Livre particulièrement intéressant. L'auteur a la particularité d'employer de nombreuses sources viêtnamiennes, communistes, pour expliquer la guerre conventionnelle menée par les formations du Viêtcong et les unités nord-viêtnamiennes au Sud-Viêtnam en 1965-1966, au début de l'intervention américaine. Et il les confronte aux sources américaines, quasi systématiquement utilisées par le reste de l'historiographie.
Comme le rappelle Glantz dans sa préface, on a trop tendance à croire que les Etats-Unis ont été défaits par leur incapacité à s'adapter à la guérilla mise en oeuvre par leurs adversaires. Mais en réalité, la guerre du Viêtnam a toujours été composite, hybride, avec une dimension conventionnelle : les affrontements de 1965-1966 en sont une illustration.
Dans la première partie, Warren Wilkins revient sur le Viêtcong. Hanoï décide de relancer l'insurrection au sud à partir de 1959, date de naissance de l'organisation logistique qui va orchestrer la piste Hô Chi Minh. Des sudistes exilés au nord après 1954 sont envoyés en premier pour réorganiser ce qui devient le Viêtcong, chapeauté par le général Tran Van Tra. Le Viêtcong est organisé selon le triptyque forces principales, forces locales et guérilla. Les premières sont bien armées et équipées, disposent d'un uniforme et n'ont rien à envier à des unités d'une armée conventionnelle. Le Nord-Viêtnam ne commence à envoyer des régiments entiers au Sud qu'à la fin de 1964. A l'offensive, le Viêtcong opère par des raids d'infanterie, des raids de sapeurs, des embuscades et du harcèlement à l'aide de roquettes et de mortiers. Il est très organisé en défense. Face aux Américains, il va appliquer la tactique dite "Attrapez leurs ceintures pour les combattre", qui donne le titre du livre : coller au plus près des Américains pour les priver de leur atout principal, l'appui-feu massif. Le général Chi Tanh, à qui on l'attribue généralement, n'a fait que populariser un concept préexistant. Le Viêtcong fait un usage surabondant des mines et pièges explosifs -beaucoup plus que des pièges moins sophistiqués, non explosifs, popularisés par le cinéma.
L'intervention au sud a divisé la direction politique du Nord-Viêtnam. Si le principe d'offensive générale et d'insurrection générale est adopté dès 1963, les frictions demeurent sur l'idée de conduire une guerre quasi conventionnelle, avec de grandes unités, pour balayer l'armée sud-viêtnamienne. Le mouvement s'accélère avec l'engagement américain qui se dessine en creux à partir de la seconde moitié de 1964. Le Nord accélère la création de grandes unités du Viêtcong, ce qui par contrecoup, en raison des défaites subies par l'ARVN, accélère l'engagement américain. Les Marines, en août 1965, affrontent le 1er régiment Viêtcong pendant l'opération Starlite. En partie pris par surprise, le Viêtcong se montre pourtant particulièrement, malgré sa défaite finale, et tire les leçons sur la capacité de projection des forces américaines, combinant ici débarquement amphibie et assaut héliporté. Hanoï crée, en septembre 1965, la 3ème division nord-viêtnamienne (dite "étoile jaune"), qui comprend le 2ème régiment Viêtcong, puis la 2ème division en octobre, enfin la 1ère en décembre, avec 3 régiments nord-viêtnamiens vétérans des campagnes de Plei Me et Ia Drang contre la 1st Cavalry. La 101st Airborne affronte le 2ème régiment en septembre 1965 ; à Ia Drang, à côté des régiments nord-viêtnamiens, il y a aussi le bataillon H-15 des forces locales du Viêtcong. Sur le front B2, au nord de Saïgon, est créé en septembre 1965 la 9ème division Viêtcong à 3 régiments, qui est de recrutement mixte (son chef vient du Nord), comme la plupart des unités viêtcong, et la 5ème division viêtcong formée peu après. La 9ème division Viêtcong se frotte à la 173rd Airborne Brigade, puis à la 1st Infantry Division, notamment à Ap Pau Bang en novembre 1965. Bien que la victoire soit clairement du côté américain, les dirigeants communistes en retirent l'idée que la tactique "Attrapez leurs ceintures" est quand même la bonne. Pour la suite de la campagne de grandes unités, au printemps 1966, le Nord-Viêtnam accélère l'envoi de forces au sud, avec en particulier des unités d'artillerie. La stratégie du nord relativise ainsi les erreurs supposées de Westmoreland, le commandant en chef américain au Viêtnam, qui pour consolider le déploiement de ses troupes devait défaire les grandes formations viêtcong et mener une guerre plutôt conventionnelle.
