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dimanche 30 avril 2017

Mourir pour Assad 9/Sayara Ansar al-Aqeeda


Saraya Ansar al-Aqeeda est une milice chiite irakienne dont le portrait tranche un peu au sein de celles intégrées dans la mobilisation populaire chiite (Hashd-al-Shaabi), désormais placée sous le commandement militaire. Rattachée au Conseil Suprême Islamique Irakien, qui prend plutôt ses distances à l'égard de l'Iran tout en favorisant une ligne religieuse irakienne centrée sur Ali al-Sistani, la milice, par la voix de son chef, met en avant un discours sectaire assez virulent et se montre favorable à l'envoi de combattants en Syrie pour soutenir le régime Assad. Rien d'étonnant à cela, en fait, puisqu'elle est l'expression, à sa naissance, d'un noyau de combattants vétérans du combat en Syrie. Si elle n'est pas parmi les plus imposantes des milices chiites, Saraya Ansar al-Aqeeda se distingue par ses ateliers de fabrication de véhicules blindés improvisés, qui tournent à plein régime.

 


Historique


Saraya Ansar al-Aqeeda (SAA) est une milice chiite irakienne née au moment de la mobilisation populaire chiite contre l'EI en juin 20141. Elle est dirigée par le sheikh Jalal al-Din al-Saghir2 qui est lié au Conseil Suprême Islamique Irakien (CSII). Le CSII a été formé, au départ (sous un autre nom), pendant la guerre Iran-Irak, par des chiites irakiens exilés en Iran. Il se dote en 1982 d'une branche militaire, le corps Badr. Les exilés du CSII reviennent en Irak en 2003 ; en 2007 l'organisation change de nom pour devenir le CSII et ainsi prendre ses distances à l'égard de l'Iran. Dès lors, le CSII adopte une ligne plus nationaliste et suit l'enseignement religieux de l'Irakien Ali al-Sistani, notamment à partir du moment où le Premier Ministre Nouri al-Maliki apparaît comme le relais d'influence de Téhéran. En 2012, une partie du groupe, sous l'autorité d'Hadi al-Amiri, fait scission et fonde l'organisation Badr, beaucoup plus alignée sur l'Iran, avec des vétérans du corps Badr. Ammar al-Hakim, qui dirige le CSII depuis 2009 après la mort de son père, tente alors de développer une ligne nationaliste pour la classe moyenne chiite.

Mais SAA n'est pas vraiment née à proprement parler en juin 2014. En effet, cette milice a été fondée avec des cadres ayant déjà combattu en Syrie aux côtés du régime de Bachar el-Assad dès 2012. Saleh Alboukhata, un des fondateurs de SAA, a combattu en 2012 en Syrie : un groupe de 30 combattants est à Damas dès septembre 2012 et fait le coup de feu contre les rebelles autour de Sayyida Zaynab. Un premier « martyr » tué en Syrie en 2014 se nomme Jafar Al Musawi. Même après sa formation en juin 2014, SAA continue d'envoyer des combattants en Syrie : des photos datant probablement de l'hiver 2014/2015 montrent plusieurs dizaines de combattants, certainement dans la région d'Alep. On a donc ici le cas d'une milice formée de manière informelle pour aller se battre en Syrie dès 2012, mais créée officiellement en Irak après la poussée de l'EI en juin 2014, et qui se bat ensuite sur les deux théâtres jusqu'en 2015.

SAA (qui compterait actuellement de 1 500 à 3 000 hommes) est proche de Sayara Ashura, la milice créée par Ammar al-Hakim (qui alignerait 3 à 5 000 hommes), et qui fait partie du bloc politique chiite restant proche, toutefois, de l'Iran3. Ces milices ont été crées par les leaders du CSII pour compenser, notamment, la perte de ce qui est devenue l'organisation Badr4. Elles reçoivent de l'armement iranien, mais le CSII n'a jamais fait l'éloge de l'autorité religieuse iranienne ni plaidé en faveur de l'envoi de combattants chiites en Syrie. Al-Hakim avait commencé par légitimer la mobilisation populaire chiite contre l'EI, avant de la critiquer dès le printemps 2015. SAA, quant à elle, reconnaît l'autorité religieuse d'Ali al-Sistani en Irak5. Cependant, son chef, qui dirige la mosquée Buratha à Bagdad, n'a jamais caché ses sympathies pour l'Iran, ni un discours sectaire assez dur (appelant Falloujah « ville maudite » après sa libération en 20166) et même en faveur de l'intervention de combattants chiites irakiens en Syrie aux côtés du régime Assad7. Il a été mis sur la touche par le CSII depuis 2013 mais a développé son propre appareil et sa propre milice à l'intérieur de l'organisation. Ce profil cadre bien avec les origines de SAA, fondée par des vétérans du combat en Syrie aux côtés du régime, comme on l'a dit.

