" Historicoblog (4): Walter S. DUNN, Soviet Blitzkrieg. The Battle for White Russia, 1944, Stackpole Military History Series, 2008 (1ère édition 2000), 248 p.

samedi 2 janvier 2021

Walter S. DUNN, Soviet Blitzkrieg. The Battle for White Russia, 1944, Stackpole Military History Series, 2008 (1ère édition 2000), 248 p.

 

Cet ouvrage est dû à la plume de Walter S. Dunn, auteur de plusieurs ouvrages sur le front de l'est. Comme le précise l'introduction, Dunn s'attache surtout à présenter un récit factuel de l'opération Bagration, en 2000, date où la bibliographie actualisée du sujet est encore assez réduite. Il explique d'ailleurs son choix de traiter les six percées de l'offensive les unes après les autres, malgré la redondance prévisible que cela peut entraîner, mais le choix est assumé. Pour Dunn, l'opération est en quelque sorte une "Blitzkrieg" à l'envers des Soviétiques, qui détruisent le Groupe d'Armées Centre grâce à 8 éléments différents qui fondent leur supériorité. On peut discuter du postulat de départ : Dunn applique à l'Armée Rouge le concept de la Blitzkrieg, alors que les travaux récents, des historiens allemands en particulier, invitent à prendre avec des pincettes ce qui a longtemps été monté en épingle... et qui n'est peut-être qu'une construction a posteriori. Il aurait donc mieux valu partir de l'art opératif soviétique, de son développement avant et pendant la guerre et de sa traduction dans Bagration.


Dans l'ordre, les 8 éléments relevés par Dunn sont : la supériorité locale (les Soviétiques ont su réaliser une concentration des forces qui leur permet de surclasser quantitativement et qualitativement les Allemands), la tromperie ou maskirovka pour les Soviétiques (masquer l'axe véritable de l'attaque pour éviter que les réserves blindées allemandes ne contre-attaquent au moment de l'exploitation : les Soviétiques ont convaincu Hitler que l'attaque aurait lieu vers Kovel, bien plus au sud), la surprise (les Allemands se sont accrochés aux Festungplatz décrétées par Hitler, Vitebsk, Orcha, Mogilev, croyant contrôler les routes pour les blindés : or les Soviétiques ont attaqué à travers des secteurs marécageux où les Allemands jugeaient tout assaut impossible, et ont utilisé les camions tout-terrain du Lend-Lease pour soutenir la percée, contournant et encerclant les places fortifiées), le commandement (les chefs soviétiques se montrent audacieux et foncent en avant, pariant sur l'effet de choc et la désorganisation des arrières allemands), le timing (les Soviétiques terminent leur déploiement initial en 6 semaines, soit deux fois moins de temps qu'à Koursk, le renseignement allemand perd de vue les unités déplacées et ne les découvre qu'au moment de l'attaque), l'utilisation du terrain (les Soviétiques contournent les villes forteresses en passant par des terrains plus difficiles, avec peu de routes, et progressent de 275 km en deux semaines), l'entraînement (les Soviétiques approfondissent la liaison air-sol, s'entraînent aux franchissements des cours d'eau et à l'installation de têtes de pont et à leur fortification pour la défense en cas de contre-attaque allemande, préparent les unités du génie à établir des routes à travers le marais, s'entraînent à employer les nouveaux matériels : canons de 76 mm modèle 1943, mitraillettes PPS, nouveaux canons d'assaut) et la technologie (les Allemands ne peuvent pas autant compter sur leur système ferroviaire à cause de l'action des partisans, leur logistique reste défaillante, les camions américains motorisent l'Armée Rouge et lui permettent de mener des opérations dans la profondeur avec l'infanterie portée, la supériorité aérienne soviétique est totale, les jours d'été longs favorisent l'offensive).


