" Historicoblog (4): David M. GLANTZ, Operation Barbarossa. Hitler's invasion of Russia 1941, The History Press, 2011 (1ère éd. 2001), 319 p.

vendredi 1 janvier 2021

David M. GLANTZ, Operation Barbarossa. Hitler's invasion of Russia 1941, The History Press, 2011 (1ère éd. 2001), 319 p.

 

David Glantz est sans conteste l'un des grands spécialistes de l'Armée Rouge et du front de l'est pendant la Seconde Guerre mondiale. Glantz est l'un de ceux qui ont remis à l'honneur l'étude de l'Armée Rouge et expliqué comment celle-ci avait trouvé le moyen de battre la Wehrmacht. Il fait en particulier autorité sur les travaux qui concernent l'état de l'armée soviétique avant le déclenchement de Barbarossa. Ce livre sur cette dernière opération est une réédition de celui initialement paru en 2001 et qui est l'un des premiers que Glantz consacre à une campagne à proprement parler, après ceux sur Kharkov (1942) et Koursk (1943). Comme il le rappelle dans la préface, l'intérêt majeur de son ouvrage est de présenter, pour une fois, la dimension soviétique de Barbarossa, grâce à l'accès aux sources russes.


Dans le premier chapitre consacré aux préparatifs allemands et aux dispositions soviétiques, l'historien américain rappelle combien Hitler et ses généraux sous-estiment grandement le degré de concentration sur les frontières de l'Armée Rouge et négligent l'importance des réserves soviétiques. La multiplication des objectifs disperse une Wehrmacht déjà bien inférieure numériquement. L'Armée Rouge, quant à elle, prévoit de contre-attaquer en cas d'offensive allemande, d'où la concentration aux frontières. Mais les réserves ne sont pas toutes en place et surtout, le gros des forces est au sud, en Ukraine, alors que l'effort allemand principal porte au centre et dans une moindre mesure au nord. L'armée allemande compte à nouveau sur des encerclements massifs, en oubliant un peu vite qu'elle a souvent manqué d'infanterie pour les "boucler" correctement. La Luftwaffe reste une arme d'appui au sol et ne peut mener de bombardements stratégiques. La logistique allemande est défaillante et la production de guerre n'est pas à plein régime. Quant à l'Armée Rouge, elle est en pleine transition et l'attaque allemande survient donc au pire moment. Sur le long terme cependant, elle a déjà le potentiel qui va lui permettre de renverser la vapeur. Staline refuse quant à lui de voir les signes avant-coureurs de Barbarossa.


La bataille des frontières s'étend du 22 juin au 9 juillet 1941. Les Allemands s'enfoncent de 600 km à l'intérieur de l'URSS et détruisent le premier échelon stratégique de l'Armée Rouge. Les pertes soviétiques sont énormes. Pourtant, la progression n'est pas la même partout, le Groupe d'Armées Sud étant en retard sur le programme. En outre, les généraux allemands constatent que le renseignement a gravement sous-estimé l'ampleur des forces soviétiques. Enfin, le frontovik se bat avec beaucoup plus de ténacité que ne l'escomptait Hitler.


L'attaque allemande entraîne des changements importants côté soviétique qui vont s'avérer, à terme, décisifs. Le commandement est rationalisé : Commissariat du Peuple à la Défense, Stavka, état-major général de l'Armée Rouge, mais aussi commandants de théâtres quelque peu trop importants et rôle renforcé des commissaires politiques, pour le meilleur et pour le pire. En raison des pertes subies en hommes et en matériels, les grandes unités typiques de l'Armée Rouge au déclenchement de Barbarossa sont supprimées et remplacées par des structures plus petites et plus souples. Le système de mobilisation soviétique joue à plein et permet à l'Armée Rouge de tenir malgré la perte de plus de 4 millions d'hommes en 1941. 1 360 usines militaires sont évacuées à temps hors de portée de l'aviation allemande, même si la production mettra un an avant de revenir à des niveaux acceptables. En revanche, les Soviétiques ne peuvent appliquer partout la politique de la terre brûlée, et une bonne partie du potentiel industriel et agricole tombe entre les mains des Allemands.


Du 10 juillet au 10 septembre 1941, l'Armée Rouge freine l'avance allemande devant et autour de Smolensk. La Stavka lance contre-attaque sur contre-attaque mais assigne à des forces heurtées et encore fragiles des objectifs sans proportion avec leurs capacités réelles. Les cadres de l'Armée Rouge n'ont pas encore suffisamment d'expérience pour mener de telles opérations et la Stavka n'a pas l'infrastructure ni la logistique pour appuyer des opérations mobiles. Celle-ci ne le comprendra qu'à la mi-1942. D'où le silence de l'historiographie soviétique sur ces opérations. En revanche, la bataille devant Smolensk, qui semble bloquer la progression sur Moscou, pousse Hitler à rechercher la décision sur les ailes.


Du 10 juillet au 30 septembre 1941, l'avance reprend sur Léningrad, au nord. L'Armée Rouge ne cesse de lancer des contre-attaques concentriques sur les pointes allemandes et l'avance quotidienne de la Wehrmacht, d'ailleurs, diminue au fil des mois. Elle arrête les Allemands aux portes de Léningrad, alors que ceux-ci ont encore tendance à disperser leurs attaques dans de multiples directions. Ce qui n'empêche pas Hitler de vouloir raser la ville avec son artillerie après avoir établi le siège.