SAA regroupe au moins deux brigades : les 2ème et 66ème, et opère dans plusieurs provinces, notamment autour de Bagdad (Diyala ; Salahuddine ; al-Anbar)8. On l'a vu sur nombre de fronts en Irak depuis 2014 : Jurf al Sakhr en 2014, Tikrit, les monts Hamrin et Baiji en 2015... En juillet 2016, SAA monte au front à Shirqat, sur la route de Mossoul, contre l'EI. Le 7 septembre 2016, Saghir reçoit la visite à Bagdad de Qassem Soleimani, le chef de la force al-Qods des Pasdarans9. Certains indices sur les profils Facebook de combattants de la milice laissent à penser qu'une partie de ses effectifs est formée par les Iraniens, peut-être dans le cadre de la mobilisation populaire désormais intégrée aux forces de sécurité. SAA est engagée avec les autres milices chiites de la mobilisation populaire dans la bataille de Mossoul, poussant à l'ouest/sud-ouest de la ville en direction de Tal Afar, à partir du 29 octobre. Le 31 octobre, SAA investit le village de Zarkah. Le 3 novembre, SAA, de concert avec l'organisation Badr, pousse dans le secteur de Tal Zalat. Le 6 novembre, un reportage montre SAA en action, avec d'autres milices chiites de la mobilisation populaire, au sud-ouest de Mossoul. Une vidéo du 9 novembre montre les miliciens de SAA abattant un drone de l'EI qui survole leurs positions. Au sein de SAA, il semblerait qu'une 28ème brigade fasse partie du corps expéditionnaire qui intervient à l'ouest de Mossoul.


Idéologie et propagande


Le drapeau de SAA est organisé de la façon suivante : en-dessous d'un AKMS/47S chinois, vu le dessin, on distingue un dôme doré qui est peut-être celui du tombeau de l'imam Hussein à Kerbala ou d'Ali à Nadjaf, et qui contient le nom de la milice. En haut à droite, dans l'écharpe verte, on peut lire « ô celui (Mahomet) qui s'est levé ». En bas est incrit un verset (39) de la sourate Hajj, qui semble renvoyer à la fatwa d'Ali al-Sistani de juin 2014 pour lancer la mobilisation populaire parmi les chiites (« Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) - parce que vraiment ils sont lésés; et Allah est certes Capable de les secourir »).

SAA est très présente en ligne, sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. Elle gère notamment une page principale suivie par plus de 220 000 personnes10. Certaines subdivisions de SAA, comme la 66ème brigade, ont aussi leur propre page Facebook, mais qui ne sont plus entretenues régulièrement. SAA célèbre ses martyrs avec des posters de propagande. Le 3 novembre, la milice déclare la mort de Abbas Awad Abdul Khalif, tué le 1er novembre. Le 6 novembre, elle annonce la mort de Kazim Qasim Obeis, tué au combat le 1er novembre. Le 8 novembre, la milice publie même un dessin au fusain d'un de ses « martyrs », Hossam Sabri Abdel. Une photo montre une mère pleurant son fils apparaissant sur une affiche géante collée dans la rue, à Kerbala, le 16 novembre 2016. SAA va même jusqu'à baptiser ses véhicules blindés artisanaux des noms de ses martyrs, comme celui dédié au Sheikh Salim al-Jubouri le 20 novembre. Une vidéo du 22 novembre montre le cortège funéraire de 3 combattants. Raza Kazim al-Musawi est tué le 24 novembre lors des combats à l'ouest de Mossoul, de même que Hussain Mansouri et Hussain Kazim Alaگala. Un combattant, Jassim Mohammed Hussein al-Mamouri, est déclaré mort le 25 novembre 2016 durant les combats à Mossoul. Il est enterré à Bagdad. Le 28 novembre 2016, Ammar Hashim Kamel est tué dans les combats à l'ouest de Mossoul. Ce qui en tout fait au moins 8 tués depuis le début des opérations fin octobre. SAA proteste violemment, aussi, contre la diffusion par l'EI d'image d'un de des véhicules capturés (un Humvee surblindé équipé d'un canon sans recul) et de plusieurs de ses morts, le 27 novembre 2016. La milice utilise également des nasheeds dans ses montages vidéos, comme celui de Hussain Al Zubaidi, « Hashd 40 ». L'emblème de SAA est également souvent mis en avant, sur les photos de véhicules, ou de patchs de manches.