Pour Dunn, l'échec allemand dans Bagration est trop souvent mis sur le compte de l'entêtement d'Hitler à tenir les places fortifiées. En fait, l'échec du renseignement allemand est tout aussi patent, et le commandement croit encore au début de l'opération que c'est une diversion, que l'attaque principale va survenir vers Kovel. Dunn explique que Bagration est l'opération en profondeur type : tromperie de l'adversaire et concentration des forces réussies en font un modèle du genre, qui pour lui ne se reproduira plus trop ensuite, Staline ayant des exigences politiques pour l'après-guerre le poussant à demander d'aller vite plutôt que de planifier avec soin. Faute d'évoquer l'art opératif soviétique, le propos de Dunn est quelque peu incomplet. Pour ce dernier, l'offensive soviétique s'arrête, la logistique peinant, au 3 juillet, date où les Allemands reforment un front continu : il faudra 8 semaines pour arriver jusqu'à Varsovie, au prix de 180 000 pertes irrémédiables, soit autant que pour Bagration.


Assurément les chapitres initiaux du livre sont les meilleurs : la planification de Bagration, et surtout ceux concernant la bataille de la production et l'évolution respective des deux armées en présence juste avant l'offensive soviétique (l'apport des camions du Lend-Lease, les priorités données par les deux armées sont très bien passées en revue). En revanche, les chapitres concernant le déroulement des opérations sont très répétitifs et lassant, au final, d'autant plus qu'ils ne sont pas servis par des cartes convenables (au contraire des ordres de bataille, simples mais efficaces). Les successions d'armées, de corps et de divisions s'affrontant de part et d'autre se suivent dans un récit quasi médical, mais sans aucune émotion. Surtout, on aurait aimé quelques considérations sur la pensée soviétique (l'art opératif : ses composantes ne sont presque pas évoquées) et un peu plus de détails sur les engagements à l'échelon inférieur à la division (avec quelques exemples précis, qui pour le coup ne manquent pas sur le sujet), ainsi que des précisions sur les matériels engagés (corps blindés soviétiques, bataillons de Tigres allemands, etc). Enfin, la bataille reste surtout terrestre, l'appui de l'aviation soviétique n'étant abordé qu'en quelques lignes à chaque fois.


En conclusion, Dunn rappelle le rôle important joué dans Bagration par les deux corps mixtes cavalerie/mécanisé (un corps de cavalerie-un corps mécanisé) qui exploitent dans la profondeur la percée soviétique beaucoup mieux que la 5ème armée de chars de la Garde, la seule engagée dans l'offensive d'ailleurs. Les divisions d'infanterie et l'aviation ont liquidé les forteresses encerclées, où un grand nombre de prisonniers a été récolté. La maskirovka et la surprise ont permis pour la première fois aux Soviétiques de limiter les pertes, inférieures à celles des Allemands, au total. Alors que Staline accorde une plus grande confiance à ses généraux, Hitler les bride de plus en plus et accélère par son entêtement la déroute du Groupe d'Armées Centre ; l'attentat du 20 juillet, survenant deux semaines plus tard, ajoute encore à la confusion. La piètre performance de la 5ème armée de chars de la Garde s'explique d'ailleurs par des conditions météo assez instables pendant l'offensive. Les Soviétiques, par contre, ont fait un brillant usage du terrain, confinant les Allemands dans les villes que ceux-ci jugeaient imprenables, et filant par les bois et les marais. L'Armée Rouge perd 180 000 hommes dans Bagration, mais le Groupe d'Armées Centre, lui, compte au moins 130 000 tués et plus de 66 000 prisonniers, dont 57 000 sont d'ailleurs montrés à la foule lors d'une parade à Moscou, le 17 juillet. 25 divisions allemandes sont détruites. Bagration, succès de la planification soviétique, a ouvert la voie à l'occupation par l'URSS d'une bonne partie de l'Europe orientale : il n'y a pas eu de partage du monde à Yalta, mais simplement la prise en compte d'une réalité, à savoir que les Soviétiques avaient mis la main sur une moitié de l'Europe, en pulvérisant la Wehrmacht à l'est.

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