Livre écrit par la journaliste Wendell Steavenson, qui a notamment travaillé pour le Time. Le titre est tiré du verset 47 de la sourate Al-Anbiya (Les prophètes) : "Au Jour de la Résurrection, Nous placerons les balances exactes. Nulle
âme ne sera lésée en rien, fût-ce du poids d’un grain de moutarde que
Nous ferons venir. Nous suffisons largement pour dresser les comptes."
La journaliste retrace le parcours d'un général de Saddam Hussein, Kamel Sachet Aziz al-Janabi, afin d'illustrer le régime totalitaire et la corruption morale provoquée par le dictateur irakien. Ayant parcouru l'Irak en 2003-2004, elle a ensuite interrogé de nombreux exilés irakiens dans les pays voisins, et à Londres, et a réussi à pénétrer l'histoire de certains membres importants du Baath. C'est par l'entremise d'un docteur haut placé dans le corps médical militaire, ayant servi dans quatre guerres irakiennes, qu'elle entre en contact avec la famille de Kamel Sachet, général des forces spéciales et commandant des forces irakiennes au Koweït pendant la guerre du Golfe. Accusé de trahison, il est exécuté sur ordre de Saddam Hussein en 1998. Né en 1947 dans une famille pauvre, Sachet a d'abord servi dans la police, puis rejoint l'armée en 1975. Il entre dans les forces spéciales, où il atteint le rang de major. Il se distingue pendant la guerre Iran-Irak mais subit aussi le courroux du dictateur, connaît la torture et la prison. Il conduit l'assaut sur le Koweït, mais après la retraite et l'écrasement par les Américains, il perd ses illusions et se retire comme un pieux musulman -il était de plus en plus attiré par la religion dès la décennie 1980- jusqu'à son exécution. Il a été gouverneur de la province de Maysan et a de fait dirigé une commune salafiste.
Bien qu'elle ne l'ait jamais rencontré, la journaliste tisse le portrait d'un homme qui a obéi à l'une des dictatures les plus sanglantes de la région. Ce qui l'intéresse, c'est la question de l'obéissance aux ordres, comme un "homme ordinaire" peut se mettre au service d'une telle cause : elle cite Arendt, Levi et Milgram, on pense aussi bien sûr au travail de C. Browning.
Comme le souligne Kyle W. Orton, le parcours de Sachet est intéressant car il nous montre le revirement du régime de Saddam Hussein. Sachet est jeté en prison en 1983 et il y entame sa conversion au salafisme. L'importance de la guerre Iran-Irak et d'un pays en guerre pendant quasiment 25 ans d'affilée ne doivent pas être négligés. En 1992, quand il est nommé gouverneur de Maysan, Sachet bâtit ici une communauté salafiste, anticipant le lancement officiel de la "campagne de la Foi" par Saddam Hussein l'année suivante. Mais il se met à dos les baathistes proches de Saddam, qui le font démettre de son poste de gouverneur en 1994, ce qui ne l'empêche pas d'approfondir sa conviction religieuse. La police secrète surveille sa famille, sa maison est truffée de micros : finalement, selon une pratique courante de la dictature irakienne, véritable prison intérieure, sa fille de 14 ans est violée. Sachet est exécuté pendant les raids aériens de l'opération Desert Fox en décembre 1998, sans que l'on en connaissance encore aujourd'hui le motif précis. Mais Saddam n'a pas réagi contre le salafisme, mais contre une menace supposée à l'égard de son pouvoir. Une des mosquées que Sachet avait bâtie devient un pôle de l'insurrection djihadiste après 2003 et ses fils entrent dans des formations djihadistes.
Bien qu'écrit dans un style journalistique et non universitaire, et bâti sur des témoignages recueillis et pas forcément recoupés, l'ouvrage est donc utile à quiconque s'intéresse à l'histoire contemporaine de l'Irak, pour éclairer l'actualité.
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