" Historicoblog (4): Soldats d'Assad 7/Fawj al-Maghawir al-Bahar [avec M. Morant]

mercredi 1 novembre 2017

Soldats d'Assad 7/Fawj al-Maghawir al-Bahar [avec M. Morant]

Quand on évoque Fawj al-Maghawir al-Bahar (littéralement le Régiment des Commandos-Marins), on mesure combien la Russie joue un rôle essentiel dans le reformatage des forces du régime syrien. Issu d'une autre milice syrienne, Suqur al-Sahara, parfois assez rétive à l'autorité de Bachar al-Assad, ce régiment a été mis sur pied par le renseignement militaire, un des organes des mukhabarat, et il est largement encadré par les forces russes. Son intégration dans le fameux 5ème corps d'armée mis sur pied par Moscou fait débat, toujours est-il que l'on ne peut que constater la volonté russe de créer des éléments plus solides côté syrien et qui soient aussi plus fidèles -autant sinon plus à Moscou qu'à Damas. La pénurie d'effectifs du régime ne laisse en effet d'autre choix que d'utiliser au mieux le vivier de miliciens disponibles, en les réincorporant dans un cadre plus régulier.




Historique


Fawj al-Maghawir al-Bahar (Régiment des Commandos-Marins) est une unité du régime syrien issue pour partie d'une milice, Suqur al-Sahara (Les Faucons du Désert), dirigée par Muhammad Jaber, et dont le chef est Aymenn Jaber, le frère du précédent. Aymenn Jaber est un magnat du pétrole, un gros investisseur dans le holding Cham Capital et partenaire d'Addounia TV, un média pro-régime. Cette unité a été créée et entraînée par Mohsen Saïd Hussein, originaire du village d'al-Sisiniya dans la province de Tartous, et tué dans les combats autour du champ gazier d'al-Shaer en novembre 2014 contre l'EI. Il avait joué un rôle important dans le blocage de l'offensive rebelle au nord de la province de Lattaquié au printemps 2014, et dans les combats des Faucons du Désert dans l'Est syrien -ce qui lui avait valu le surnom de « Lion du Désert ». Selon des sources russes, le Régiment des Commandos-Marins syriens aurait été bâti grâce aux conseillers militaires russes, puis intégré dans la Garde républicaine. C'est ce que prétend également le site pro-russe, et pro-régime syrien, South Front, qui place le régiment sous l'autorité de la 103ème brigade de la Garde Républicane. Pour Tom Cooper, l'unité est encadrée par la branche du renseignement militaire des mukhabarat, ce qui correspond peut-être à Mohsen Saïd Hussein, qui fait effectivement partie de ce service. Le Régiment des Commandos-Marins, comme Suqur al-Sahara, serait composés à la fois d'anciens soldats de l'armée syrienne mais aussi de réservistes de l'ancienne petite infanterie navale d'avant la révolution de 2011. L'unité est engagée au combat dans l'offensive au nord de la province de Lattaquié, largement pilotée par la Russie, mais où sont impliquées de nombreuses milices du régime syriennes ou étrangères, dès le mois de janvier 2016.

Les frères Jaber, Aymenn, chef du Régiment de Commandos-Marins à gauche, et Muhammad, patron de Suqur al-Sahara à droite.

Le Régiment des Commandos-Marins serait arrivé dans le secteur de Palmyre une dizaine de jours avant la première reprise de la ville par le régime, en mars 2016, avec Suqur al-Sahara. Almasdarnews, site pro-régime bien connu, prétend qu'ils auraient été victimes d'un tir fratricide russe, tuant 17 soldats dont un officier, Ali Rahmoun, et en blessant 26 autres. Le 21 mars, l'unité aurait été frappée par un véhicule kamikaze de l'EI. Dès les derniers jours de mars, après la reprise de Palmyre, le Régiment des Commandos-Marins est ramené dans la province de Lattaquié pour combattre dans la montagne Turkmène et la montagne Kurde (Jabal al-Akrad). Début juin, on les retrouve pourtant engagés, aux côtés de Suqur al-Sahara et d'autres milices, dans l'offensive en direction de Raqqa sur la route Ithriya-Tabqa, qui va s'achever en désastre pour le régime avec une brutale contre-offensive de l'EI.

2017.


En juillet 2016, le Régiment des Commandos-Marins reprend le village de Saraf, au nord de la province de Lattaquié, que les djihadistes et rebelles avaient reconquis fin juin. Début septembre 2016, le site South Front annonce qu'un millier de membres du Régiment des Commandos-Marins ont achevé leur formation et ont peut-être rejoint le front au nord de la province de Lattaquié (sans confirmation définitive). Fin novembre 2016, ils sont redéployés de la province de Lattaquié vers Alep, pour l'offensive finale du régime qui va conduire à la chute de la ville.

