" Historicoblog (4): Albert CASTEL et Tom GOODRICH, Bloody Bill Anderson. The Short, Savage Life of a Civil War Guerrilla, University Press of Kansas, 1998, 170 p.

vendredi 25 août 2023

Albert CASTEL et Tom GOODRICH, Bloody Bill Anderson. The Short, Savage Life of a Civil War Guerrilla, University Press of Kansas, 1998, 170 p.

 

Au nom de Bloody Bill Anderson, certains penseront peut-être à la scène initiale du film Josey Wales hors-la-loi (1976), où le personnage incarné par Clint Eastwood rejoint la bande de Bill Anderson après avoir vu sa famille massacrée par des maraudeurs nordistes - le western, révisionniste, présente une image très idéalisée et déformée de Bloody Bill. Plus juste sans aucun doute est la représentation de Bloody Bill dans le film Chevauchée avec le diable (1999), où il est incarné par Jim Caviezel. Les deux historiens, tous les deux spécialistes de la guerre de Sécession (Castel, spécialiste du théâtre ouest de la guerre de Sécession, est mort en 2014 ; , visent ici à présenter la biographie la plus complète possible d'un homme dont le nom reste entouré de légendes, dorée ou noire.



Dès le milieu des années 1850, la guerre fait déjà rage aux confins ouest des Etats-Unis. Les habitants du Missouri, pour beaucoup partisans de l'esclavage, veulent transformer en Etat esclavagiste le territoire du Kansas, de plus en plus peuplé de gens de l'est, abolitionnistes. Aux "Border Ruffians", guérilleros sudistes du Missouri, s'opposent les Jayhawkers nordistes, mais les raids de ces irréguliers tournent souvent au crime crapuleux, sans distinction de parti. Quand la guerre éclate, la Confédération ne parvient pas à s'implanter militairement et politiquement dans le Missouri, malgré le soutien actif de la moitié ouest de l'Etat. L'Union ayant le dessus, il ne reste plus aux partisans les plus décidés du Sud que la guérilla : ce seront les fameux "bushwackers".

La famille Anderson s'est installée avant la guerre au Missouri, à Huntsville, puis au Kansas. Bill, né en 1839 dans le Kentucky, a servi comme conducteur de convoi sur la fameuse piste de Santa Fe, où il inaugure ses premiers détournements crapuleux. En 1861, Anderson est avec Arthur Ingram Baker d'Agnes City, un notable qui forme son groupe de Jayhawkers. Après le démantèlement de la bande par l'armée et l'arrestation de Baker, Anderson se met à son compte et rançonne surtout des Unionistes, mais à ce moment-là sans aucune motivation politique. En mai 1862, Baker tue le père Anderson suite à une querelle à propos d'une soeur de Bill, qu'il a courtisée avant de se marier avec une autre. Les fils prennent la fuite mais en juillet, Bill et Jim Anderson reviennent et tuent Baker et un homme qui l'accompagnait, déjà de manière particulièrement cruelle : blessés à coups de pistolet, ils sont enfermés dans une cave et brûlés vifs. Anderson tienne à ce qu'on se souvienne de ses méfaits...

Les frères Anderson opèrent ensuite dans l'est du Kansas. Quand Quantrill arrive à l'automne 1862, il leur reproche de s'attaquer aussi à des partisans du Sud, ce que Anderson ne lui pardonnera jamais véritablement. Les frères Anderson passent alors dans l'ouest du Missouri. Ils rejoignent la bande de Yager pour un raid dans le Kansas. C'est seulement en juillet 1863 que le nom de Bill Anderson apparaît dans les textes nordistes. A la tête d'une petite bande, il a déjà à ses côtés Archie Clement, vrai tueur sadique qui scalpe ceux qu'il tue. Ewing, le général nordiste qui commande le district de la frontière, prend alors des otages dans les familles des bushwackers, ce qui n'avait jamais été fait, dont les 3 soeurs d'Anderson, maintenues en détention dans un bâtiment vite reconverti en prison à Kansas City. A la suite d'un défaut de construction et de négligence des geôliers, le bâtiment s'écroule le 13 août 1863, tuant une soeur Anderson et blessant gravement les deux autres. Fou de rage, Anderson se transforme en brute sanguinaire lors du raid monté par Quantrill sur la ville de Lawrence, au coeur du Kansas, le 21 août : il abat de sa main 14 hommes sur les 200 victimes, environ, causées par le raid.

