" Historicoblog (4): David M. GLANTZ, Jonathan HOUSE, When Titans Clashed. How the Red Army Stopped Hitler, University Press of Kansas, 1995, 414 p.

samedi 2 janvier 2021

David M. GLANTZ, Jonathan HOUSE, When Titans Clashed. How the Red Army Stopped Hitler, University Press of Kansas, 1995, 414 p.

 

David Glantz est l'un des historiens américains qui a profondément renouvelé la vision de l'Ostfront pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est Directeur du Combat Studies Institute de Fort Leavenworth, au Kansas, depuis sa fondation en 1979 jusqu'en 1983, et directeur des opérations soviétiques du Center for Land Warfare de l'US Army War College à Carlisle, en Pennsylvanie, de 1983 à 1986. En 1993, il crée le Journal of the Slavic Military Studies. Glantz est sans doute l'un des meilleurs connaisseurs de l'Armée Rouge et du rôle de l'URSS dans la Seconde Guerre mondiale. C'est lui qui a remis à sa juste place l'effort soviétique qui est venu à bout des Allemands, tout en démontant toute une historiographie occidentale très influencée par les mémoires des généraux nazis survivants. Il participe aussi à la redécouverte de l'art opératif soviétique, de première importance pour l'armée américaine à la fin des années 70 et dans les années 80. Glantz s'est associé pour ce travail à Jonathan House, professeur au Gordon College en Géorgie.


Ce livre, qui n'est pas le premier de Glantz , est sans doute le plus abordable parmi sa nombreuse bibliographie. Le but de l'ouvrage est tout simplement de proposer un nouveau regard sur la Grande Guerre Patriotique, comme l'appelle encore les Russes : en effet, en 1995, la fin de l'URSS et l'ouverture des archives -temporaire- permet d'avoir accès à une nombreuse documentation qui va enfin autoriser, en Occident, à contrebalancer le récit classique fourni par les anciens militaires nazis dans le contexte de la guerre froide, où les Soviétiques sont devenus les adversaires, et donc accepté sans broncher par les Américains et d'autres. Il comprend quelques erreurs de détail (dans les pages sur Koursk, le Panther se retrouve affublé d'un canon de 88mm au lieu de 75, etc), mais il n'en est pas moins très instructif.


Les deux auteurs divisent le livre en plusieurs parties. La première fait le point sur les évolutions de l'Armée Rouge entre 1918 et 1941, à la veille de l'attaque allemande. La guerre civile russe est bien mise en avant comme un moment fondateur, qui va accoucher de l'art opératif, malheureusement sabré par les grandes purges de 1936-1938. Cependant, l'héritage se maintient à travers, par exemple, la prestation de Joukov à Khalkin-Gol contre les Japonais en 1939. Sont ensuite exposées les raisons du pacte germano-soviétique et les conséquences de la guerre désastreuse contre la Finlande, en 1939-1940. Celle-ci entraîne la mise en oeuvre d'un certain nombre de réformes qui ne sont pas achevées en juin 1941 : la Wehrmacht a donc attaqué au meilleur moment, face à un adversaire en pleine réorganisation. Suit un tableau des forces en présence et un point sur l'absence de réaction de Staline devant l'imminence évidente de l'attaque.


La guerre elle-même est divisée en trois grandes phases, à laquelle une partie est consacrée. La première va de l'invasion à décembre 1942. Cette période voit l'Armée Rouge subir des pertes catastrophiques (11 millions d'hommes, tués, blessés, disparus, prisonniers, fin 1942). Mais la machine de guerre tactique allemande n'a pu venir à bout des réserves soviétiques, et par ailleurs les survivants ont appris, dans le sang, les leçons de la Wehrmacht. La mobilisation industrielle de l'URSS est sans équivalent en face, et l'aide alliée joue aussi son rôle. Pour Glantz, l'échec de Barbarossa n'est pas seulement celui d'Hitler, mais aussi celui des officiers allemands qui ont appliqué des succès tactiques en Europe occidentale à une géographie orientale.


La deuxième période, de novembre 1942 à décembre 1943, constitue un tournant. Les Allemands perdent l'initiative et finalement la guerre, une grande partie du territoire russe est libérée. La Wehrmacht n'a plus assez d'hommes et pas assez de matériel en ligne malgré la mobilisation totale des ressources du IIIème Reich. Mais les Allemands ont aussi perdu parce que les chefs soviétiques, auxquels Staline fait désormais confiance, ont surclassé leurs opposants. Lors de la bataille de Koursk, ces officiers soviétiques montrent leurs capacités à tester des concepts opérationnels ou stratégiques, notamment dans l'emploi des blindés. Economiser du sang devient, également, un but recherché par l'Armée Rouge, ce qui n'est pas peu dire.


Lors de la troisième période du conflit, de janvier 1944 à mai 1945, les Allemands voient leurs pertes considérablement augmenter et dépasser même celles des Soviétiques. Cette phase est marquée par des combats proprement horrifiques, qui culminent en 1945 jusqu'à la prise de Berlin. Surtout, la victoire soviétique porte en germe la guerre froide avec l'occupation des territoires libérés en Europe centrale et orientale, d'où le déni occidental sur les performances de l'Armée Rouge qui devient bientôt l'ennemi.


En conclusion, Glantz et House rappellent que la guerre, pour les Soviétiques, ne s'arrête pas avec la capitulation allemande. En août 1945, l'Armée Rouge mène en effet une opération de grande envergure contre les Japonais en Mandchourie. Celle-ci devient un cas d'école de l'art opératif soviétique, à partir de celui développé et amélioré contre les Allemands. Les Soviétiques ont, pendant le conflit, supporté le gros de l'effort contre l'Allemagne nazie : les pertes russes sont là pour en témoigner, tout comme les pertes allemandes d'ailleurs. Cela ne veut pas dire que l'aide occidentale est à négliger : les Anglo-Américains, avec leur campagne de bombardement stratégique contre l'Allemagne (hors de portée de l'URSS), ont considérablement affaibli la Luftwaffe à l'et et ont permis à leur façon aux VVS de s'imposer. Le Lend-Lease a assuré la motorisation de l'infanterie soviétique et le succès de certaines des plus réussies des opérations en profondeur. La logistique soviétique doit aussi beaucoup à l'apport américain (locomotives, rations, métaux, etc). Pour Glantz, le rapport de forces entre les deux armées s'est en fait inversé durant le conflit, chacune prenant la place que l'autre occupait au départ. En revanche, les conséquences de la guerre pour l'Etat soviétique sont plutôt néfastes : si Staline a engrangé un prestige considérable, la peur de l'invasion conduit l'URSS à créer une zone tampon et à entretenir des Etats-clients partout à travers le monde, ce qui va gréver la reconstruction du pays ravagé par un conflit dantesque. Un poids lourd dont l'URSS ne se relèvera pas.


Cet ouvrage de synthèse a pour mérite essentiel de fournir une autre vision de la guerre à l'est. Glantz propose certes un récit plutôt soviéto-centré, mais sans négliger le bord allemand ni tomber dans une hagiographie trop visible côté russe. Après des décennies de bourrage de crâne par les mémorialistes allemands -récits encore très populaires aujourd'hui, il fallait bien qu'un jour arrive la vision de "ceux d'en face". Les cartes de l'ouvrage, nombreuses, mériteraient cependant d'être travaillées : visiblement ce n'est pas le point fort de Glantz, qui s'intéresse aussi surtout aux opérations terrestres, et assez peu à l'aviation, ce qui est un défaut, sans doute, là aussi. Les annexes sont cependant abondants et quelques pages reviennent sur les archives utilisées.

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