Les premiers engagements, au nord de Saïgon, puis sur la bande côtière au centre-nord du Sud-Viêtnam dans la région militaire 5 des communistes, ne sont guère encourageants. Les pertes sont lourdes, pour des résultats moindres, même si depuis le départ, le Viêtcong soutient le pilonnage massif de l'appui-feu américain, parfois décisif, mais qui en certaines circonstances montre aussi ses limites, ne pouvant déloger le Viêtcong de ses positions. Face aux Marines, dans le nord, si les unités viêtcong et nord-viêtnamiennes ne sont pas détruites, elles subissent de lourdes pertes. La 9ème division viêtcong s'épuise, au nord de Saïgon, face aux unités américaines. La 5ème division, engagée à cette époque, ne réussit guère mieux.
Un débat intense règne au Nord sur la stratégie des grandes unités, mais elle continue durant l'été 1966, avec le même échec dans la province de Binh Long, au nord de Saïgon. Ce n'est qu'après que des propositions se font jour d'un retour à la guérilla, avec les pertes subies par les grandes unités dans la seconde moitié de 1966. Inquiets sur l'issue de la guerre, les dirigeants du nord optent pour une relance de l'insurrection générale-offensive générale, pour empêcher les Etats-Unis de sortir vainqueurs. Le plan est remodelé par le général Van Tien Dung, chef d'état-major de l'armée nord-viêtnamienne, appuyé par Le Duan et le général Chi Tanh. Il s'agit d'une combinaison militaire et politique pour faire s'écrouler le régime sud-viêtnamien. Les unités américaines seront attirées par des diversions sur les front nord (Khe Sanh) et centre (Haux-Plateaux). Le choix de cette stratégie, qui mène à l'offensive du Têt, découle de l'échec de la stratégie des grandes unités : elles n'ont pas pu défaire les forces américaines assez vite, les dirigeants communistes ayant surestimé la puissance d'une infanterie légère certes remarquables mais relativement démunie face à la combinaison des armes mise en oeuvre par les Américains et qui provoquent de lourdes pertes. L'incapacité de remporter une guerre de type conventionnelle conduit donc au Têt.
De fait, les communistes eux-mêmes reprochent aux Américains de trop s'appuyer sur leur appui-feu et de ne pas mener un véritable combat d'infanterie. Mais les Viêtcongs et Nord-Viêtnamiens ont été sujets aux baisses de moral, à la désertion, et n'engagent le combat rapproché, majoritairement, que lorsque leur situation tactique leur est favorable. De plus, organiquement, les unités nord-viêtnamiennes ont un appui-feu plus fourni que les Américains, qui redoutent les nombreux RPG mis en oeuvre par leurs adversaires. Si la tactique américaine, pour économiser le sang, préconise de fixer l'adversaire pour l'écraser sous l'appui-feu, certaines unités ont aussi pratiqué la manoeuvre d'infanterie pour détruire l'ennemi en combat rapproché. Parfois, les tués adverses le sont plus par les armes de poing que par l'appui-feu ; inversement, les Nord-Viêtnamiens n'ont jamais hésité à utiliser un appui-feu massif quand il était disponible, comme on le voit le long de la zone démilitarisée en 1967 face aux Marines, à Con Thien. Les alliés américains au Viêtnam, comme les Australiens ou les Néo-Zélandais, sans parler des Sud-Coréens, se reposaient aussi largement sur l'appui-feu. Finalement, soit les communistes n'ont jamais trouvé de réponse à la combinaison des armes américaines, soit le soldat américain s'est montré meilleur en combat rapproché qu'on ne l'a souvent dit : les deux facteurs réunis expliquent pour bonne partie les terribles pertes du Viêtcong, et des Nord-Viêtnamiens.
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