" Historicoblog (4): Jean-Charles BRISARD et Damien MARTINEZ, Zarkaoui. Le nouveau visage d'al-Qaïda, Paris, Fayard, 2005, 340 p.

dimanche 30 avril 2017

Jean-Charles BRISARD et Damien MARTINEZ, Zarkaoui. Le nouveau visage d'al-Qaïda, Paris, Fayard, 2005, 340 p.

Zarkaoui. Un nom devenu incontournable dans le djihadisme du XXIème siècle. Les vidéos de propagande militaire de l'EI que j'étudie ici incluent souvent des discours audio de Zarkaoui, voire même des images d'archives le montrant à l'époque d'al-Qaïda en Irak. C'est dire que le personnage compte pour l'Etat Islamique. Et on comprend pourquoi à la lecture de la seule biographie en français sur le sujet, signée en 2005 par Jean-Charles Brisard et Damien Martinez.

C'est que Zarkaoui, en Irak, s'impose dans le djihad par la force brute et un exclusivisme. Il a longtemps été négligé, à tort : il a profité d'al-Qaïda pour se forger une identité, construire ses réseaux. Un professionnel du terrorisme, un tueur froid qui a appris au contact de cette organisation. Sa logique de violence inspire directement celle de l'EI aujourd'hui.

Le livre se décompose en quatre parties. La première retrace la vie de Zarkawi jusqu'à sa détention dans la prison jordanienne de Suwaqah. Elle fourmille de détails intéressants sur l'enfance, l'adolescence et la jeunesse du personnage, notamment grâce à plusieurs documents jordaniens joints en annexe à la fin du livre. Au sortir de prison, en 1999, Zarkawi est déjà dans une logique binaire : nous et les kuffars, ou tous ceux qui sont contre lui sont à exterminer, musulmans compris. Logique fruste bien éloignée des raffinements d'al-Qaïda.

La deuxième partie évoque le moment entre le retour en Afghanistan et l'arrivée en Irak. Bien qu'il rejoigne formellement al-Qaïda, Zarkaoui va rapidement s'en éloigner en bâtissant son propre camp à Herat, près de l'Iran. C'est d'ailleurs de là qu'il commence à bâtir ses réseaux en Europe (Allemagne et Italie surtout) et une base de repli éventuelle au Kurdistan irakien. Il cherche déjà à frapper son pays natal, la Jordanie, et même Israël : il organise l'assassinat de L. Foley en 2002. Après l'attaque américaine sur l'Afghanistan, il réussit à fuir via l'Iran et trouve refuge pour un temps... en Syrie.

La troisième partie est dédiée à l'époque irakienne de Zarkaoui. On y trouve des chapitres intéressants sur les relations parfois exagérées entre l'Irak de Saddam Hussein et al-Qaïda, l'implantation de la base arrière au Kurdistan, le rôle trouble de l'Iran. Zarkaoui utilise à dessein la stratégie des otages et la mise en scène des exécutions (tenue orange, exécution filmée, égorgement qui lui-même inaugure avec Nicolas Berg, ou autre), pour donner à son groupe une visibilité médiatique et s'imposer sur la scène correspondante. C'est d'ailleurs en attirant les recrues du djihad et en mettant en avant un discours sectaire qui s'en prend aussi bien aux chiites et aux Kurdes qu'aux Américains que Zarkaoui force al-Qaïda à prendre en compte le djihad irakien, qui n'avait pas compté forcément aux yeux de l'organisation, du moins au début. La naissance d'al-Qaïda en en Irak à la fin de 2004 consacre la posture de Zarkaoui.

La dernière partie s'attache aux réseaux de Zarkaoui à l'étranger (les auteurs préfèrent développer ce point plutôt que l'action du groupe en Irak à proprement parler). Les chapitres s'attachent aux cellules en Allemagne et en Italie, à l'emploi des armes chimiques, à la place de Zarqawi dans les attentats de Madrid (même si ici les auteurs font d'Abou Musab al-Suri le leader des Syriens du djihad, ce qui est sans doute un peu exagéré). Un des chapitres les plus instructifs est celui qui montre comment la Syrie de Bachar el-Assad sert de base arrière aux djihadistes : Zarqawi lui-même y a séjourné fin 2001-début 2002, certains de ses hommes y ont même reçu un entraînement militaire. Le tout avec la complicité du régime. La France est déjà concernée par la menace, notamment parce que des filières d'acheminement de combattants vers l'Irak existent dès cette époque.

La conclusion est écrite avec la mort de Zarkaoui en 2006 et celle de Ben Laden en 2011, ce qui est intéressant car la date du livre empêche le regard a posteriori. Les auteurs y soulignent que Zarkaoui tient sa popularité de son rôle de chef de guerre. En définitive, la guerre en Irak a permis à Zarkaoui de prolonger l'oeuvre initiale d'al-Qaïda. Il est intéressant de voir qu'aujourd'hui l'EI, héritier de Zarkaou, affronte al-Qaïda sur le théâtre syro-irakien. L'élève a en quelque sorte dépassé le maître...

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