Certains spécialistes pensent que le Régiment des Commandos-Marins a été rattaché au 5ème corps de l'armée syrienne, créé par la Russie après le désastre de Palmyre en décembre 2016, équipé de matériel russe et engagé au combat dès janvier 2017 autour de la base T4. En février, selon Almasdarsnews, 900 personnels du Régiment des Commandos-Marins rejoignent, sur autorisiation du ministère de la Défense, Quwat Dir’ al-Amn al-Askari, une milice tenue par le renseignement militaire, plutôt que d'intégrer l'armée. Cela ne saurait surprendre si le renseignement militaire est également à l'origine du Régiment des Commandos-Marins... En mars 2017, des membres de l'unité accompagnent, semble-t-il, les forces russes qui s'interposent entre l'armée turque et ses alliés rebelles syriens, et les SDF, à l'ouest de Manbij. Le Régiment des Commandos-Marins opère aussi contre les rebelles dans le nord de la province de Lattaquié. En avril 2017, le Régiment de Commandos-Marins est vu avec des chars T-62M et de véhicules blindés BMP-1 qui ont été livrés par la Russie au nouveau 5ème corps -difficile d'être définitif sur l'inclusion du régiment dans cette nouvelle formation. Ils alignent aussi des canons automoteurs 2S1 Gvozdika de 122 mm. En mai 2017, le Régiment des Commandos-Marins mène un exercice conjoint dans le port de Tartous avec les fusiliers marins russes.

Fin juin-début juillet 2017, le Régiment des Commandos-Marins est impliqué, avec Suqur al-Sahara, dans l'offensive du régime contre les positions de l'EI dans l'est de la province de Hama. Le 23 juillet 2017, la page Facebook de Suqur al-Sahara, qui a des liens étroits avec le Régiment des Commandos-Marins, est fermée, de même que d'autres affiliées à la milice. On prétend que Muhammad Jaber, le chef de la milice, serait en fuite en Russie. La page du Régiment des Commandos-Marins dément ces informations. En septembre, des conseillers militaires russes visitent les installations de l'unité à Masyaf (province de Hama).

Lors d'une session d'entrainement, un commando marin syrien s'exerce au tir avec un lance-grenades automatique AGS-17 (Facebook, 2017).


Le 4 octobre 2017, des éléments du Régiment des Commandos-Marins (10ème compagnie) stationnent sur la base T4 à l'ouest de Palmyre. Le 7 octobre 2017, un convoi quitte la province de Lattaquié pour l'est de la province de Homs, afin de dégager la route Palmyre-Suknah attaquée par l'EI. Dès le lendemain, on peut les voir autour d'al-Qarytayn, localité reprise par l'EI à la faveur de cette contre-attaque sur les voies de communication du régime engagé autour de Deir Ezzor.


Octobre 2017.





Propagande


Le Régiment des Commandos-Marins utilise plusieurs emblèmes différents. L'emblème principal, que l'on retrouve maintenant le plus souvent, montre une ancre de marine, avec de part et d'autres les deux étoiles du drapeau syrien, et 2 AK-74 entrecroisés par dessus ; en bas apparaît le nom de l'unité. Le patch d'épaule, qui existe en deux versions au moins, comprend un aigle dans lequel apparaît le drapeau syrien, et une inscription renvoyant au nom de l'unité. Un autre emblème qui apparaît notamment sur les véhicules de l'unité montre l'aigle avec leurs couleurs du drapeau syrien, comprenant au centre le portrait de Bachar el-Assad, environné par la mer et entouré de cercles où l'on retrouve les couleurs et les étoiles du drapeau, le nom de l'unité en haut et, en bas, le verset 23 de la sourate al-Ahzab (Les coalisés) : « Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Allah ».

L'emblème principal du Régiment des Commandos-Marins.

Une des versions de l'emblème d'épaule de l'unité.

Autre emblème de l'unité que l'on voit notamment sur les véhicules.


Les fusiliers marins commandos communiquent essentiellement via Facebook sur les réseaux sociaux. Plusieurs pages sont liées à l'unité. L'une d'entre elles concerne même une subdivision dont la publicité est assurée par l'un de ses membres. La plupart des images de défilés sont prises dans la base d'al-Sanobar, qui sert de QG à l'unité, au sud de Lattaquié.

Le Régiment de Commandos-Marins a une de ses bases à al-Sanobar, au sud de Lattaquié.


