" Historicoblog (4): August von Kageneck, La guerre à l'est, Tempus 21, Paris, Perrin, 2002, 201 p.

lundi 1 novembre 2021

August von Kageneck, La guerre à l'est, Tempus 21, Paris, Perrin, 2002, 201 p.

 


Auteur : August von Kageneck (1922-2004). Officier de la Wehrmacht, il a servi dans la 9. Panzerdivision lors de l'invasion de l'URSS en 1941, a été ensuite instructeur dans l'arme blindée, puis a repris du service à l'ouest dans la Panzer Lehr. Le 20 juillet 1944, il devait participer à l'opération Walkyrie voulue par les conjurés ayant programmé l'assassinat d'Hitler, sans en connaître les motifs véritables, mais l'ordre n'est jamais parvenu pour son unité. Fait prisonnier par les Américains, il échappe assez rapidement à la captivité. 2 de ses frères sont morts pendant la guerre, un pilote et un officier d'infanterie qui est justement l'un des sujets principaux du livre évoqué ici. Kageneck s'installe ensuite en France où il devient correspondant de plusieurs journaux allemands, dont Die Welt. Il oeuvre pour la réconciliation franco-allemande. Il était intervenu aussi dans le documentaire Les grandes batailles - Allemagne, de Daniel Costelle (1973).

Edition : le livre est parmi les premiers de la collection Tempus des éditions Perrin. Il s'agit d'une réédition en format poche, donc, de l'ouvrage paru en 1998. Pas d'indice dans le livre laissant entrevoir une traduction, il est donc probable que Kageneck ait rédigé le texte en français. Aucun appareil critique, il n'y a que l'avant-propos de Kageneck qui fait à peine trois pages. Ce dernier explique avoir eu deux raisons d'écrire : la première, c'est la suggestion de son éditeur français, qui voulait un récit vivant de la façon dont les soldats allemands avaient combattu sur le front de l'est - Kageneck croit bon d'ajouter "à l'exclusion de toute idéologie", ce qui laisse songeur. La seconde, c'est qu'il veut répondre à une polémique née après la parution de son autre ouvrage, Examen de conscience : des lecteurs français auraient été choqués par le fait que Kageneck reconnaisse que la Wehrmacht avait sa part de responsabilité dans les crimes nazis. Ce dernier ne veut pas revenir complètement sur ce constat mais rétropédale quelque peu, ce que nous aurons l'occasion de constater, en effet. En outre, il écrit ici sur le 18. Infanterie Regiment de la 6. Infanterie Divison, celui où son frère a servi et a été tué, qui bénéficie de deux témoignages d'officiers survivants ayant été publiés, l'unité est donc bien couverte du côté allemand pour se prêter à un récit tel que voulu par l'éditeur français.

Illustrations/cartes : rien à part 2 cartes en tête d'ouvrage, assez illisibles, et qui couvrent seulement la période 1943-1944 (!) alors que le récit commence évidemment en 1941. Cela n'aidera pas le lecteur néophyte à se situer correctement... 