 

En octobre 1863, alors que les bushwhackers se replient au Texas pour l'hiver, ils massacrent non loin de Fort Scott, à Baxter Springs, tout une colonne accompagnant le général Blunt, qui parvient à prendre la fuite - dont la fanfare de la troupe, qui comprenait un garçon de 12 ans. L'hivernage au Texas se passe mal, les autorités confédérées constatant le caractère imprévisible de ces guérilleros. Anderson se querelle avec Quantrill et surtout avec George Todd, un autre brutal chef de bande. Finalement, Quantrill, qui pense avoir réussi coup de maître avec le raid sur Lawrence et a accepté un grade d'officier dans l'armée confédérée, cède le premier rôle dans la guérilla au Missouri à Todd et Anderson, qui attendent l'invasion programmée du Missouri par l'armée confédérée du général Price, à l'été 1864. Les bushwhackers préfèrent d'ailleurs suivre ces deux chefs car ils ont l'assurance qu'ils pourront tuer à loisir des nordistes, piller et donne libre court à leur haine débridée. C'est à partir de ce moment-là qu'Anderson prend l'habitude, avec certains de ses hommes, de scalper certaines de ses victimes -Archie Clement notamment, qui adore jouer avec son couteau... le 1er août, il manque toutefois de se faire prendre par des miliciens faute d'avoir suffisamment placé de sentinelles autour de son point de chute. A l'été 1864, Anderson est devenu le chef de bande le plus redouté par l'Union dans le Missouri. Son groupe s'étoffe à plus d'une centaine d'hommes, dont les frères Frank et Jesse James. En septembre 1864, Anderson perd 6 hommes face à des miliciens nordistes qui, à leur tour, tuent et scalpent les prisonniers lors d'un raid sur Fayette. Il montre toutefois, dans les semaines suivantes, que l'Union n'arrive pas à contrôler efficacement le territoire de l'Union, en particulier la voie de chemin de fer qui court de Saint-Louis à l'Iowa, au nord. Il faut dire que le Missouri a été ponctionné de troupes régulières nordistes pour soutenir la campagne du général Grant à Vicksburg, en 1863 : il n'y reste plus que 4 régiments de cavalerie en plus d'unités de miliciens, le 2ème Colorado et le 1er Iowa, qui essaient de tenir la dragée haute aux bushwhackers, tandis que le 17ème Illinois et le 15ème Kansas, dont le commandant est le jayhawker Jennison, laissent franchement à désirer. Les cavaliers nordistes sont aussi handicapés par un armement souvent inférieur : ils sont équipés de fusils à chargement par la bouche ou de fusils à un coup, tandis que les bushwhackers se munissent de paires de pistolets Colt Navy pour les engagements à courte portée et bénéficier d'une grande puissance de feu - les chefs comme Anderson en ont au moins 6 sur eux ou leur monture. Par ailleurs Anderson généralise, durant ses raids, la vieille tactique consistant à porter l'uniforme de l'ennemi pour le surprendre - ce qui ne manque pas aussi de provoquer des méprises, parfois, entre groupes de bushwhackers qui se tirent dessus.

Le 27 septembre, la bande d'Anderson investit la ville de Centralia, sur la ligne de chemin de fer qui traverse le Missouri. Les bushwhackers dévalisent une diligence, puis font stopper un train qui arrive de l'est et qui comprend notamment des permissionnaires nordistes de l'armée de Sherman qui vient de prendre Atlanta. Les soldats sont tous abattus après avoir été désarmés et déshabillés, sauf le sergent Goodman, du génie, de l'Iowa qu'Anderson épargne pour l'échanger contre un bushwhacker prisonnier. Les guérilleros incendient une partie de la gare et lancent le train à toute vitesse à contresens. En quittant la ville, rançonnée, ils arrêtent un autre train de construction qu'ils détruisent. Le major Johnston, qui commande un détachement du 39ème Missouri constitué de soldats à pied montés à cheval, et qui poursuivait une autre bande de bushwhackers, arrive alors à Centralia. Il va chercher le contact avec les guérilleros confédérés qui sont encore visibles à l'horizon. Mal lui en prend : ses 115 hommes doivent faire face à trois fois plus de bushwhackers, qui les attirent dans un piège grâce à la retraite feinte, tactique chère aux guérilleros. Avec leur fusil à un coup, les miliciens nordistes, démontés, sont anéantis par la charge tonitruante des bushwackers et le feu roulant de leurs multiples Colt Navy .36. Les guérilleros poursuivent les fuyards jusque dans Centralia. Dave Poole, un des lieutenants d'Anderson, saute de corps en corps sur le champ de bataille pour compter les cadavres. Une douzaine de corps sont scalpés, dont celui du major Johnston. D'autres sont décapités. Oreilles, nez, yeux, bras, mains, pieds et jambes sont arrachés sur certains cadavres. Un autre milicien est émasculé vif et ses parties génitales fourrées dans sa bouche. Une centaine de morts en tout contre 2 tués et 1 blessé mortellement chez les bushwhackers. Par cette boucherie, Anderson devient le chef bushwhacker par excellence et l'homme à abattre pour le Nord - encore davantage que Quantrill.

