Ce Que-Sais-Je consacré au djihadisme aborde un phénomène complexe, de longue durée, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il est difficile à résumer. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles le volume n'y arrive pas vraiment.
L'avant-propos se consacre ainsi à l'EI/Daech, en voulant expliquer ce dernier terme, mais ne jette pas les bases d'une vraie problématique. Dans l'introduction, l'auteur tient encore de l'idée selon laquelle l'Arabie Saoudite exporte son modèle religieux dans le reste du monde, ce qui évacue une réalité plus nuancée, comme le rappelle le récent ouvrage sur le pays de Tallandier dans la collection "en 100 questions", particulièrement intéressant. L'introduction, elle aussi, ne définit pas vraiment le terme de djihadisme ni ne pose les bases du plan de l'ouvrage.
Asiem El Difraoui fait naître le djihadisme à l'invasion de l'Afghanistan en 1979, point de départ qui peut se contester : lui-même évoque d'ailleurs Sayyid Qutb, qui précède ce conflit, en introduction. De la même façon, certaines affirmations peuvent être remises en cause : la "responsabilité" de l'Occident dans la naissance du djihadisme via le conflit afghan, les missiles Stinger qui "anéantissent" la suprématie aérienne soviétique... l'auteur fait le choix de ne pas parler de certains théâtres du djihad, comme la Tchétchénie, ce qui est dommage. En outre il ne cite pas en notes de bas de page des ouvrages qu'il utilise pourtant et qui apparaissent en bibliographie, comme la biographie de Brynjar sur Abou Moussab al-Souri, dans le passage correspondant au personnage -alors qu'il le fait très bien à d'autres endroits. D'ailleurs la présence de ce dernier en Irak au moment de l'invasion américaine en 2003 et dans les années suivantes est disputée.
La présentation du conflit syrien dans le chapitre 2, forcément courte, n'est néanmoins pas satisfaisante, notamment quant à la naissance du front al-Nosra et sa relation avec l'EIIL. De la même façon, l'auteur accorde sans doute trop d'importance au poids des officiers baathistes dans l'appareil de commandement de l'EI ; l'idée selon laquelle l'EI ne serait qu'un paravent pour les anciens cadres baathistes irakiens a été battue en brèche par plusieurs articles spécialisés -les documents saisis près du cadavre d'Haji Bakr en 2014 fonctionnant un peu comme prisme déformant, dans ce cas. Asiem El Difraoui se trompe malheureusement de nom quand il parle du discours du calife autoproclamé, Abou Bakr al-Baghdadi, l'appelant Omar al-Baghdadi (p.68), soit le nom de son prédécesseur tué en 2010. De la même façon, on peut s'interroger lorsque l'auteur accrédite la thèse selon laquelle l'Arabie Saoudite et le Qatar (en tant qu'Etats) ont financé l'EIIL, ce qui laisse perplexe, d'autant qu'aucune source solide ne vient appuyer ces dires.
Le chapitre 3 sur la propagande est nettement meilleur, et pour cause, puisque c'est la spécialité réelle de l'auteur. Le chapitre 4, en revanche, sur la déradicalisation, peine à convaincre. L'auteur mentionne l'entreprise de Dounia Bouzar, dont on sait que les résultats ont été très critiqués, ou l'association créée par le psychiatre Patrick Amoyel, mis en examen pour viol au début de cette année. Le chapitre apparaît presque comme le relais d'un discours officiel de l'époque (au moment de la sortie du livre, dans les derniers mois de 2016), alors que les retours du terrain montrent progressivement l'échec de l'entreprise de "déradicalisation", terme d'ailleurs abandonné depuis.
La conclusion tente de balayer les débats historiographiques mais n'y arrive pas complètement, parce qu'elle reste centrée sur le prisme franco-français du trio Roy-Keppel-Burgat, l'auteur prenant nettement parti pour le deuxième. D'autres questions ne sont pas abordées. L'explication sectaire du djihadisme n'épuise pas vraiment le sujet.
Au final, le Que-Sais-Je, plus centré sur l'EI et répondant probablement à une demande faisant suite aux attentats de 2015-2016 en France, ne remplit pas son objectif : il ne constitue pas une introduction utile sur le djihadisme. Même sur l'EI, il reste insuffisant.
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