Quand
on évoque Fawj al-Maghawir al-Bahar (littéralement le
Régiment des Commandos-Marins), on mesure combien la Russie joue un
rôle essentiel dans le reformatage des forces du régime syrien.
Issu d'une autre milice syrienne, Suqur al-Sahara, parfois
assez rétive à l'autorité de Bachar al-Assad, ce régiment a été
mis sur pied par le renseignement militaire, un des organes des
mukhabarat, et il est largement encadré par les forces
russes. Son intégration dans le fameux 5ème corps d'armée mis sur
pied par Moscou fait débat, toujours est-il que l'on ne peut que
constater la volonté russe de créer des éléments plus solides
côté syrien et qui soient aussi plus fidèles -autant sinon plus à
Moscou qu'à Damas. La pénurie d'effectifs du régime ne laisse en
effet d'autre choix que d'utiliser au mieux le vivier de miliciens
disponibles, en les réincorporant dans un cadre plus régulier.
Historique
Fawj
al-Maghawir al-Bahar (Régiment des Commandos-Marins) est une
unité du régime syrien issue pour partie d'une milice, Suqur
al-Sahara (Les Faucons du Désert), dirigée par Muhammad
Jaber, et dont le chef est
Aymenn Jaber, le frère du précédent. Aymenn
Jaber est un magnat du pétrole, un gros investisseur dans le
holding Cham Capital et partenaire d'Addounia TV, un
média pro-régime. Cette unité a été créée et entraînée par
Mohsen Saïd Hussein, originaire du village d'al-Sisiniya dans la
province de Tartous, et tué dans les combats autour du champ gazier
d'al-Shaer en novembre 2014 contre l'EI. Il avait joué un rôle
important dans le blocage de l'offensive rebelle au nord de la
province de Lattaquié au printemps 2014, et dans les combats des
Faucons du Désert dans l'Est syrien -ce qui lui avait valu le surnom
de « Lion du Désert ». Selon
des sources russes, le Régiment des Commandos-Marins syriens
aurait été bâti grâce aux conseillers militaires russes, puis
intégré dans la Garde républicaine. C'est
ce que prétend également le site pro-russe, et pro-régime
syrien, South Front, qui place le régiment sous l'autorité
de la 103ème brigade de la Garde Républicane. Pour
Tom Cooper, l'unité est encadrée par la branche du
renseignement militaire des mukhabarat, ce qui correspond
peut-être à Mohsen Saïd Hussein, qui
fait effectivement partie de ce service.
Le Régiment des Commandos-Marins,
comme Suqur al-Sahara, serait composés à la fois d'anciens
soldats de l'armée syrienne mais aussi de réservistes de l'ancienne
petite infanterie navale d'avant la révolution de 2011. L'unité est
engagée au combat dans l'offensive au nord de la province de
Lattaquié, largement pilotée par la Russie, mais où sont
impliquées de nombreuses milices du régime syriennes ou étrangères,
dès le mois de janvier 2016.
Les
frères Jaber, Aymenn, chef du Régiment de Commandos-Marins à
gauche, et Muhammad, patron de Suqur al-Sahara à droite.
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Le
Régiment des Commandos-Marins serait arrivé dans le secteur de
Palmyre une dizaine de jours avant la première reprise de la ville
par le régime, en mars 2016, avec Suqur al-Sahara.
Almasdarnews,
site pro-régime bien connu, prétend qu'ils auraient été victimes
d'un tir fratricide russe, tuant 17 soldats dont un officier, Ali
Rahmoun, et en blessant 26 autres. Le
21 mars, l'unité aurait été frappée par un véhicule kamikaze
de l'EI. Dès
les derniers jours de mars, après la reprise de Palmyre, le
Régiment des Commandos-Marins est ramené dans la province de
Lattaquié pour combattre dans la montagne Turkmène et la montagne
Kurde (Jabal al-Akrad). Début
juin, on les retrouve pourtant engagés, aux côtés de Suqur
al-Sahara et d'autres milices, dans l'offensive en direction de
Raqqa sur la route Ithriya-Tabqa, qui va s'achever en désastre pour
le régime avec une brutale contre-offensive de l'EI.