Ces pages diffusent souvent le portrait de Bachar el-Assad. Il y a aussi des portraits ou montages photos sur Aymenn et Mohammed Jaber, respectivement chef des fusiliers marins commandos et de Suqur al-Sahara. On trouve aussi des portraits du général Hassan, le chef des Tiger Forces.

Le 6 octobre, une des pages commémore le déclenchement de la guerre du Kippour contre Israël en 1973.

En septembre 2017, l'une des pages diffuse de nombreuses photos d'entraînement de l'unité.

Une des pages, le 9 octobre 2017, rend hommage à un des membres de l'unité, originaire de la province de Lattaquié, tué au combat : Safwan Saleh Ahmed.



Armement, matériels, équipement


À l'image des Suqur al-Sahara, les Maghawir al-Bahar s'appuient pour l'essentiel sur une flottille de pickups 4x4, transformés en véritables automitrailleuses légères, et pour certains équipés d'un blindage improvisé, protégeant la cabine et les servants des armes emportées : 4x4 Chevrolet Silverado, GMC Sierra 2500HD, et les éternelles Land Cruiser Toyota, modèle EFI 4500, constituent l'essentiel de cette flotte, et sont équipés de mitrailleuses légères DShK et Type-54 de 12,7 mm, mitrailleuses lourdes KPV de 14,5 mm, ZPU-4 de 14,5 mm, canons bitubes ZU-23-2 de 23 mm, et lance-roquettes multiples Type-63 de 107 mm.

Alignement de pickups Toyota Land Cruiser armés de bitubes ZU-23 des Maghawir el-Bahr, dont l'insigne est clairement visible sur les portières des véhicules. On distingue à l'arrière plan des camions Ural-4320, partiellement blindés. La photo est prise dans la base d' Al-Sanobar (Facebook, 2017).


Le transport des troupes est assuré par des camionnettes Hyundai HD65, dont certaines ont été modifiées et légèrement blindées, soit pour protéger un minimum les occupants de la ferraille du champ de bataille, soit pour servir de guntrucks. Des camions Ural-4320 dotés de kits de blindages, assurant une protection de la cabine et du compartiment moteur, ont été livrés par les Russes.

La vidéo d'une parade militaire diffusée en février 2017 sur les réseaux sociaux démontrent que les Maghawir al-Bahar disposent de leurs propres soutiens d'artillerie, obusiers D-30 de 122 mm, lance-roquettes multiples BM-21, et obusiers automoteurs 2S1. Les BM-21 ont été prélevés sur les stocks de la Marine syrienne.

Sur la base d' Al-Sanobar, un guntruck, sur le châssis d'une camionnette Hyundai et armé d'un canon M1939 de 37 mm, précède trois lances-roquettes multiples BM-21 sur châssis Ural-375D. Des guntrucks, composés de canons S-60 de 57 mm montés sur châssis Scania sont également alignés par l'unité. (Facebook, 2017).



L'unité est en partie mécanisée : des documents publiés sur les réseaux sociaux prouvent que les Maghawir alignent plusieurs véhicules de combat d'infanterie BMP-1, dont certains ont été équipés de blindages supplémentaires de type « SLAT armor », fabriqués localement. Il est fort probable qu'à l'image des Suqur al-Sahara, quelques BMP-2 aient été livrés (l'offensive menée dans la région de Salma, province de Lattaquié, en janvier 2016 avait déjà révélée la présence aux côtés des Suqur al-Sahara et des commandos-marins, fer de lance de l'opération, de véhicules blindés BTR-80).

Quatre obusiers automoteurs 2S1 de 122 mm sont alignés sur la base Al-Sanobar durant une parade militaire.


Plusieurs chars de combats sont à la disposition des commandos marins, des T-55, au moins un T-72AV, et et des T-72M1, dont au moins un exemplaire est équipé de blindages supplémentaires de type « SLAT armor », ces chars ayant été prélevés sur les stocks de la Garde Républicaine. Employés pour la première fois au combat en Ukraine en 2014 et 2015, la présence de T-72B3 est également documentée sur le théatre d'opération syrien à partir de février 2017. A la fin du mois de juin 2017, un important convoi des Suqur al-Sahara est filmé prenant la direction de Salamyeh, au sud-est d'Hama : au moins deux T-72B3 sont présents parmi les véhicules et blindés filmés. Les images des combats diffusées par la suite vont montrer l'insigne des Maghawir al-Bahar clairement présent sur le glacis de ces deux chars.

Un char de combat T-72B3 des Maghawir el-Bahr, nouveauté sur le théatre d'opération syrien, est engagé en appui de l'offensive lancée dans l'est de Hama en juillet 2017. (Suliman Mansor /Alghadeer TV / Facebook).

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