Le
30 septembre 2017, le colonel Fedyanin, commandant la 61ème
brigade de fusiliers marins indépendante russe, meurt de ses
blessures à l'hôpital militaire de Moscou. Fedyanin avait été
blessé en Syrie lors d'un bombardement au mortier de l'EI ou en
raison de l'explosion d'un IED le 23 septembre, près de Deir Ezzor.
L'incident avait coûté la vie au général Asapov, qui chapeautait
le
5ème corps de l'armée syrienne. La mort du commandant de la
61ème brigade de fusiliers marins constitue l'occasion de revenir
sur l'engagement de cette formation russe en Syrie. Unité d'élite,
la 61ème brigade est présente dès les premiers mois de
l'intervention de Moscou pour soutenir Bachar el-Assad. Elle a joué
un rôle-clé dans plusieurs offensives majeures du régime syrien.
Historique
La
61ème brigade de fusiliers marins indépendante « Kirkenes »
« Drapeau
rouge » est une unité de fusiliers marins de la flotte
soviétique, puis russe. La 61ème brigade naît à partir de la
67ème brigade de fusiliers marins, formée en novembre 1941 pendant
la Seconde Guerre mondiale. Cette brigade a été active du 2 avril
au 8 mai 1942 : décimée lors d'une opération, elle est
retirée du front et gardée en réserve au sein du front de Carélie.
Au bout d'une année, la brigade vient compléter les effectifs de la
45ème division d'infanterie. Le 2ème bataillon de la 67ème brigade
de fusiliers marins constitue le 61ème régiment d'infanterie de la
45ème division de fusiliers, le 5 mai 1943. L'unité prend notamment
part à l'opération
Petsamo-Kirkenes, pénètre dans Kirkenes le 25 octobre 1944 et
reste sur le territoire norvégien jusqu'à la fin des hostilités.
Pour ses faits d'armes, le 61ème régiment est décoré de l'ordre
du Drapeau Rouge et reçoit le surnom « Kirkenes ».
En
septembre 1945, le 61ème régiment est cantonné à Pechenga et
Mourmansk. En 1952, la 45ème division intègre la nouvelle 6ème
armée du district militaire de Léningrad. En 1957, la 45ème
division de fusiliers devient la 131ème division de fusiliers
motorisés et le 61ème régiment le 61ème régiment de fusiliers
motorisés. Le régiment est stationné dans le village de Kakuri ;
sur demande de son commandant, le village est rebaptisé Spoutnik en
décembre 1960. A partir de 1963, le commandement de l'armée
soviétique souhaite recréer une force d'infanterie navale, les
fusiliers marins ayant disparu après 1956. C'est en 1966 que le
61ème régiment est transforme en régiment de fusiliers marins et
intégré à la flotte du Nord « Drapeau rouge ».
La 121ème brigade de navires de débarquement assure le transport
des fusiliers marins : elle est basée à Polyarni, près de
Mourmansk. En août 1967, certaines compagnies du régiment sont
envoyées à Vladivostok pour contribuer au développement des
fusiliers marins de la flotte du Pacifique. Le 7 novembre 1968, pour
l'anniversaire de la révolution d'octobre, le 61ème régiment est à
la parade dans Moscou.
Le
15 mai 1980, une réorganisation conduit à élever le 61ème
régiment au rang de brigade de fusiliers marins indépendante. La
brigade comprend 3 bataillons d'infanterie, un bataillon
d'artillerie, un bataillon antichar, un bataillon antiaérien et un
bataillon de chars. La brigade compte 2 000 hommes.
En 1991, à la chute de l'URSS, le corps des fusiliers marins de
l'Armée Rouge comprend pas moins de 15 000 hommes. Après la
dislocation de l'URSS entre 1989 et 1991, la brigade se voit retirée
certaines de ses unités, la taille des nouvelles forces armées
russes diminuant drastiquement. La réforme de 2009 qui suit la
guerre en Géorgie, riche de leçons pour la Russie, voit la 61ème
brigade revenir au rang de régiment. Cependant, en décembre 2014,
avec
la création d'un commandement stratégique unifié Nord, elle
redevient 61ème brigade de fusiliers marins indépendante. La
brigade est toujours basée à Spoutnik, dans la péninsule de
Kola. Les fusiliers marins dépendent de la branche des troupes
côtières de la flotte russe. L'armée russe renforce les compagnies
de reconnaissance des brigades de fusiliers marins, qui ont abandonné
leurs chars, mais disposent de lance-roquettes multiples BM-21 Grad.