2017. |
En
juillet 2016, le Régiment des Commandos-Marins reprend le
village de Saraf, au nord de la province de Lattaquié, que les
djihadistes et rebelles avaient reconquis fin juin. Début
septembre 2016, le site South Front annonce qu'un millier
de membres du Régiment des Commandos-Marins ont achevé leur
formation et ont peut-être rejoint le front au nord de la province
de Lattaquié (sans confirmation définitive). Fin
novembre 2016, ils sont redéployés de la province de Lattaquié
vers Alep, pour l'offensive finale du régime qui va conduire à la
chute de la ville.
Certains
spécialistes pensent que le Régiment des Commandos-Marins a été
rattaché au 5ème corps de l'armée syrienne, créé par la Russie
après le désastre de Palmyre en décembre 2016, équipé de
matériel russe et engagé au combat dès janvier 2017 autour de la
base T4. En février, selon Almasdarsnews,
900 personnels du Régiment des Commandos-Marins rejoignent, sur
autorisiation du ministère de la Défense, Quwat Dir’ al-Amn
al-Askari, une milice tenue par le renseignement militaire,
plutôt que d'intégrer l'armée. Cela ne saurait surprendre si le
renseignement militaire est également à l'origine du Régiment des
Commandos-Marins... En
mars 2017, des membres de l'unité accompagnent, semble-t-il, les
forces russes qui s'interposent entre l'armée turque et ses alliés
rebelles syriens, et les SDF, à l'ouest de Manbij. Le Régiment des
Commandos-Marins opère aussi contre les rebelles dans le nord de la
province de Lattaquié. En
avril 2017, le Régiment de Commandos-Marins est vu avec des
chars T-62M et de véhicules blindés BMP-1 qui ont été livrés par
la Russie au nouveau 5ème corps -difficile d'être définitif sur
l'inclusion du régiment dans cette nouvelle formation. Ils
alignent aussi des canons automoteurs 2S1 Gvozdika de 122
mm. En
mai 2017, le Régiment des Commandos-Marins mène un exercice
conjoint dans le port de Tartous avec les fusiliers marins russes.
Fin
juin-début juillet 2017, le Régiment des Commandos-Marins est
impliqué, avec Suqur al-Sahara, dans l'offensive du régime
contre les positions de l'EI dans l'est de la province de Hama. Le
23 juillet 2017, la page Facebook de Suqur al-Sahara,
qui a des liens étroits avec le Régiment des Commandos-Marins, est
fermée, de même que d'autres affiliées à la milice. On prétend
que Muhammad Jaber, le chef de la milice, serait en fuite en Russie.
La page du Régiment des Commandos-Marins dément ces informations.
En septembre, des conseillers militaires russes visitent les
installations de l'unité à Masyaf (province de Hama).
Lors d'une session
d'entrainement, un commando marin syrien s'exerce au tir avec un
lance-grenades automatique AGS-17 (Facebook, 2017).
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Le
4 octobre 2017, des éléments du Régiment des Commandos-Marins
(10ème compagnie) stationnent sur la base T4 à l'ouest de Palmyre.
Le
7 octobre 2017, un convoi quitte la province de Lattaquié pour
l'est de la province de Homs, afin de dégager la route
Palmyre-Suknah attaquée par l'EI. Dès le lendemain, on peut les
voir autour d'al-Qarytayn, localité reprise par l'EI à la faveur de
cette contre-attaque sur les voies de communication du régime engagé
autour de Deir Ezzor.
Octobre 2017. |
Propagande
Le
Régiment des Commandos-Marins utilise plusieurs emblèmes
différents. L'emblème principal, que l'on retrouve maintenant le
plus souvent, montre une ancre de marine, avec de part et d'autres
les deux étoiles du drapeau syrien, et 2 AK-74 entrecroisés par
dessus ; en bas apparaît le nom de l'unité. Le patch
d'épaule, qui existe en deux versions au moins, comprend un aigle
dans lequel apparaît le drapeau syrien, et une inscription renvoyant
au nom de l'unité. Un autre emblème qui apparaît notamment sur les
véhicules de l'unité montre l'aigle avec leurs couleurs du drapeau
syrien, comprenant au centre le portrait de Bachar el-Assad,
environné par la mer et entouré de cercles où l'on retrouve les
couleurs et les étoiles du drapeau, le nom de l'unité en haut et,
en bas, le verset 23 de la sourate al-Ahzab (Les coalisés) :
« Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été
sincères dans leur engagement envers Allah ».
L'emblème principal
du Régiment des Commandos-Marins.
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Une des versions de
l'emblème d'épaule de l'unité.
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Autre emblème de
l'unité que l'on voit notamment sur les véhicules.
