" Historicoblog (4): Jean-Blaise DJIAN, Gorune APRIKIAN, Kyungeun Park, Une histoire du génocide des Arméniens, Petit à petit, 2022, 128 p.

dimanche 27 août 2023

Jean-Blaise DJIAN, Gorune APRIKIAN, Kyungeun Park, Une histoire du génocide des Arméniens, Petit à petit, 2022, 128 p.

 

Les éditions Petit à Petit proposent, depuis quelques années, d'intéressants volumes mêlant récit inspiré de documents historiques ou de témoignages, mâtinés de fiction, et parties documentaires remettant en perspective les passages en bande dessinée. J'avais déjà trouvé très intéressant celui sur le navire négrier La Marie-Séraphique, que je commenterai peut-être ici un jour aussi. Ce volume-ci, sorti l'an passé, est consacré à un thème des plus sensibles : le génocide arménien. Au dessin, on trouve Kyungeun Park, que j'avais déjà remarqué sur la BD Haytham. Une jeunesse syrienne, chez Dargaud. Gorune Aprikian est quant à lui à l'origine du scénario Varto, qui a fait l'objet d'une autre BD, également sur le génocide arménien, BD sur laquelle a également travaillé Jean-Blaise Djian, le dernier membre du trio.


 

La première partie documentaire rappelle l'histoire de l'Arménie jusqu'à l'arrivée de l'empire ottoman. Le texte est relativement court et bien illustré, avec, à chaque fois, une indication de prolongement pour aller plus loin (ici le musée arménien de France). Le récit de BD se focalise sur le village de Dendil, dans la région de Sivas, et suit le parcours de la famille arménienne de Mikael, un jeune garçon dont le meilleur ami est Ali, un Turc. On constate que les différentes communautés vivent en bonne entente dans le village, même si certains Turcs sont réticents quant à la présence des Arméniens. Après la déclaration de guerre de l'empire ottoman à la Triple Entente, la situation se dégrade rapidement. En avril 1915, les soldats turcs viennent incorporer les hommes en âge de se battre dans l'armée ottomane.


La deuxième partie documentaire comprend une petite erreur p.16 (Constantinople prise en 1453 et non en 1499, sans doute une faute en raison de la date précédente qui se termine en 99). Pour le reste, le contenu est tout à fait satisfaisant, bien qu'un peu court parfois pour cerner toute la complexité des choses, mais c'est le format qui veut ça. Le deuxième morceau de la BD illustre le massacre des Arméniens mobilisés dans l'armée. La troisième partie documentaire replace sur la longue durée le sort réservé aux Arméniens depuis le milieu du XIXème siècle jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale. La troisième partie de la BD évoque la déportation des Arméniens restant, même si certains ont préféré, avant d'être arrêtés, se cacher dans les montages environnantes. Ce morceau témoigne aussi que certains Turcs se sont opposés au génocide et ont dissimulé des Arméniens chez eux, ainsi Mikael qui est déguisé en femme dans la maison du père de son ami Ali, le maire du village. Dans la quatrième partie documentaire, les auteurs montrent comment l'empire ottoman en vient à être dirigé par les Jeunes Turcs et combien le déroulement des premiers mois de la guerre va précipiter le déclenchement du génocide arménien.


La quatrième partie de la BD insiste sur la mise au pillage des biens des Arméniens dans le village de Dendil, et sur les massacres de femmes et d'enfants commis sur la route de la déportation, entre autres atrocités. La cinquième partie documentaire dépeint le déroulement du génocide, mais aussi la place des Allemands, alliés des Turcs (en prolongement, les auteurs renvoient vers l'excellent ouvrage de Taner Akcam, Ordre de tuer). Il manque peut-être dans cette partie, tout comme dans la BD, un focus sur les camps mouroirs en Syrie ou périssent les derniers survivants de la déportation. De la même façon, si la page introductive du tome rappelle le bilan estimé à 1,2 millions de victimes, la BD n'en fait pas un point dans cette partie documentaire, c'est dommage, car la question est importante pour la définition du génocide.




La cinquième partie de la BD montre la résistance des Arméniens qui, retranchés dans les grottes autour de Dendil, affrontent jusqu'à l'ultime sacrifice les soldats turcs venus les déloger. La sixième partie documentaire se fait l'écho des actes de résistance survenus pendant le génocide (le Musa Dagh notamment) et dépeint aussi les "Justes" turcs à travers de nombreux exemples. Dans la sixième partie de la BD arrive l'armistice (un et pas une comme indiqué p.91 dans la case). On voit aussi la recherche par les Britanniques des Arméniennes prises de force par les Turcs comme épouses, à Mossoul, en 1919. La septième partie documentaire montre comment le pays Arménie a fini par se construire après la Première Guerre mondiale, jusqu'à devenir une république soviétique, alors que l'empire ottoman qui s'écroule, et qui avait jugé avant sa chute les génocidaires, est remplacé par la République créée par Mustapha Kemal. Dans les deux dernières parties de la BD, Mikael part à la recherche de sa soeur, qui a survécu au génocide. Les deux dernières parties documentaires montrent comment s'est construite la mémoire du génocide : les nazis s'en inspireront pendant la Seconde Guerre mondiale, Raphaël Lemkin définit le mot génocide suite à son expérience concernant le génocide arménien, et il faut attendre les années 1960 pour qu'en Arménie, la conscience collective se réveille, encore sous l'URSS. En Turquie, une chape de plomb tombe sur le sujet. Le travail de Hrant Dink ouvre la voie dans les années 2000, avant son assassinat en 2007, et plusieurs intellectuels ou historiens turcs brisent le silence (dont Taner Akcam évoqué plus haut). Il n'en demeure pas moins que la Turquie se ferme sur la question : le code pénal interdit de parler de génocide arménien, et la négation de l'événement connaît un regain très net depuis qu'Erdogan est devenu président. Les cicatrices se sont rouvertes à l'occasion du nouveau conflit dans le Haut-Karabagh en 2020, dont l'Azerbaïdjan est sorti vainqueur grâce aux drones turcs. Précédemment, la montée en puissance de l'Etat islamique qui, lui aussi, commet un génocide contre les Yézidis, déjà persécutés par les Turcs pendant le génocide arménien, et sur les mêmes lieux parfois, avait ravivé le traumatisme.

Au final, un volume bienvenu, sur un sujet brûlant. Gageons que les éditions Petit à Petit continuent sur leur lancée et nous produisent encore d'excellents volumes de ce genre, sur des sujets qui, dans ce format-là, n'avaient pas encore été traités. Celui-ci sera sans aucun doute un excellent outil pour les enseignants.

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