Goodman, prisonnier des bushwhackers, les accompagne jusqu'au 7 octobre, où il arrive à leur fausser compagnie. Il écrira un témoignage précieux sur leur façon d'opérer et d'être au quotidien, et sera étonné de voir comment ils sont organisés et font montre d'une réelle efficacité sur le plan militaire. Anderson rejoint l'armée de Sterling, qui a enfin envahi le Missouri, à Boonville, le 10 octobre. Faute d'hommes et de soutien, l'invasion confédérée du Missouri se transforme en anabase. Horrifié par les scalps attachés à la selle d'Anderson, Price est pourtant bien obligé de l'enrôler, étant à court de moyens pour faire du tort à l'Union et ne souhaitant pas se mettre un tel homme à dos. Le 21 octobre, Anderson et son aide investissent la maison de Benjamin Lewis, un notable nordiste fortuné de la ville de Glasgow. Ce dernier est quasiment battu à mort par Anderson et son aide pour l'obliger à livrer tous ses biens (il mourra en 1866). Anderson viole aussi avec son comparse une jeune servante noire : un tabou est encore rompu, les bushwhackers étant par principe respectueux des femmes, même si ceux d'Anderson en avaient déjà battu ou malmené par le passé. Les hommes d'Anderson reviennent d'ailleurs plus tard dans la maison évacuée par ses occupants et violent encore 2 domestiques noires qui étaient restées. Le même jour, Todd est tué : Anderson domine la scène. Mais il est finalement rattrapé par la mort : le 27 octobre, près d'Albany, le lieutenant-colonel Cox, qui dirige des miliciens montés des 33ème et 51ème Missouri de la milice, tend une embuscade aux bushwhackers en utilisant leur propre tactique, la retraite simulée. Anderson, qui charge à la tête de ses hommes, est lardé de balles. Une fois son corps identifié, il est ramené à Richmond, où il est photographié par le dentiste local, Kice.

La mort d'Anderson ne met pas fin à la guérilla. Si Quantrill décide de gagner le Kentucky (où il trouvera bientôt la mort lui aussi, en 1865), d'autres chefs comme Dave Poole qui prend la suite de Todd ou Jim Anderson vont hiverner au Texas et reviennent au printemps 1865 dans le Missouri. Les bushwhackers, inquiets pour leur sort, finissent par se rendre à partir de mai-juin 1865 mais tous ne le font pas officiellement et rentrent chez eux comme si de rien n'était. Le 13 février 1866 a lieu la première attaque de banque en plein jour des Etats-Unis, à Liberty. Jim Anderson fait partie des assaillants. Cette attaque sera suivie de beaucoup d'autres, commises par d'anciens bushwhackers incapables de revenir à une vie normale. Clements, qui avait probablement participé aux premières attaques de banques et défie sans cesse le pouvoir, est finalement abattu en pleine rue à la fin de l'année. Jesse James, ancien de la bande d'Anderson, qui avait suivi Quantrill au Kentucky avant de partir finalement au Texas, se reconvertit lui aussi dans l'attaque de banque dès 1869 -lors de son premier braquage, il abat un caissier qu'il prend pour Cox, l'officier responsable de la mort de Bill Anderson. Inspirés par ce qu'ils font fait à Centralia, les frères James développent les attaques de train avec les frères Younger, anciens de la bande de Quantrill, jusqu'à l'échec final de Northfield, dans le Minnesota, en 1876. Les frères James font profil bas avant de reprendre leurs attaques de trains entre 1879 et 1881. Jesse est finalement abattu par un "retourné" en 1882. Son frère Frank préfère se rendre pour échapper au même sort.

La tombe d'Anderson est régulièrement fleurie encore aujourd'hui. L'image héroïque et romantique du guérillero confédéré se maintient, comme celle d'ailleurs de Jesse James. Mais l'image oublie une partie conséquente de la réalité : Bill Anderson, qui en a eu l'opportunité et les stimuli, est devenu un véritable sauvage pendant la guérilla menée dans le Missouri. Le surnom de Bloody Bill n'était pas usurpé.

L'ouvrage se termine par un essai bibliographique, qui rappelle la difficulté majeure du sujet : les bushwhackers ont laissé très peu de documents écrits derrière eux, il faut donc utiliser les sources de leurs adversaires ou de leurs prisonniers pour les appréhender. A noter que si des cartes, bien présentes, permettent de se repérer, il en manque peut-être pour indiquer les déplacements de Bloody Bill durant sa vie et pendant la guérilla au Missouri. Au-delà du portrait de tueur sans pitié dressé par les deux auteurs, il manque aussi sans doute une remise en perspective un peu plus large de ses actions : après tout, Bill Anderson, comme beaucoup de bushwhackers, a des liens familiaux avec les autres Etats sudistes en guerre, et dès avant le conflit, lors de ses premières déprédations, il abhorre, comme beaucoup d'entre aussi, l'abolitionnisme. Le choix même de ses victimes montre qu'il y a une vraie idéologie derrière le déferlement de haine. L'homme qu'il bat presque à mort à Glasgow, en 1864, avait affranchi tous ses esclaves et Anderson ne manque pas de lui reprocher quand il le torture. Bourreau sur le terrain, Anderson fait avant tout partie du monde confédéré qu'il veut préserver.

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