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Les
fusiliers marins commandos communiquent essentiellement via Facebook
sur les réseaux sociaux. Plusieurs pages sont liées à l'unité.
L'une d'entre elles concerne même une subdivision dont la publicité
est assurée par l'un de ses membres. La plupart des images de
défilés sont prises dans la base d'al-Sanobar, qui sert de QG à
l'unité, au sud de Lattaquié.
Le Régiment de
Commandos-Marins a une de ses bases à al-Sanobar, au sud de
Lattaquié.
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Ces
pages diffusent souvent le portrait de Bachar el-Assad. Il y a aussi
des portraits ou montages photos sur Aymenn et Mohammed Jaber,
respectivement chef des fusiliers marins commandos et de Suqur
al-Sahara. On trouve aussi des portraits du général Hassan, le
chef des Tiger Forces.
Le
6 octobre, une des pages commémore le déclenchement de la guerre du
Kippour contre Israël en 1973.
En
septembre 2017, l'une des pages diffuse de nombreuses photos
d'entraînement de l'unité.
Une
des pages, le 9 octobre 2017, rend hommage à un des membres de
l'unité, originaire de la province de Lattaquié, tué au combat :
Safwan Saleh Ahmed.
Armement,
matériels, équipement
À
l'image des Suqur al-Sahara, les Maghawir al-Bahar
s'appuient pour l'essentiel sur une flottille de pickups
4x4, transformés en véritables automitrailleuses légères, et pour
certains équipés d'un blindage improvisé, protégeant la cabine et
les servants des armes emportées : 4x4 Chevrolet Silverado,
GMC Sierra 2500HD, et les éternelles Land Cruiser Toyota,
modèle EFI 4500, constituent l'essentiel de cette flotte, et sont
équipés de mitrailleuses légères DShK et Type-54 de 12,7 mm,
mitrailleuses lourdes KPV de 14,5 mm, ZPU-4 de 14,5 mm, canons
bitubes ZU-23-2 de 23 mm, et lance-roquettes multiples Type-63 de 107
mm.
Le
transport des troupes est assuré par des camionnettes Hyundai
HD65, dont certaines ont été modifiées et légèrement blindées,
soit pour protéger un minimum les occupants de la ferraille du champ
de bataille, soit pour servir de guntrucks. Des camions
Ural-4320 dotés de kits de blindages, assurant une protection de la
cabine et du compartiment moteur, ont été livrés par les Russes.
La
vidéo d'une parade militaire diffusée en février 2017 sur les
réseaux sociaux démontrent que les Maghawir al-Bahar
disposent de leurs propres soutiens d'artillerie, obusiers D-30 de
122 mm, lance-roquettes multiples BM-21, et obusiers automoteurs 2S1.
Les BM-21 ont été prélevés sur les stocks de la Marine syrienne.
L'unité
est en partie mécanisée : des documents publiés sur les réseaux
sociaux prouvent que les Maghawir alignent plusieurs véhicules
de combat d'infanterie BMP-1, dont certains ont été équipés de
blindages supplémentaires de type « SLAT armor »,
fabriqués localement. Il est fort probable qu'à l'image des Suqur
al-Sahara, quelques BMP-2 aient été livrés (l'offensive menée
dans la région de Salma, province de Lattaquié, en janvier 2016
avait déjà révélée la présence aux côtés des Suqur
al-Sahara et des commandos-marins, fer de lance de l'opération,
de véhicules blindés BTR-80).
Quatre obusiers
automoteurs 2S1 de 122 mm sont alignés sur la base Al-Sanobar durant
une parade militaire.
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Plusieurs
chars de combats sont à la disposition des commandos marins, des
T-55, au moins un T-72AV, et et des T-72M1,
dont au moins un exemplaire est équipé de blindages supplémentaires
de type « SLAT armor », ces chars ayant été
prélevés sur les stocks de la Garde Républicaine. Employés pour
la première fois au combat en Ukraine en 2014 et 2015, la présence
de T-72B3 est également documentée sur le théatre d'opération
syrien à partir de février 2017. A la fin du mois de juin 2017, un
important convoi des Suqur al-Sahara est filmé prenant la
direction de Salamyeh, au sud-est d'Hama : au
moins deux T-72B3 sont présents parmi les véhicules et blindés
filmés. Les images des combats diffusées par la suite vont montrer
l'insigne des Maghawir al-Bahar clairement présent sur le
glacis de ces deux chars.
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