Les bureaux de la milice dans les grandes villes du sud de l'Irak ont également leurs pages Facebook. Celle de Nadjaf11 montre, le 6 novembre, l'installation de panneaux représentant les « martyrs » de la milice sur les grandes artères à l'entrée de la ville. Certains « martyrs » ne sont signalés que sur ces pages locales : ainsi Fahad Hammoud Ayachi, tué le 28 octobre à Mossoul. Le bureau de Nadjaf reçoit aussi la visite d'un responsable d'une autre milice chiite pro-iranienne, al-Nujaba, le 20 octobre. La page du bureau de Nasiriyah12, elle, montre une visite aux blessés des opérations à Mossoul le 14 novembre des responsables locaux, ainsi qu'à deux familles de « martyrs ». Cette page annonce la mort de Hossam Sabri Abdel, un vétéran de la 28ème brigade, le 20 novembre. La page du bureau de Bassorah montre également une visite aux blessés le 4 novembre13. Le bureau organise des défilés d'enfants portant les portraits des martyrs.


Armement, matériels, tactiques


L'analyse en source ouverte des productions de SAA entre le 17 octobre et fin novembre, autrement dit depuis le début de la bataille de Mossoul, offre un bon échantillon sur ces aspects. SAA s'est faite une spécialité des véhicules bricolés, à une échelle rarement vue chez les autres milices chiites irakiennes. Le groupe dispose de plusieurs Humvees, dont un capturé par l'EI le 27 novembre (wilayat Dijlah) portant un canon sans recul. Les véhicules sont systématiquement marqués avec l'emblème de SAA. Une photo du 25 novembre 2016 montre un char T-55 mais il est impossible de dire s'il appartient en propre à SAA (pas d'emblème visible sur le char, il est probablement à l'armée irakienne). SAA semble disposer d'un atelier de fabrication de ses véhicules blindés artisanalement, souvent mentionné, et qui sort ces Humvees avec plaques de renfort et KPV en tourelle. La milice compte aussi des véhicules légers Safir iraniens. En plus de ces montages, les véhicules de SAA comme les Humvees portent souvent des reproductions de Zulfiqar, l'épée mythique à deux pointes d'Ali que Mahomet lui aurait donné à la bataille d'Uhud (625). Parmi les véhicules, SAA en aligne plusieurs avec LRM Type 63 (un Land Cruiser et un Safir). SAA dispose aussi d'au moins 2 « battle wagons », l'un avec un bitube ZU-23 et l'autre avec la même arme monotube. SAA fabrique aussi des MLRS artisanaux, dont un sur camion, à 12 tubes (numéroté « 9 »), de gros calibre. Une vidéo du 22 novembre montrant probablement des images d'archives montre un M113 recouvert de blindage SLAT et portant en tourelle un bitube ZU-23. On voit d'autres véhicules montés artisanalement dont des Humvees et un MLRS sur camion, ainsi qu'un « battle wagon ». Parmi les véhicules, il y a aussi un Safir avec canon sans recul M40 de 106 mm. Un des « véhicules bricolés » par SAA est un MT-LB auquel a été ajouté une tourelle. Un autre est un Humvee probablement venu des forces spéciales, de couleur sombre, qui embarque une DSHK en tourelle et une PK protégée par un bouclier à l'arrière, sur une plate-forme rajoutée, montage déjà vu chez d'autres milices irakiennes comme Nujaba. Un bulldozer avec blindage SLAT et autres plaques de renfort porte le nom d'un « martyr » de SAA. SAA va jusqu'à blinder ses 4x4 et leur ajouter des tourelles.

L'armement des fantassins est classique : AK-47, M-16, RPG-7, PK, SVD. Un fantassin transporte, en plus des VHS-2, un missile ATGM type Fagot. Un fantassin porte un AKSU. Un des mitrailleurs de SAA embarqué sur la plate-forme arrière d'un pick-up est apparemment armé d'une MG-3. L'infanterie a au moins une mitrailleuse DSHK sur trépied. Certains fantassins sont bien protégés, avec casques et protection individuelle. L'infanterie d'accompagnement des véhicules à Mossoul semble moins nombreuse que celle d'al-Nujaba, par exemple, étudiée précédemment.

Dans le cadre de la bataille de Mossoul, SAA évolue imbriquée avec des unités de l'armée irakienne avec BMP-1 et T-72 (à moins que les véhicules ne lui appartiennent en propre, mais cela n'est pas établir à partir des vidéos où ces chars et véhicules blindés apparaissent). Les véhicules précèdent systématiquement l'infanterie qui ne débarque qu'en cas d'accrochage. A la moindre résistance, SAA fait entrer en action les armes lourdes et notamment les LRM ou IRAM montés sur camion ou pick-up. Les IRAM montés sur camion semblent regroupés au sein d'un bataillon d'artillerie pour la 28ème brigade « spéciale » qui combat à Mossoul.


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