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jeudi 31 décembre 2020

Paul CARELL, La bataille de Koursk mars-septembre 1943 (Opération Terre Brûlée-2), J'ai Lu leur aventure 227, Paris, J'ai Lu, 1970, 309 p.

 


Paul Carell, nom d'auteur de Paul Karl Schmidt, était un officier de la Allgemeine-SS, la composante administrative de la SS sous le IIIème Reich. Il a notamment servi Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires Etrangères d'Hitler. Il devient l'un des propagandistes nazis les plus talentueux et contribue notamment au célèbre magazine Signal. Arrêté en mai 1945, détenu provisoirement comme témoin à charge pour le procès de Nuremberg, où il se présente comme un "combattant de la liberté" à la presse (sic), Schmidt est cependant rapidement relâché et se reconvertit dans l'écriture d'ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. Ses livres sur le front de l'est, écrits sous le pseudonyme de Paul Carell, lui octroient une certaine célébrité et le font passer pendant longtemps pour un "historien" sérieux. La plupart de ses ouvrages a été traduit en français dans la collection bleue J'ai Lu leur aventure.


La trilogie Opération Terre brûlée complète les deux tomes précédents, Opération Barbarossa. Dans ce deuxième tome, Paul Carell revient sur la bataille de Koursk, depuis ses préparatifs à partir de mars 1943 jusqu'à la contre-offensive soviétique qui rejette les Allemands au-delà du Dniepr, en septembre 1943.


Paul Carell ne conteste pas la décision d'Hitler de lancer l'offensive sur le saillant de Koursk, et montre au contraire combien le Führer a longtemps hésité à le faire, car ce choix était risqué. Si il fait appel à des témoignages soviétiques, Carell propose surtout une vision allemande de la bataille. Il décrit en particulier les combats féroces menés par la division Grossdeutchland, par exemple, au soir du 4 juillet, pour gagner ses positions de départ sur la face sud du saillant de Koursk, en vue de l'offensive du lendemain. Sur la face nord, où attaque la 9. Armee de Model, Carell relate des combats pour les hauteurs d'Olkhovatka qui dépassent en fureur, selon lui, ceux de Stalingrad. Il ne cache rien des déboires des chars Panther, engagés pour la première fois au combat, et sait dépeindre des scènes d'anthologie, comme le moment où les Allemands manquent de capturer les généraux Katoukov et Chistiakov, attablés pour déjeûner, et qui n'ont pas conscience que les chars allemands ont percé leurs lignes...


Carell raconte également comment le raid aérien surprise monté par les Soviétiques sur les terrains allemands de la face sud du saillant échoue en raison de l'interception radar du Freya (on sait aujourd'hui que ce n'est pas la seule raison) ; mais aussi comment les Hs 129 d'attaque au sol mettent en pièces, le 8 juillet, le 2ème corps blindé de la Garde soviétique qui monte en ligne pour une contre-attaque (bien qu'il exagère fortement le rôle de l'aviation allemande, en consacrant de longs passages à l'intervention de Rudel et de ses Stukas, par exemple). La vision de Prokhorovka, en revanche, est encore celle datée de la guerre froide : en outre, Carell compare l'affrontement à Waterloo (!) et attribue une partie de l'échec à la poussée pas assez profonde du III. Panzerkorps, qui manoeuvre à droite du II. SS-Panzerkorps.


L'ancien SS accable cependant le Führer : pour lui, l'arrêt de l'opération Zitadelle est une lourde erreur, car des gains pouvaient être engrangés notamment sur la face sud du saillant. Ce faisant, Carell rejoint les mémorialistes allemands d'après-guerre comme Manstein, alors commandant du Groupe d'Armées Sud, et qui se défaussent largement de la défaite sur Hitler. Carell méprise assez largement l'armée soviétique mais reconnaît que Koursk est une défaite décisive pour l'Allemagne, en partie parce que la Wehrmacht n'a pas pris la mesure d'un adversaire devenu plus dangereux. Mais avant tout, selon lui, par le patriotisme et le fanatisme insufflés par les commissaires politiques (sic). Rien de très surprenant étant donné le passé de l'auteur et sa démarche de quasi-propagande en faveur de la Wehrmacht, finalement, pendant la guerre froide.


La grande théorie de Carell, cependant, pour expliquer la victoire soviétique, est la trahison d'un officier du haut-commandement allemand, le fameux "Werther", jamais identifié, qui aurait renseigné les Soviétiques de bout en bout. L'hypothèse a connu une grande postérité, mais a été battue en brèche depuis : Werther n'a probablement jamais existé. En relatant la contre-offensive soviétique, notamment l'opération Roumantsiev, Carell insiste sur les pertes énormes subies par l'Armée Rouge, puis sur l'entêtement d'Hitler qui conduit presque l'armée allemande au désastre en voulant absolument tenir sur place, en dépit des cris d'alarmes lancés par Manstein et les autres généraux.


Dans la retraite vers le Dniepr, on retrouve une autre constante de l'auteur, qui minimise fréquemment la politique de la terre brûlée mise en oeuvre par la Wehrmacht durant ses replis successifs à partir de 1943, ainsi que les exactions contre les civils. Le tome se finit sur le récit du désastre de l'opération aéroportée soviétique au-dessus de Kanev, sur le Dniepr.


Le propos de Carell est parfois intéressant pour les données factuelles et témoignages allemands qu'ils livrent sur les combats évoqués, à Koursk ou ailleurs. Cependant, il est bien évident que ses analyses et interprétations, influencées par son passé de SS et son entreprise de réhabilitation, ne sauraient se substituer à la lecture d'ouvrages sérieux parus depuis une vingtaine d'années et qui proposent une vue à la fois plus équilibrée et plus juste des campagnes du front de l'est, sans parler de toutes les informations obtenus depuis la chute de l'URSS et l'accès à de nouvelles archives.

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