L'élément le plus puissant de ces brigades est le bataillon
d'assaut parachutiste, qui comprend environ 500 hommes. Les fusiliers
marins disposent de véhicules blindés BTR-80, BTR-82A, MT-LB,
BMP-2, de canons automoteurs 2S1, 2S3, 2S9. Ils recrutent de moins en
moins par conscription et de plus en plus par engagement volontaire,
des soldats professionnels (même si
en 2011, suite à la réforme lancée en 2009, une compagnie, à
titre d'exemple, ne comptait plus que 8% d'engagés volontaires). Les
officiers sont entraînés à l'école de Blagoveshchensk en
Extrême-Orient et à l'école de parachutistes de Ryazan. Les
sergents et les spécialistes sont formés à l'école des fusiliers
marins de Saint-Pétersbourg. Un entraînement supplémentaire est
fourni au centre d'entraînement récemment installé près de
Nijni-Novgorod. Destinés aux opérations amphibie, les fusiliers
marins russes, considérés comme des troupes d'élite, sont
cependant régulièrement déployés pour des missions d'importance.
La
61ème brigade a été mobilisée lors de la première guerre en
Tchétchénie. Dès le 22 décembre 1994, elle doit former un
détachement basé sur son 876ème bataillon d'assaut, qui comprend à
la fois de l'infanterie mais aussi d'autres moyens prélevés dans la
brigade. Expédié en urgence à Mozdok en Ossétie du Nord le 7
janvier 1995 après le désastre du nouvel an pour les Russes au cœur
de Grozny, sans ses véhicules blindés, ce détachement est lancé
dans les combats de rues dès le 13 janvier. Après la chute de
Grozny, il continue le combat dans le reste du pays jusqu'au 26 juin
1995. A son retrait, il compte au moins 64 tués et 252 blessés (sur
un millier d'hommes).
La
61ème brigade participe également à la seconde guerre de
Tchétchénie en septembre 1999. Un groupe tactique, là encore basé
sur le 876ème bataillon, est cette fois équipé de ses véhicules
blindés, d'une batterie de mortiers, de canons automoteurs 2S1 (122
mm), d'une section antichar, d'une compagnie de reconnaissance de
fusiliers marins de la flotte de la mer Noire, d'une batterie
d'artillerie de la flotte de la mer Caspienne, d'une compagnie du
génie et de sapeurs. En
termes d'effectifs, le groupe tactique équivaut en fait à un
régiment. Le détachement combat jusqu'en juin 2000 en Tchétchénie
et au Dagestan, et compte 16 tués. La plupart des morts proviennent
d'un engagement le 31 décembre 1999 dans la gorge de Vedeno, où les
Tchétchènes attaquent une position défensive tenue en conjonction
avec une section de reconnaissance de la 810ème brigade de fusiliers
marins. La 61ème brigade perd 13 tués dont 3 officiers.
Au
sein du corps des fusiliers marins russes, la
61ème brigade est considérée comme l'unité la plus
expérimentée.
Le
déploiement en Syrie
En
avril 2016, le site Informnapalm, spécialisé dans la
recherche en source ouverte sur l'implication des forces armées
russes dans le Donbass et en Syrie, révèle que l'offensive contre
la ville de Palmyre, capturée par l'EI en mai 2015 et reprise par le
régime syrien en mars 2016, a été chapeautée par la 61ème
brigade de fusiliers marins indépendante. Le site a en effet trouvé
sur les réseaux sociaux des photographies de Dmitry Egoshin, un
engagé volontaire de cette unité. Les photos, au vu des monuments
antiques présents en arrière-plan, ne laissent guère de doute
quant à sa présence à Palmyre (il s'est également pris en photo
dans la partie sud de la ville). Plus intéressant, Egoshin a gardé
une position située à l'est de Jablé, sur la bande côtière
alaouite, au sud-est de Lattaquié, avant son déploiement à
Palmyre. La 61ème brigade de fusiliers marins indépendante a donc
probablement conduit l'assaut sur Palmyre. Comme le fait remarquer
Informnapalm, et c'est le cas de beaucoup d'autres unités
russes engagées en Syrie, la 61ème brigade est une unité d'élite
de l'armée russe, qui a d'ailleurs été engagée dans
le Donbass entre l'été 2014 et au
moins février 2015. Des unités de la 61ème brigade ayant
combattu dans le Donbass auraient été transportées en Syrie par
les avions de l'armée russe à partir de la fin décembre 2015 :
les fusiliers marins stationnent d'abord à la base aérienne de
Hmeymin près de Lattaquié et près du port de Tartous, gardant les
voies de communication avec des postes défensifs comme celui que
tient Egoshin. Un autre membre de la 61ème brigade, Valentin
Shamanin, a servi dans le Donbass avant d'arriver en Syrie. Le site
Informnapalm a identifié 32 autres soldats russes de la 61ème
brigade engagés sur place. Tom Cooper, dans une
analyse pour Medium,
confirme que des unités tactiques organisées autour de bataillons
de la 61ème brigade de fusiliers marins indépendantes mènent
l'offensive sur Palmyre.