Analyse : on ne peut que constater ici que Kageneck reprend certains lieux communs des mémorialistes allemands que l'on trouve dès les années suivant la fin de la guerre pour tenter de se justifier quand à leur comportement durant le conflit sur le front de l'est. Ainsi en est-il de l'argument, utilisé dès les premiers jours de Barbarossa, pour massacrer les prisonniers soviétiques : l'Armée Rouge mutile les cadavres allemands (p.22). Ou bien d'un autre, celui selon lequel les soldats soviétiques sont en tenue de "non-combattant" (p.23) et donc exclus du droit de la guerre. Un peu plus loin, Kageneck évoque les discussions, parmi les officiers du régiment 18, sur le fameux "ordre des commissaires", qui implique l'exécution de tous les commissaires politiques soviétiques capturés sur le champ de bataille. L'ordre a sans suscité quelques remous, mais la recherche a bien montré ces dernières années que la très grande majorité des divisions allemandes l'ont appliqué, documents d'archives à l'appui - 90% au minimum selon les travaux de l'historien Felix Römer. De la même façon, Kageneck ne tranche pas véritablement quand il évoque la supposée attaque préventive de l'Allemagne contre une offensive soviétique en gestation (argument classique de la propagande nazie pour justifier Barbarossa)... P.31, Kageneck évoque une rafle que le régiment 18 a effectué le 5 juillet 1941, à Oszmania, précisant que "66 communistes et 33 hommes soupçonnés d'être des partisans" ont été arrêtés, et que la "presque totalité de la population était composée de Juifs". Or un massacre a eu lieu les 3-4 juillet dans la localité, au moins 40 personnes ont été abattues. Le 26 juillet, une sous-unité de l'Einsatzkommando 9 abat toute la population juive masculine de l'endroit (527 tués). On a donc du mal à croire comme l'affirme Kageneck un peu plus loin que les soldats allemands ignoraient tout des crimes commis sur le front de l'est (même s'il concède que des soldats, et pas seulement des SS, les ont perpétrés, ce qui est encore plus en décalage avec ce qui précède)... l'auteur a d'ailleurs une vision très sommaire de l'adversaire soviétique, dont il reconnaît le courage, l'excellence de certaines de ses armes (le char T-34, le canon de 76 mm), mais pour le reste, on a l'impression que les Allemands font face à une horde fanatisée par un régime totalitaire pire que celui des nazis. Comme souvent chez les mémorialistes allemands, Kageneck consacre l'essentiel aux premières années de la guerre à l'est : 125 pages entre le début de Barbarossa et la contre-offensive soviétique de décembre 1941, encore 35 pages aux combats du saillant de Rjev (certes peu connus des profanes)... sur 200. On en apprendra donc pas beaucoup sur la participation du régiment à la bataille de Koursk, face nord du saillant, avec la 9. Armee de Model - Kageneck parle de la présence de chars Staline côté soviétique, ce qui est faux, ce modèle n'entrant en service que plus tard ; ce n'est pas la seule erreur factuelle du livre, puisqu'il mentionne des soldats allemands tués par des "balles de kalachnikov" et des chars "T100"... l'auteur cite toutefois une opération contre les partisans à laquelle participe le régiment fin mai 1943, sans doute l'opération Freischütz. Il n'évoque pas en revanche l'implication de l'unité dans l'opération Büffel, au moment de l'évacuation du saillant de Rjev, une véritable politique de terre brûlée conduite par le même Model, pendant laquelle la 6. Infanterie Division a aussi pratique la lutte "antipartisans"... avec un nombre de morts adverses sans rapport au regard des armes récupérées. Peu de détails aussi sur la retraite vers le Dniepr, qui se transforme en courte litanie des pertes notamment en officiers. En 1944, le régiment 18 est au groupe d'armées Centre : juste avant l'opération Bagration, de nombreux officiers sont remplacés - Kageneck y voit presque une trahison pour affaiblir le dispositif avant l'attaque... l'unité disparaît dans le chaudron de Bobruysk, en Biélorussie. Kageneck expédie la suite en une page : la 6. Infanterie Division est reformée dès juillet 1944 comme 6. Grenadier Division puis 6. Volksgrenadier Division, elle est détruite en janvier-février 1945 pendant l'offensive soviétique Vistule-Oder. Elle est recréée une dernière fois comme 6. Infanterie Division en mars 1945 et combat durant les deux derniers mois, toujours à l'est. L'épilogue est à l'image du reste du livre. Kageneck se félicite de l'image laissée par le soldat allemand, dont la valeur a été reconnue par les chefs adverses, souligne la camaraderie qui survit à travers les rencontres d'anciens membres du régiment après la guerre, lesquels créent une association, et réussissent, après la fin de l'URSS, à ériger un monument à Rjev, en dépit des résistances locales.

Conclusion : plus qu'un livre d'histoire, un témoignage écrit par un acteur de la période, parlant de ses camarades et en particulier de son frère, mais avec un a priori précisé dans l'avant-propos qui se confirme à la lecture. Von Kageneck a du mal à se détacher d'une certaine lecture et d'une certaine appréhension, nourrie par le nazisme, de la guerre à l'est. Pas un livre d'histoire à proprement parler, donc.

 

 

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