouvoir saoudien. L'Etat se développe ensuite avec l'appui des Britanniques, puis des Américains, la firme pétrolière 
Aramco agissant comme un véritable sous-traitant de l'Etat.

Si la religion est au coeur de la construction de l'Etat, elle est aujourd'hui de plus en plus contestée. Les wahhabites occupent les institutions religieuses centrales, mais cela est seulement officialisé dans la décennie 1940. Ils sont souvent en opposition avec le pouvoir. La police religieuse est de moins en moins acceptée par la jeunesse. L'Arabie Saoudite comporte une forte minorité chiite, dénigrée par les wahhabites, mais qui n'est pas persécutée par la famille régnante même si elle reste marginalisée. La légitimité des Saoud et des wahhabites est remise en cause à partir de la prise d'otages de La Mecque en 1979, avec l'intervention américaine pendant la guerre du Golfe puis l'invasion de l'Irak en 2003, qui contribue à replacer les chiites irakiens aux commandes du pays. Le royaume exporte le hanbalo-wahhabisme dans le monde via des ONG ou des organisations islamiques internationales : mais ce n'est pas l'Etat qui le fait, ce sont des individus, et la doctrine wahhabite est supplantée par le salafisme politique et la version djihadiste.

Sur le plan politique, l'Arabie Saoudite est gouvernée par une famille, même si la question de la succession est un grave problème car non formalisée légalement. Le roi Fahd promulgue la loi fondamentale en 1992, qui renforce les pouvoirs du souverain et acte de la soumission de l'autorité religieuse à celui-ci. Le roi Salman, à son arrivée au pouvoir en janvier 2015, met fin au principe qui voulaient que tous les descendants Saoud soient associés au gouvernement et dirige avec un triumvirat, comprenant son neveu Mohamed Bin Nayef, architecte de la lutte anti-terroriste, et son fils Mohamed Bin Salman, novice en politique.

L'Arabie Saoudite se construit par redistribution de la rente pétrolière auprès des populations : les régions sont donc très dépendantes du pouvoir, l'Etat fournissant 70% des emplois. Le pays comprend 20 millions d'habitants et 10 millions d'étrangers qui constituent l'essentiel des actifs. L'Arabie Saoudite est urbanisée à 75% mais la richesse ne profite qu'à une minorité. Le secteur privé est freiné par les habitudes des Saoudiens, habitués à être employés par l'Etat, qui fournit tout. L'Etat met en avant le patrimoine culturel et archéologique, ce qui fragilise encore le pouvoir religieux et répond à une demande sociale. Très répressif à l'égard des médias, l'Arabie Saoudite est pourtant parmi les pays les plus dynamiques sur les réseaux sociaux, qui permettent par exemple de contourner la barrière hommes-femmes instaurée par les wahhabites, critiquée par la jeunesse. Le pays reste par contre en tête dans l'application de la peine de mort, derrière l'Iran.

Les revenus du pays sont constitués à 90% par le pétrole, contrôlé par Aramco, nationalisée en 1980, dont les opérations sont opaques, et qui pourtant est en décalage avec les pratiques du pays car suivant le management américain. L'Arabie Saoudite est donc très dépendante des fluctuations des cours du pétrole. Une partie de la rente, non communiquée, va à la famille régnante, le reste est redistribué. Mais ce pacte pétrolier ne fonctionne plus. Le souverain mène désormais une politique d'austérité tout en essayant de diversifier l'économie, avec le plan "Vision 2030" de Mohamed Bin Salman. Ce qui heurte de front les élites installées, car cette politique amène aussi des changements sociaux qui ne satisfont pas forcément le pouvoir religieux. L'Arabie Saoudite, comme le Conseil de Coopération du Golfe qu'elle chapeaute, est désormais tournée économiquement vers l'Asie, qui domine les échanges.

Sur le plan international, l'Arabie Saoudite s'affronte à l'Iran pour le leadership régional, reste dépendante du soutien américain et continue d'exporter son modèle religieux -avec les nuances que l'on a indiquées ci-dessus. Mais le pays peine à devenir un leader régional ; si l'Arabie domine le Conseil de Coopération du Golfe, qui a réagi de manière offensive aux printemps arabes pour maintenir le statu-quo, elle est considérée avec méfiance par ses 5 partenaires en raison de son rôle dominant. L'affrontement avec l'Iran dépasse la querelle sur le leadership régional : l'Arabie Saoudite craint pour sa survie économique, l'Iran étant plus attirant, et pour ses alliances internationales. D'où l'affrontement indirect au Yémen, au Liban, en Syrie et la surenchère rhétorique. Le pays cherche de nouvelles alliances, avec la Turquie, l'Egypte, la Jordanie, et s'est même rapproché d'Israël. C'est pourquoi aussi l'Arabie Saoudite tente de faire revenir les Etats-Unis dans la région, malgré l'élection de Donald Trump ; il est vrai que les Américains sont obligés de maintenir une présence dans le Golfe, ne serait-ce qu'en raison des énormes contrats d'armements obtenus avec les monarchies.

La France est partenaire de l'Arabie Saoudite, économiquement, notamment dans le domaine de l'armement, depuis la décennie 1980. Mais la méconnaissance des sociétés est réciproque. Autant l'Iran bénéficie d'un préjugé favorable en France, en raison de son histoire, de sa culture, autant l'Arabie Saoudite est mal vue, et les développements récents du pays restent méconnus. La France est davantage engagée aux Emirats Arabes Unis depuis la décennie 2000. Le pays tente de désamorcer la querelle régionale entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Le hanbalo-wahhabisme est arrivé en France par la Ligue islamique mondiale, relais du soft power saoudien, mais les relais utilisés échappent maintenant largement aux canaux officiels, et se sont autonomisés. Pour autant l'argent saoudien, qui finance des tendances parfois aux antipodes du courant religieux du royaume, a contribué à revivifier le salafisme français, qui penche vers le communautarisme et en tout cas se pose en rupture avec la société française. Il est vrai aussi que le salafisme politique est souvent un précédent, comme le salafisme quiétiste, vers le djihadisme.

Cette lecture permet donc de se défaire d'un certain nombre d'idées reçues sur le royaume saoudien, en transition, et qui est sur la défensive actuellement. A conseiller à toute personne qui souhaite en savoir plus sur l'Arabie Saoudite.

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