27 décembre 2015 ; la 61ème brigade arrive en Syrie, transportée par Il-76. |
Mars 2016. Un fusilier marin de la 61ème brigade aux côtés d'un soldat syrien, probablement dans le port de Tartous. |
Fusilier marin de la 61ème brigade dans une position défensive, province de Lattaquié (mars 2016). On lit, en russe, Spoutnik, le nom de la base de la 61ème brigade en Russie. |
Lattaquié, mars 2016. |
Secteur de Palmyre, 17 mars 2016. On note l'écusson des fusiliers marins. |
Secteur de Lattaquié, avril 2016. |
Pas moins de 12 fusiliers marins de la 61ème brigade dans l'est de la province de Homs, secteur de la base T4, en avril 2016, sur un BTR-80. |
Dès
octobre 2015, dès les débuts de l'intervention russe en Syrie,
Moscou expédie des lance-roquettes multiples thermobariques TOS-1A.
Dès la fin septembre 2015, une unité ad hoc pour manipuler
les TOS-1A est constituée à partir du 20ème régiment indépendant
de protection NBC (district militaire Ouest, Nijni-Novgorod). Les
TOS-1A sont en Syrie dès le 9 octobre. La Russie a beau jeu de
prétendre que les véhicules ont été vendus à Bachar el-Assad ;
en réalité, c'est bien l'armée russe qui manœuvre les TOS-1A. Dès
le 22 octobre 2015, la chaîne Youtube des Forces Nationales
de Défense (milice pro-régime syrien) met en ligne une vidéo d'une
salve tirée par un TOS-1A dans la province de Lattaquié. Valentin
Shamanin, le soldat de la 61ème brigade, se prend en photo avec
les TOS-1A russes, qui ont été utilisés à Palmyre, et qui sont dans le port de Tartous quelques mois plus tard.
Un TOS-1A en action, province de Lattaquié, capture d'écran d'une vidéo des Forces Nationales de Défense, 22 octobre 2015. |
En
octobre 2016, la 61ème brigade de fusiliers marins indépendants
participe à un exercice de la flotte du Nord à Pechenga.
Informnapalm
a retrouvé la trace de la 61ème brigade de fusiliers marins
indépendante en 2017. L'EI avait repris Palmyre en décembre 2016,
véritable camouflet pour le régime syrien mais aussi pour la
Russie, des soldats russes ayant abandonné à la hâte leur base au
milieu de la ville. Fortement appuyé par Moscou, le régime syrien
reprend Palmyre le 2 mars 2017. A partir d'avril et jusqu'en mai
2017, la 61ème brigade tient garnison à Palmyre comme le prouve les
photos du soldat Kirill Platonov. Elle est alors remplacée par la
155ème brigade de fusiliers marins indépendante basée à
Vladivostok (flotte du Pacifique). Le 9 mai 2017, la 61ème brigade
est présente lors du défilé commémorant la victoire sur
l'Allemagne nazie à Moscou ; c'est la première fois depuis
vingt ans.
Le colonel Fedynanin, vu ici à la télévision russe lors d'un entraînement en Russie en février 2016. Il sera tué en Syrie par l'EI fin septembre 2017. |
La mort
du colonel Fedyanin du fait de l'EI rappelle que la 61ème brigade de
fusiliers marins continue, a minima, d'appuyer l'offensive du régime
syrien autour de Deir Ezzor.
Autre emblème de la brigade. |
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