Durant la même période se déroule, au sud, la bataille pour Kiev. Deux encerclements massifs à Uman en juillet et surtout à Kiev en septembre éliminent un million de soldats soviétiques de l'ordre de bataille de l'Armée Rouge. Est-ce pour autant un succès pour l'Armée Rouge que d'avoir retardé la poussée au centre, sur Moscou ? Glantz semble penser que l'avance sur les ailes a anéanti des effectifs qui auraient pu servir à bloquer le renouveau de la progression allemande sur la capitale. En outre, la Stavka a lancé des offensives coûteuses devant Smolensk, ce qui réduit encore les effectifs disponibles pour le déclenchement de Taifun.


Au 30 septembre, la Wehrmacht a avancé de 800 km sur un front de 1 650 km. Pourtant, les objectifs prévus -capturer Moscou le 15 août et terminer la guerre le 1er octobre- sont loin d'être atteints. Hitler est cependant confiant lorsqu'il lance, à partir du 3 octobre, la Wehrmacht à l'assaut de Moscou. De gigantesques encerclements à Viazma et Briansk privent encore l'Armée Rouge d'un million d'hommes supplémentaire, l'URSS ayant déjà perdu aussi la moitié de sa capacité de production et une bonne partie du territoire européen. Et pourtant les germes de la défaite sont déjà là. Pour réduire les encerclements, le Groupe d'Armées Centre a dû déployer l'essentiel de son effectif et n'a pas exploité le succès par une percée sur Moscou. Le temps se dégrade rapidement et les premières réserves soviétiques arrivent autour de la capitale.


Au 1er novembre, les Allemands ont déjà perdu près de 700 000 hommes, 20% de l'effectif initial. Un tiers des véhicules seulement est en état de marche et la logistique est cauchemardesque. La Wehrmacht doit absolument prendre Moscou avant l'hiver pour l'emporter. Or, le 4 décembre, l'avance allemande est bloquée devant la ville. L'Armée Rouge tient également Léningrad et Rostov, deux objectifs importants pour Hitler. Mais le coût est terrible : deux millions d'hommes perdus depuis le 1er octobre, sans doute pas loin de 6 millions depuis le 22 juin, soit l'intégralité de l'Armée Rouge du temps de paix. Mais les restes expérimentés de cette débâcle contribuent à freiner l'avance allemande tandis que de nouvelles formations sont levées.


Les Allemands ont avancé de 900 à 1 200 km à l'intérieur du territoire soviétique et mis la main sur 77 millions d'habitants. Ils ont capturé la moitié du potentiel économique et le tiers de l'agriculture de l'URSS. Malgré cela, la Stavka a réuni suffisamment de réserves pour freiner l'avance allemande puis passer à la contre-attaque. Celle-ci, déclenchée dès le 5 décembre, renverse en dix jours la situation : le mythe de l'invincibilité allemande est fracassée, l'initiative stratégique repasse aux Soviétiques même si les ambitions démesurées de Staline vont faire échouer l'offensive consécutive.


Colosse aux pieds d'argile en juin 1941, l'Armée Rouge l'était certainement. En pleine transition après l'expérience désastreuse de la guerre contre la Finlande, stratégiquement minée par les conquêtes de 1939-1940, l'Armée Rouge reste une armée de temps de paix au déclenchement de Barbarossa. Lorsqu'elle est détruite dans les six premiers mois de l'offensive, ses survivants sont forgés par le feu. Axée sur l'offensive, cette armée a dû mener d'abord des opérations défensives pour lesquelles elle était mal préparée. Incapable d'organiser une défense en profondeur, elle a pourtant exercé une terrible usure sur l'armée allemande. Reprenant l'offensive devant Moscou, l'Armée Rouge profite des erreurs stratégiques allemandes et met un point final à Barbarossa, qui se termine en échec stratégique. L'art de la guerre soviétique commence à s'exprimer avec cette contre-attaque qui voit l'engagement judicieux de réserves, l'utilisation de la surprise et le choix correct de l'effort sur l'ennemi. La débâcle soviétique dans Barbarossa est d'abord liée à des problèmes de structure : ainsi les armes du génie, des communications et même de l'artillerie ont été négligées. Les pertes humaines et matérielles sont conséquentes : au moins 4,5 millions d'hommes dont plus de 3 millions de tués, 20 000 chars, 100 000 pièces d'artillerie, près de 18 000 avions. Mais le comportement brutal des Allemands donne naissance aux premiers mouvements de partisans ; la propagande soviétique met en avant la "Grande Guerre Patriotique". Côté allemand, Barbarossa se termine par la perte de près d'un million d'hommes, un niveau encore jamais atteint. Plus grave, une crise du commandement se fait jour, entre Hitler et ses généraux, car l'armée allemande, tout simplement, n'a pas été conçue pour mener cette guerre à l'est. Pour Glantz, le facteur décisif est bien l'organisation des réserves par l'Armée Rouge qui, sur le long terme, émousse définitivement les forces de la Blitzkrieg. En outre, l'URSS est engagée dans une mobilisation totale dès décembre 1941, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne. Il ne faut pas chercher plus loin les causes de l'échec de Barbarossa.


On pourra reprocher à Glantz quelques erreurs de détail (invasion du Danemark et de la Norvège en février-mars 1940 dans les premières pages...), l'absence de cartes en parallèle du texte (elles sont à la fin) et comme souvent, le manque de considérations sur la dimension aérienne surtout, navale dans une moindre mesure. Il n'en demeure pas moins que son ouvrage est indispensable à qui veut comprendre les tenants et les aboutissants de Barbarossa et de son échec final. A déguster sans modération, avec le livret photo central, la bibliographie et les annexes fort utiles en fin de volume.

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